Jeudi dernier, l’homme du jour, c’était Mario Draghi. La BCE a réussi à restaurer la confiance des marchés financiers dans l’euro ce que les gouvernements cherchaient à obtenir depuis trois ans. Mais l’un des artisans de ce retournement spectaculaire, c’est François Hollande. Retour en arrière.
En quelques semaines, le nouveau président, qui n’avait pu rencontrer durant sa campagne électorale aucun de ses futurs homologues, et notamment Angela Merkel qui avait pris parti pour son rival, a compris qu’au-delà des questions de personne ou d’appartenance politique, le système de décision basé sur le couple franco-allemand n’était plus adapté aux enjeux et à la gravité de la crise de l’euro.
"Merkozy" ayant échoué, la bonne solution n’était pas de créer "Merkhollande", mais de trouver autre chose. Cette intuition est probablement née lors de sa première rencontre avec la Chancelière le 15 mai et une solution alternative a commencé à prendre forme à l’issue du déjeuner à l’Élysée auquel il avait convié Mariano Rajoy la semaine suivante, le 23 mai.
Progressivement s’est dégagée l’idée suivant laquelle, il fallait substituer au "ménage à deux", un "ménage à quatre" en incluant l’Espagne et l’Italie.
François Hollande était bien informé de la situation politique allemande, grâce à ses relations étroites avec le SPD, qui viendra le soutenir à Paris lors d’un meeting sur l’Europe au Cirque d’Hiver. Il recevra les dirigeants du SPD début juin quelques semaines après la défaite historique de la CDU en Rhénanie du Nord.
Il ne servait donc à rien de chercher à affaiblir davantage la Chancelière, surtout dans le cadre d’un face-à-face franco-allemand. Pour sortir de la crise, il fallait inventer une nouvelle méthode de travail. François Hollande a, alors, un tête-à-tête avec Mario Monti le 14 juin où germera probablement l’idée du "diner à quatre" du 22 juin, initiative sans précédent, pour préparer le sommet européen "de la dernière chance" du 28 juin. Si, pour ménager les susceptibilités, un dernier face-à-face franco-allemand a lieu le 27 juin, l’essentiel a bien été décidé à quatre.
Et la nouvelle méthode de travail s’enracine. François Hollande revoit la chancelière le 8 juillet à Reims et le 23 août à Berlin, tandis qu’il s’entretient avec Mario Monti le 31 juillet et le 4 septembre et qu’il est reçu à Madrid le 30 août.
Changement subtil de gouvernance, mais pour quelles solutions ? Durant ces trois mois, la crise s’est amplifiée, avec les doutes sur la capacité de la Grèce à tenir ses engagements malgré la victoire du parti pro-européen le 10 juin, et surtout avec le déclenchement de la crise bancaire en Espagne.
Or le "paquet fiscal" adopté au mois de mars 2012 ne constitue qu’une réponse très partielle à la crise de crédibilité qui affecte la zone euro. Une première inflexion est apportée au Sommet du 28 juin avec l’adoption d’un "agenda de croissance", mais personne n’est dupe. Cela ne sera pas suffisant, surtout depuis que l’Espagne et l’Italie sont dans le collimateur des marchés. Et François Hollande sait que l’Allemagne n’acceptera pas la mutualisation des dettes, sous une forme ou sous une autre, et notamment avec la création des eurobonds.
C’est la ligne jaune à ne pas franchir. Les "project bonds" décidés à Bruxelles ne seront suffisants ni pour casser la spéculation, ni pour sortir la zone euro de la récession. En même temps, à Berlin, on commence aussi à réaliser que si le cas grec pose des questions de principe, le sauvetage envisagé n’est pas de nature à déstabiliser l’économie allemande. Il en va tout autrement d’une éventuelle contagion à l’Espagne et à l’Italie. Le mérite du "ménage à quatre", c’est d’avoir fait émerger cette prise de conscience dans l’esprit de la Chancelière.
La solution, c’est la BCE en lui permettant, à l’instar de toutes ses homologues dans le monde, d’être prêteur en dernier ressort et d’exercer une mission de supervision sur les établissements bancaires afin d’éviter que se renouvellent les excès commis en Irlande et en Espagne qui ont mis en péril les finances de ces États et, par voie de conséquence, l’euro.
Comment procéder, sachant que la Bundesbank est aussi hostile à cette extension du rôle de la BCE que la Chancelière l’est à l’émission des eurobonds ?
La réponse prendra probablement forme lors des audiences que François Hollande a accordées à Mario Draghi et à Christian Noyer le 25 juin.
L’idée-clé, c’est que si la banque centrale, qui a le pouvoir de fixer les taux d’intérêt afin d’assurer la stabilité des prix, en est empêchée par les marchés, elle ne peut pas remplir son mandat et ne sert plus à rien. C’est l’affirmation du principe suivant lequel le canal de transmission de la politique monétaire ne doit pas être pollué par des spéculations inconsidérées.
D’où la nécessité de pouvoir acheter autant de "papier" à échéance courte (entre un an et trois ans), pour stabiliser les écarts de taux dans une fourchette raisonnable. Naturellement une contrepartie sera exigée des États (et des banques, d’où la nécessité de la supervision). Ils devront s’engager à redresser leurs comptes de façon à éviter que la politique monétaire devienne un moyen détourné de les en dispenser.
La suite du scénario est limpide. Mario Draghi a convaincu ses interlocuteurs que dans ce nouveau contexte, il avait les moyens de sauver l’euro. D’où ses déclarations du mois de juillet relayées par les dirigeants européens sur le caractère irréversible de l’euro, en des termes choisis et bien coordonnés. François Hollande rencontrera encore Angela Merkel le 23 août, puis Rajano Rajoy le 30 et enfin Mario Monti le 4 septembre, probablement pour un dernier bouclage. Et Mario Draghi annoncera son programme de rachat le 7 septembre avec le soutien de Berlin, malgré l’opposition de Francfort, avec le succès que l’on sait.
Dimanche soir, le Président de la République n’a pas dit un mot de la crise de l’euro et a mis l’accent sur le redressement des finances publiques de la France et le retour à un déficit de 3 % en 2013, conformément aux engagements qu’il avait pris durant la campagne électorale. Mais les deux sujets sont étroitement liés : jamais il n’aurait pu convaincre ses interlocuteurs, et notamment la Chancelière, sans s’engager de façon crédible à mettre de l’ordre dans les comptes publics de la France. Jamais la Chancelière n’aurait accepté le "ménage à quatre" sans être certaine que la France serait aux côtés de l’Allemagne sur les questions budgétaires.
Les "économistes" se trompent en stigmatisant le projet de budget pour 2013. Les hausses d’impôts prévues ne font que partiellement revenir sur les baisses intervenues depuis 2002 et qui sont à l’origine du dérapage de la dette, au moins autant que la crise. Surtout, ce rééquilibrage de la pression fiscale entre grandes entreprises et PME d’une part, et entre les 5 % les plus aisés, grands bénéficiaires des largesses fiscales passées et les 95 % restant, n’est pas bien au contraire défavorable à la croissance.
Une fiscalité plus juste et plus efficace et un euro stabilisé avec des taux d’intérêt suffisamment bas constituent le meilleur environnement possible pour un redémarrage de la croissance et à terme pour une baisse du chômage. Telle est la vision du Président.