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Alain Boublil Blog

 

Vladimir Poutine et la "diplomatie du gaz"

En moins d'un mois, Vladimir Poutine a replacé la Russie au centre du "Grand Jeu" mondial de l'énergie, et a mis les immenses réserves de gaz naturel de son pays au service de ses ambitions géostratégiques.

Il y a eu d'abord l'affaire ukrainienne. En quelques jours, Moscou a torpillé le projet d'accord d'association avec l'Union Européenne en offrant un rabais significatif sur le prix du gaz et en rachetant pour 15 milliards de dollars de titres de la dette de son voisin en grande difficulté financière. Quand on se souvient des tensions intervenues durant l'hiver 2009, quand Moscou interrompit les livraisons en raison précisément d'un conflit avec l'Ukraine où passaient les gazoducs acheminant le gaz vers ses clients européens, on mesure l'évolution de situation. Il n'est d'ailleurs pas exclu que le gouvernement ukrainen ait utilisé la menace d'une association avec l'Europe pour obtenir des concessions de Moscou. Le fait nouveau, c'est que cela a marché: la Russie a certes besoin de sécuriser ses débouchés européens. Mais Vladimir Poutine a certainement voulu montrer à Bruxelles que son pays n'était pas impressionné par les procédures engagées contre Gazprom à propos du projet de gazoduc South Stream ou d'atteintes supposées à la concurrence. Et il a fait comprendre aux pays occidentaux qu'il ne resterait pas indifférent face aux tentatives de faire rentrer dans leur zone d'influence un pays aussi stratégiquement important pour la Russie que l'Ukraine.

Quelques jours plus tard, nouvelle évolution spectaculaire! La Douma ouvre la voie à une libéralisation des exportations de LNG en mettant fin au monopole de Gazprom. Elle permet ainsi à Novatek, allié avec Total, de commercialiser le gaz naturel extrait à Yamal, une presqu'île aux portes de l'océan Arctique et à Rosneft de développer de nouveaux projets. Il ne faut pas voir là une querelle d'influence entre oligarques, le président de Rosneft, Igor Sechine étant un intime du président russe depuis l'époque où ils travaillaient au cabinet du maire de Saint Petersbourg, Anatoly Sobchak. Au contraire, Vladimir Poutine a parfaitement compris les conséquences de la révolution du gaz de schiste aux Etats-Unis et du risque que constituait le déferlement d'exportations américaines à travers l'Atlantique. Pour y faire face, Moscou a donc décidé de mobiliser toutes ses cartes et de permettre à ses opérateurs d'avoir les mains libres. Les résultats sont là: le tiers de la production de Yamal est déjà vendu à l'espagnol Gas Natural et au chinois CNPC dans le cadre de contrats à long terme.  

La stratégie gazière de Moscou avait reposé jusqu'à présent sur des contrats indexés sur le cours du pétrole et acheminés par son réseau de gazoducs à travers l'Europe, et plus récemment par la mer du Nord (Nordstream) et la mer Noire (Southstream) se prolongeant vers la Méditerranée pour approvisionner l'Europe du sud-est et notamment l'Italie. Désormais, en élargissant le nombre de ses opérateurs et en se développant sur le marché du LNG , la Russie se donne une plus grande flexibilité pour conquérir de nouveaux clients et contrer l'inévitable développement des exportations américaines. 

Enfin, ces jours-ci, on apprenait que la négociation gazière, qui durait depuis près de dix ans avec la Chine était sur le poinr d'aboutir. La Chine connait un développement fulgurant de sa consommation de gaz naturel et celui-ci n'est pas près de s'interrompre car outre les besoins liés à l'élévation du niveau de vie et à l'urbanisation, le pays doit impérativement réduire ses émissions de gaz à effet de serre et de particules. Et le meilleur moyen est de fermer ses centrales électriques au charbon polluantes et de les remplacer par des centrales à gaz modernes, d'où une demande additionnelle de gaz naturel. La Chine, jusqu'en 2010 était pratiquement auto-suffisante. En 2013, elle va importer plus de 50 milliards de m3, soit l'équivalent de la consommation totale de la France. Et ce n'est qu'un début.

Les négociations entre Moscou et Pékin achoppaient sur le prix (Gazprom exigeant un alignement sur les contrats pratiqués en Europe) et sur l'acheminement. La Chine a des besoins localisés dans les grands centres industriels du nord-est, car tout le sud-est est désservi par des terminaux LNG et le centre et l'ouest du pays par les ressources propres (Sechuan) et par les gazoducs en provenance du Myanmar et du Turkmenistan. Moscou privilégiait au contraire une desserte par l'ouest alimentée par les gisements de Sibérie occidentale.

Les points de vue se sont subitement rapprochés: Moscou va construire un gazoduc contournant la Mongolie et permetttant d'alimenter la Mandchourie; et Pékin a fait des concessions sur le prix. La tension entre le Japon et la Chine n'y est évidemment pas étrangère. Pékin a besoin de sécuriser ses approvisionnements et venait de signer deux contrats pétroliers majeurs avec Rosneft. Ce renforcement des liens avec Moscou n'est pas davantage passé inaperçu à Tokyo, qui dépend aussi de Gazprom pour son gaz, surtout après l'arrêt de ses centrales nucléaires. Et il n'est pas passé non plus inaperçu à Washington, allié naturel de Tokyo, qui a compris que toute stratégie de "containment" à l'égard de la Chine buterait sur le soutien de Moscou.

En quelques semaines, Vladimir Poutine a ainsi avancé trois pions sur l'échiquier mondial. La Russie a pesé dans le débat européen, s'est préparé aux bouleversements que va entraîner le développement du gaz de schiste aux Etats-Unis en se donnant les moyens d'être un acteur significatif sur le marché stratégique du LNG et est intervenu sur les équilibres des approvisionnements en gaz de l'Asie, d'où elle était absente, tout en apportant un soutien clair à Pékin, qui ne l'oubliera pas, dans sa confrontation avec Tokyo.