Le résultat « surprise » du premier tour de l’élection présidentielle brésilienne comporte deux enseignements. D’abord, le peu de crédit que l’on peut accorder aux sondages locaux. Même si les derniers jours de la campagne ont été marqués par la faible prestation de la socialiste Marina Silva, notamment lors de la confrontation télévisée qui a réuni les candidats, l’écart entre les dernières estimations qui la donnait avec 10% d'avance sur le social démocrate Aecio Neves et le résultat qui l’a placé derrière avec 12% de retard, est trop important pour qu’il soit imputable à un basculement de dernière minute. Il faudra donc être très prudent sur les prévisions concernant le second tour qui interviendra le 26 octobre.
Mais l’essentiel n’est pas là : ce scrutin témoigne d’abord de la formidable vitalité de la démocratie brésilienne et c’est une bonne nouvelle pour un continent qui n’a pas fait preuve jusqu’à présent d’autant de maturité politique. Et pour le Brésil lui-même, qui, il n’y a pas si longtemps, hésitait sur la stabilité de son régime, il suffit de se souvenir des commentaires qui accompagnèrent l’élection de Lula, c’est une très bonne nouvelle. Quant à la surprise du scrutin, l’élimination de Marina Silva qui a finalement recueilli le même pourcentage de voix qu’il y a quatre ans lorsqu’elle s’était présentée sous l’étiquette des « Verts », elle est autant due à sa versatilité politique qu’aux incohérences de son programme économique.
Le choix du second tour entre Dilma Rousseff et Aecio Neves se fera, puisque personne ne remet en cause les acquis sociaux de « l’ère Lula », sur la stratégie économique, la première restant partisan d’un interventionnisme public lourd, notamment dans le domaine de l’énergie, et le second voulant voir émerger au Brésil une classe entrepreneuriale suffisamment étoffée pour assurer l’avenir du pays et lui permettre enfin tenir ses promesses de croissance et d’enrichissement.
Car le Brésil a déçu. Entré aux côtés de la Chine dans le club des émergents prometteurs, le pays a certes, pendant quelques années connu une forte croissance, mais il s’est illusionné sur ses capacités à tenir ce rythme et il a sombré depuis deux ans, dans une quasi stagnation, incompatible avec le modèle social dont il s’était doté. Surtout il a trompé les observateurs, en même temps qu’il se trompait lui-même, sur les raisons de son éphémère prospérité. Le boom observé entre 2005 et 2010 lui avait fait gravir les échelons du classement des PIB mondiaux, dépassant le Royaume-Uni et talonnant la France pour la 5ème place. Mais c’était dû à ses exportations de matières premières vers la Chine, dont le rythme et surtout le niveau de prix, n’était pas soutenable, et à la surévaluation du réal, conséquence des mouvements incontrôlés des devises, la fameuse guerre des monnaies dénoncée par le ministre des finances brésilien, Guido Mantega. A cela se sont ajoutées les promesses non tenues –car elles relevaient de l’illusion- de retombées de la Coupe du monde de football, les lourdes charges consécutives à l’organisation des Jeux Olympiques de 2016 et surtout les attentes excessives nées des découvertes de gisements pétroliers géants en eau profonde aux large des côtes brésiliennes.
Le prochain président du Brésil devra remettre les pendules à l’heure. Jusqu’à présent, Dilma Rousseff, parce que son parcours de technocrate dans l’ombre de Lula l’y prédispose, reste convaincue que le protectionnisme et la réglementation des prix constituent les bonnes réponses et que le modèle énergétique ne doit être corrigé qu’à la marge.
Pourtant, la dépendance excessive du mix électrique à l’hydraulique conduit, en cas de sécheresse comme cette année à des coupures affectant toute l’économie. Et le blocage des prix des carburants affecte les ressources de Petrobras sur lequel repose par ailleurs les espoirs du pays d’atteindre son indépendance énergétique. Il fragilise en outre ses chances de tenir ses objectifs de mise en service des gisements découverts. Le Brésil est en train de perdre sur les deux tableaux : ses importations de pétrole augmentent très vite et les investissements tardent. Quant au développement industriel, alors que le pays est riche d’une créativité exceptionnelle, que ses architectes, ses designers et même ses artistes jouissent d’une réputation mondiale, que sa jeunesse est brillante comme en témoigne la médaille Fields, l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiciens, qui vient d’être attribuée à un de ses ressortissants, aucune entreprise brésilienne, à l’exception peut-être d’Embraer, n’a réussi à s’imposer sur la scène internationale. Rien, dans le discours de Dilma Rousseff ne laisse supposer qu’elle a identifié les limites du modèle brésilien.
A l’inverse, Aecio Neves semble plus proche des réalités économiques du terrain. Comme gouverneur du Minas Gerais, il a modernisé l’administration locale en réduisant ses coûts et il fait de la « débureaucratisation » du Brésil un axe de son programme économique. Il propose de réformer le fonctionnement des marchés de capitaux pour favoriser le financement des entreprises, d’ouvrir les frontières pour développer les exportations au-delà des matières premières et de promouvoir le tourisme. On a peine à l’imaginer, mais le pays connait aujourd’hui, par manque d’investissements et d’initiatives privées, un déficit de sa balance touristique.
Petit-fils du président élu Tancredo Neves, mais qui mourut avant sa prise de fonction en 1986, le candidat social-démocrate connait parfaitement les rouages du monde politique brésilien et à la différence de Marina Silva, il pourra, s’il est élu, manœuvrer au Congrès pour trouver une majorité susceptible de soutenir sa politique. L’élection du 26 octobre déterminera donc les contours de la stratégie économique du Brésil pour les prochaines années : poursuite de la politique actuelle, avec les risques de blocage du développement qu’elle comporte ou ouverture plus grande du pays vers un modèle où, comme dans le groupe de pays développés que le Brésil ambitionne de rejoindre, l’entreprise est au centre du jeu.