Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, qui est revenu aujourd'hui de son voyage en Chine, s'est rendu sur le site de Taishan où EDF, son partenaire chinois CGNPC et Areva construisent deux récteurs nucléaires EPR. Les commentaires qui ont accompagné cette visite ont surtout porté sur le caractère politique de cette visite, au moment où la France s'est fixée comme objectif de réduire la part du nucléaire dans sa production d"électricité, et sur les dissensions avec les Ecologistes qui pourraient en résulter. Là n'est pourtant pas l'essentiel.
Le premier constat, et peut-être le plus important, c'est que la construction de ces deux EPR, à la différence de ce qui se passe en Finlande et à Flamanville, se déroule conformément au planning et dans les limites de coût prévues. Les dépassements de délais et de budget sur les deux autres chantiers ont coûté aux exploitants et à Areva des milliards d'euros, portant atteinte à la crédibilité même du réacteur. A Taishan, rien de tel. Pourquoi? Parce que l'exploitant chinois n'a jamais cessé de construire des centrales nucléiares, à la différence de ses homologues français et finlandais. Et il a su maintenir les compétences nécessaires aussi bien dans ses équipes d'ingénierie que dans les entreprises qui participent à la construction, particulièrement dans le domaine hautement sensible du coulage du béton. On ne dira jamais assez à quel point les décisions des gouvernements successifs de laisser passer 14 ans entre la dernière commande d'EDF (Civaux 2) en 1992 et celle de Flamanville en 2006 a été une erreur. Entre-temps, les effets d'expérience et les compétences ont été perdues et c'est leur reconstitution qui a pesé et pèse encore sur les chantiers en Europe. Et si Taishan tient ses délais, c'est bien parce que les équipes sur place, elles, sont en mesure de régler rapidement les inévitables difficultés qu'on rencontre sur un chantier d'une telle technicité.
Le seconde leçon de Taishan, c'est l'importance des partenariats dans le monde ouvert et concurrentiel d'aujourd'hui pour mener à bien des projets innovants et ambitieux. Au lieu d'y voir une menace ou une signe de faiblesse, et d'adopter des positions frileuses voire hostiles, il serait temps que l'on comprenne en France que c'est au contraire la réponse appropriée aux défis du XXIème siècle. Le cas du nucléaire en Chine est à cet égard exemplaire. Au début, il y a un électricien de Hong Kong, China Light and Power, contrôlé par une très ancienne famille d'immigrés irakiens, les Kadoorie, qui souhaite développer ses capacités et construire des centrales. Nous sommes en 1982. Mais il n'y a pas de site. CLP se tourne alors vers la province chinoise du Guangdong voisine qui obtient l'accord de Pékin, sous réserve que l'électricien local, CGNPC, soit associé. Les centrales seront construites à Daya Bay, sur la rivière des Perles, face à Hong Kong, objet alors d'une négociation tendue avec Londres sur sa rétrocession. Le contrat, qui prévoit la présence d'EDF pour faire bénéficier ses partenaires de son expérience d'exploitant, sera signé en 1986, et vu le succès du partenariat, sera suivi en 1994 d'une seconde commande, tout près de Daya Bay à Ling Ao. Depuis, EDF et Areva, qui a succédé à Framatome, ont multiplié les partenariats et l'industrie nucléaire française a été associée de près à l'essor de ce secteur en Chine. Ce n'est d'ailleurs pas le seul exemple. Au même moment, Jérôme Monod, alors président de la Lyonnaise des Eaux, s'engageait dans un partenariat avec un autre groupe de Hong Kong, New World, pour développer en Chine les activités de traitement et de distribution d'eau. Et si Suez Environnement est aujourd'hui un leader sur ce gigantesque marché, c'est aussi parce que l'entreprise a su trouver et s'associer avec le bon partenaire. Plutôt que de faire la fine bouche, notamment quand le partenariat d'EDF en Chine va trouver un nouveau terrain d'application en Angleterre avec la construction de deux EPR à Hinkley Point, saluons ce nouveau succès, car comme sur un champ de bataille, pour gagner, il faut savoir aussi choisir ses alliés et entretenir avec eux des relations de confiance.
Le troisième leçon de Taishan, c'est que rien n'aurait été possible sans les centaines d'ingénieurs et de techniciens français qui s'en sont allés là-bas s'installer, parfois pour plusieurs années, autour du site, le plus souvent avec femmes ou maris et enfants. Ils ont droit à leur part du succès. Et ils font partie des dizaines de milliers de nos compatriotes qui assurent la réussite des entreprises françaises dans le monde. Ils ne sont pas là-bas par dépit ou pour échapper à l'impôt mais pour contribuer au rayonnement de la France. Et ils assument avec fierté cette mission, enseignants et chercheurs dans les plus prestigieuses universités, ingénieurs ou cadres dirigeants, chefs de cuisine ou musiciens. Ne les assimilons pas à des exilés et reconnaissons non seulement leur rôle mais aussi la place qu'ils occupent dans les succès de notre pays.