Tous les ans, le groupe pétrolier BP, cette fois associé avec Energy Research, publie des statistiques précises sur la production et la consommation de toutes les formes d’énergie dans chaque pays. Les résultats, pour l’année 2023 montrent que la tendance à la hausse de la production et de la consommation des énergies fossiles s’est poursuivie. De profondes divergences existent entre les pays. Les pays les plus engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique, comme la France, sont ceux qui en portent le moins la responsabilité. Un profond fossé persiste donc entre le discours politique et les réalités.
La production mondiale de pétrole est passée entre 2013 et 2023 de 86,6 à 96,4 millions de b/j. Cette augmentation est essentiellement due aux gisements américains avec l’exploitation du pétrole de schiste. La production du pays a dépassé 19 millions de b/j contre 10 millions dix ans plus tôt. Ailleurs dans le monde, la faible hausse (2 millions de b/j) observée au Moyen-Orient a compensé la baisse intervenue au Nigeria, en Angola, au Mexique et en Indonésie.
La hausse de la production américaine a permis de satisfaire la consommation intérieure (+5%) et surtout la forte croissance des besoins des pays émergents (Chine : +60%, Inde : +48%, Corée du Sud : +14%). En Europe, les efforts accomplis par les principales économies (France : -12%, Allemagne : -18%) ont été compensés par l’augmentation de la consommation de la Turquie : +40%. Le Japon fait figure de bon élève avec une baisse de 26%. On observe donc une très grande disparité dans l’utilisation du pétrole mais en aucun cas, malgré le maintien de prix élevés, une baisse globale qui seule permettrait une réduction des émissions de gaz à effet de serre.
La situation est pire pour le charbon qui non seulement contribue au réchauffement climatique par des émissions plus fortes que les autres énergies fossiles mais dont la combustion provoque le rejet dans l’atmosphère de particules nocives. Les anglais avaient inventé un terme pour qualifier l’air à Londres, le « smog », contraction entre « fog», le brouillard et « smoke », la fumée provenant des centrales à charbon voisines. La baisse de la production et de la consommation (-55%) a été spectaculaire aux Etats-Unis. Les centrales électriques se sont converties au gaz naturel, abondant et bon marché, grâce aux gisements de gaz de schiste. Elle a été divisée par deux en Europe (Allemagne : -47%) et est restée stable ailleurs dans le monde sauf en Asie, qui représente maintenant les trois quarts de la consommation, où, au contraire elle a progressé de 18%. Aucun progrès global n’a donc été accompli depuis dix ans pour ce combustible lourdement polluant.
Le gaz naturel a profité à la fois des nouvelles techniques d’extraction (fracturation hydraulique) et de transport avec la liquéfaction. En dix ans, production et consommation ont progressé au niveau mondial de 18%. La hausses de la production aux Etats-Unis, en Chine et en Australie a permis de compenser l’épuisement des réserves en mer du Nord. Elle a aussi permis de satisfaire une demande en forte hausse, la liquéfaction rendant possible le transport du gaz naturel à travers les océans. Les flux de GNL sont passées de 327 milliards à 549 milliards de m3 en dix ans. Cette tendance devrait s’accentuer dans l’avenir car l’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis au premier plan l’exigence de sécurité d’approvisionnement.
L’évolution de la consommation d’énergie primaire a été très différente selon les continents. En dix ans, elle s’est accrue de 15%, l’Asie progressant de 32,7% et les Etats-Unis de 2,3%. L’Europe au contraire a vu sa consommation baisser de 10%, grâce notamment à la France (-17%). Rapportée au nombre d’habitants, l’écart de consommation entre l’Asie (+22,6%) et les Etats-Unis (-4,5%) se resserre et l’Europe fait toujours exception avec une chute de 11,5%. Il n’y a donc aucune réduction, bien au contraire, de l’utilisation des énergies fossiles et les efforts des pays pour économiser l’énergie sont très inégalement répartis. Seule l’Europe a apporté une contribution significative.
Avec la sobriété énergétique, l’électrification est présentée comme une voie dans la lutte contre le réchauffement climatique, si cette électricité ne fait pas appel à des énergies fossiles. Ces dix dernières années, la production au niveau mondial a fortement progressé (+27,7%), principalement soutenue par les productions chinoises (+74%) et indienne (+70,8%).
Aux Etats-Unis, la hausse a suivi la croissance mais le principal facteur est le basculement du charbon vers le gaz naturel bien moins coûteux. En Chine, la production a également suivi la croissance économique mais la demande a été trop forte pour rendre possible une baisse du recours au charbon dont l’utilisation s’est encore accrue en 2023 (+6,3%) malgré la forte progression des renouvelables (+22%) et du recours au gaz naturel (+8%). L’Inde reste tributaire du charbon à hauteur de 74% et sa part ne recule pas.
L’Europe fait une fois de plus figure de bon élève avec une stabilité de sa consommation d’électricité et surtout une grande diversité des modes de production. Le charbon n’y occupe plus qu’une part très minoritaire (14%) comme le gaz naturel (17%) grâce au fort développement des énergies renouvelables (30%), aux centrales hydro-électriques (17%) ou nucléaires (19%). Au sein de l’Europe, la France, grâce à son parc nucléaire, a le plus faible taux d’utilisation des énergies fossiles pour sa production d’électricité. A la différence des autres grandes zones, l’électrification contribue bien en Europe à la réduction des émissions de CO2.
La première conclusion que l’on peut tirer de ces chiffres est que le monde n’est pas engagé, bien au contraire, dans la voie d’une réduction du recours aux énergies fossiles. Si l’utilisation du charbon stagne, la production de pétrole et de gaz naturel s’accroit de façon continue depuis dix ans. Aucune incertitude ne pèse sur la disponibilité des ressources et jusqu’à présent, aucun frein n’empêche les entreprises d’investir pour développer leur production.
La deuxième conclusion est la grande diversité des situations dans le monde. Les pays émergents, en raison de leur forte croissance, sont ceux qui ont de plus en plus recours aux énergies fossiles. Les Etats-Unis ont choisi de conserver un niveau d’utilisation très élevé mais en opérant un transfert du charbon vers le gaz naturel, favorable à la réduction des émissions. Seuls les pays européens ont engagé des politiques de sobriété et de diminution des consommations d’énergies fossiles.
La troisième conclusion est que la France fait partie des meilleures élèves. Sa consommation primaire s’est réduite en moyenne de 2% par an depuis dix ans. Par habitant, c’est l’une des plus faibles des pays développés (la moitié de celle observée aux Etats-Unis). Son niveau d’émission est donc aussi, grâce à son mix électrique, l’un des plus bas.
La place de l’environnement dans le débat politique y est donc paradoxale et les ressources publiques qui sont y consacrées disproportionnées. Le nucléaire apporte une contribution décisive qui va se renforcer avec la fin des travaux sur les réacteurs et la mise en service de l’EPR. Un chiffre est révélateur. Le solde des échanges d’électricité au mois de mai a atteint le niveau sans précédent de 9 TWh. La France va donc contribuer davantage encore dans l’avenir à la réalisation des objectifs de réduction des émissions de l’Europe grâce à une électrification décarbonnée, ce qui rend d’autant plus souhaitable l’adoption d’une réforme du marché européen de l’électricité qui corresponde à ses besoins.