Le 30 novembre prochain s’ouvrira à Paris la 21ème « Conférence des Parties », la COP 21. Les représentants de près de 200 pays se réuniront pour adopter un ensemble de mesures destinées à faire face aux menaces qui pèsent sur notre planète du fait des émissions excessives de gaz à effet de serre. L’enjeu est de taille : il s’agit, ni plus ni moins, de s’assurer que le réchauffement consécutif à ces émissions ne dépassera pas un certain seuil, ce qui mettrait gravement en péril tous nos équilibres environnementaux.
Cette manifestation est gérée comme un « évènement ». Derrière cette terminologie se cache un phénomène tout à fait nouveau qui consiste, pour les organisateurs, à se mobiliser pour en tirer avantage. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas réservé à l’action politique ou diplomatique. Lors d’une grande confrontation sportive, celle-ci est « vendue » en insistant, parfois contre l’évidence, sur le caractère incertain du résultat, pour relever l’audience, source de recettes de toutes natures. On vient de s’en apercevoir avec la Coupe du monde de rugby.
Le rôle des organisateurs est de fixer à l’avance les critères qui permettront de conclure si l’évènement est, ou non, un succès. Ces critères sont choisis de façon à ce que la chance qu’ils soient remplis soit la plus élevée possible. Ainsi pourra-t-on à l’issue de la manifestation, se féliciter de son succès et en tirer tout le bénéfice politique. Mais plus le sujet est complexe, plus il est difficile de juger si les critères retenus sont vraiment appropriés et donc si le résultat correspond, non aux attentes, mais à la solution des problèmes que l’évènement avait pour objet de résoudre. La COP 21 n’échappe pas plus à cette règle que les multiples sommets européens convoqués lors de la crise grecque, pour relancer l’économie ou encore pour faire face à l’afflux de migrants.
Les discussions actuelles se concentrent sur le caractère ou non contraignant des engagements qui vont être annoncés et sur les moyens financiers affectés, partout dans le monde, aux investissements destinés à limiter la progression des émissions et donc des températures. Et c’est probablement autour d’un chiffre (on parle de 100 milliards de dollars) que le message final sera délivré. Malheureusement, ce n’est pas aussi simple. Faire croire que, parce qu’un chiffre faisant consensus aura été acté, une étape décisive a été franchie dans la lutte contre le réchauffement climatique relève de l’habileté communicante mais ne traduit pas forcément un véritable progrès. Car l’enjeu principal n’est pas là. Ce ne sont pas les Etats qui sont à l’origine des émissions mais leurs ressortissants, leurs entreprises et leurs habitants. Il revient donc aux gouvernements de prendre, chacun en fonction de ses propres caractéristiques climatiques, économiques et sociales, les dispositions appropriées qui inciteront leurs agents économiques à modifier leurs comportements. Et ce n’est pas seulement lors de la COP 21 que ces sujets seront abordés.
Premier facteur positif, la contestation du phénomène climatique ne rencontre pratiquement plus d’échos et des progrès significatifs ont été enregistrés dans les opinions publiques. Mais les objectifs seront parfois à très long terme et il sera difficile de maintenir la mobilisation des acteurs pour qu’ils agissent dans le sens souhaité. La répartition des efforts et le financement des investissements ne seront abordés qu’en termes généraux. Afficher un chiffre global à l’issue de la COP 21 permettra peut-être, c’est le but recherché, de conclure à un succès mais ce ne sera pas suffisant. Le respect des engagements sera pratiquement impossible à vérifier, tout comme l’efficacité des dépenses promises et même leur existence. Il faut donc aller plus loin dans la réflexion et préciser les exigences, en les différenciant suivant qu’il s’agit des entreprises, des collectivités publiques ou des personnes et en intégrant le facteur temps.
Au niveau des entreprises, notamment dans la production d’électricité, des résultats significatifs et à brève échéance peuvent être obtenus, mais à une double condition : trouver le bon « signal-prix » qui fera bouger les lignes et ne pas perturber les conditions de la concurrence. L’exemple américain doit être médité : la chute des prix du gaz naturel, due à la mise en exploitation des gisements de gaz de schiste, a provoqué en un temps record la modification du mix électrique, au détriment du charbon, ce qui a entrainé une baisse significative des émissions en quelques années. La Chine suit, à sa manière, plus interventionniste, l’exemple américain, comme en témoigne la très forte croissance de la consommation de gaz et le coup d’arrêt porté à l'augmentation de l’utilisation du charbon. L’accord gazier conclu à Londres lors de la visite du Président Xi Jiping, entre BP et Huadian, l’un des grands électriciens chinois qui était, jusqu’à présent à 100% charbon, est, à cet égard, révélateur.
Ces exemples ne sont pas transposables directement en Europe mais leur leçon doit être retenue : c’est par le jeu des prix qu’il faut agir, d’où, si l’on veut faire bouger les lignes, l’urgente nécessité de relancer, dans l’Union, le marché du carbone. L’opposition de l’Allemagne et de la Pologne doit être surmontée. Le faible niveau d’émission de la France grâce au nucléaire, qui fait baisser la moyenne européenne, ne doit pas servir aux pollueurs de paravent pour poursuivre leurs mauvaises pratiques. Mais l’idée d’un marché mondial du carbone est illusoire et contre productive. Comme il n’existe aucune chance d’aboutir à un accord crédible sur ce sujet, elle risque de dispenser les zones où un marché serait pertinent de progresser dans cette voie prometteuse. La Chine l’a bien compris puisque le pays va progressivement se doter d’un tel outil, sans évidemment exiger en contrepartie que les autres en fassent autant.
Les secteurs où l’énergie entre pour une part importante dans les coûts de production sont de plus en plus disposés à réduire leurs émissions même si cela aggrave leurs coûts. Mais les entreprises s’inquiètent d’une situation où leurs concurrents directs ne subiraient pas cette contrainte. La proposition de taxer aux frontières les produits fabriqués à partir de processus traditionnels, donc fortement émetteurs de gaz à effet de serre permettrait de rétablir les conditions d’une concurrence saine. Mais pas plus que l’instauration du marché mondial du carbone cette proposition n’a de chances d’être examinée sérieusement durant la COP 21 car ce serait irréaliste dans le contexte actuel très tendu des négociations commerciales internationales. Au contraire, la création de marchés locaux du carbone constitue un progrès substantiel et un encouragement efficace pour que les entreprises réduisent leurs émissions.
La situation est très différente pour les consommateurs finaux dans un contexte de très forte baisse des prix des produits fossiles, dont on aurait tort de croire qu’elle n’est que passagère. Leur mobilisation ne peut produire ses effets qu’à long terme : on ne renouvelle pas du jour au lendemain le parc automobile, pas plus qu’on améliore les performances énergétiques d’un parc immobilier, qu’il soit détenu par des propriétaires privés ou des collectivités publiques. La construction, largement médiatisée, d’immeubles « à énergie positive » indique peut-être la marche à suivre mais ses effets sur les émissions sont infimes. Là aussi, le signal-prix doit devenir un moyen puissant d’incitation et accélérer un mouvement qui, autrement, ne pourra être que très lent. En taxant l’utilisation des énergies fossiles et en utilisant le produit de cette taxation pour financer des incitations significatives au renouvellement des parcs automobiles et à l’amélioration des performances des parcs immobiliers, des résultats peuvent rapidement être obtenus, à condition de ne pas mettre ces incitations sous conditions de ressources. On ne peut pas poursuivre deux objectifs aussi différents, la redistribution et l'efficacité énergétique, à la fois.
Pour que la COP 21 soit véritablement un succès, il conviendrait donc d’entrer dans le détail des politiques énergétiques de chacun des participants et d’en évaluer la cohérence avec leurs « engagements » et les objectifs qu’ils ont approuvés d’autant plus facilement qu’à ce stade, précisément, on ne leur en demandait pas plus. A défaut, elle n’aura été qu’une opération de communication.