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Le blog d'Alain Boublil

 

Le problème européen

Au moment où les tensions internationales s’accentuent et où le besoin d’une Europe solide et unie n’a jamais été aussi fort, un pays, la Pologne, touché de près par les menaces résultant de ces tensions, élit un président d’extrême-droite ouvertement eurosceptique. Une période de cohabitation s’ouvre avec le gouvernement de Donald Tusk, européen convaincu et très engagé pour trouver une solution à la crise ukrainienne. Le cas de la Pologne n’est pas isolé. Le lendemain, le dirigeant du parti d’extrême droite hollandais Geert Wilders quittait la coalition forçant le Premier ministre Schoof à démissionner et à convoquer des élections. L’arrivée au pouvoir de Georgia Meloni en Italie, et la percée du Rassemblement National en France et de l’AFD en Allemagne témoignent eux aussi du mécontentement suscité par Bruxelles.

Jamais le ressentiment envers le projet européen n’a été aussi prononcé. Ces formations politiques profitent de l’inquiétude face à la montée de l’immigration et font porter à l’Europe la responsabilité de la dégradation du niveau et des conditions de vie d’une part croissante de la population qui n’a plus confiance dans la gauche ou dans les formations sociales-démocrates pour les protéger et pour leur garantir une juste part de la répartition de la richesse économique.

Ceci peut sembler paradoxal à un moment où le rôle de l’Europe devrait être essentiel dans la résolution des crises en cours qui ont conduit la guerre à ses portes. Mais dans un monde médiatisé à l’extrême, l’Union souffre de son absence d’incarnation. Les Etats-Unis ont Trump, la Russie a Poutine et la Chine a Xi Jinping. Bruxelles n’a personne. La présidence de l’Union est purement formelle et la présidente de la Commission n’a pas dans son mandat la responsabilité de parler au nom des Etats. Pour un nombre croissant d’électeurs, l’Europe n’a pas de solutions à apporter à ces crises et si elle en avait, elle n’a personne pour les défendre et les faire accepter.

Les principes sur lesquels ont été construits le modèle européen ne sont plus adaptés au monde d’aujourd’hui, d’où à la fois une faible croissance et une montée des inégalités. La libéralisation des échanges avec la création du marché unique et l’ouverture des frontières supposaient que le monde emprunterait cette voie. La politique menée par Donald Trump a apporté un démenti. Le recours à des délocalisations, notamment en Chine, était fondé sur le pari que les entreprises européennes bénéficieraient de nouveaux et vastes marchés et de faibles coûts de production ce qui garantiraient leur prospérité future. Aujourd’hui on constate que la Chine n’est plus « l’usine du monde » mais le berceau d’entreprises qui sont en train de devenir de redoutables concurrents, comme dans le secteur de l’automobile.

Autre principe contesté, la concurrence libre et non faussée, qui faillit figurer dans un traité constitutionnel. Sa mise en place a freiné et parfois même empêché la création de groupes européens capables de s’imposer sur le marché mondial. Airbus a apporté la preuve de cette nécessité mais est resté une exception. L’ouverture à la concurrence des services publics n’a pas apporté les progrès attendus, tant en ce qui concerne les prix que la qualité des prestations offertes aux consommateurs. L’impossibilité d’utiliser les commandes publiques, outils majeurs de la politique industrielle, pour renforcer le tissu productif et soutenir l’innovation, a contribué, avec l’environnement bureaucratique, à amorcer le processus de désindustrialisation qui frappe plusieurs pays.

Enfin les règles relatives aux finances publiques et à la fiscalité se sont révélées complètement inappropriées puisqu’aujourd’hui aucune des principales économies de la zone euro n’est en mesure de les respecter. Le principe de l’unanimité en matière de fiscalité directe a permis à des paradis fiscaux de continuer à prospérer au détriment des recettes des autres membres. Les sociétés « boîtes aux lettres » au Luxembourg où il suffit de se faire domicilier pour y localiser ses bénéfices et ne pas payer d’impôt, continuent de prospérer. Les industriels américains et japonais ont, eux, choisi l’Irlande pour faire « emballer » leurs produits et les réexpédier vers leurs clients. Grâce des prix de transferts artificiels, ils y localisent leurs profits et bénéficient, au détriment des autres pays européens, d’un taux d’imposition anormalement bas.  

Les règles de Maastricht sur les finances publiques ont occulté la question essentielle relative aux dépenses : à quoi servent-elles ? Ainsi des pays comme l’Allemagne, avec un budget militaire depuis trente ans autour de 1% du PIB, sont-ils plus vertueux, que la France qui dépense le double ? Vues les tensions internationales actuelles, le constat est accablant. Ce qui doit être prise en compte, c’est l’indépendance vis-à-vis de l’extérieur et la solvabilité des pays, mesurées par leurs balances des paiements courants et par le taux d’épargne financière de leurs ménages. Sur ces deux points, la France et l’Italie, pourtant dénoncés comme de mauvais élèves, ont des résultats satisfaisants et ne constituent donc pas une menace sur la stabilité financière de la zone euro.

Ces principes d’inspiration très libérale, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, ont été accompagnés d’une dérive bureaucratique d’une ampleur unique au monde. Elle découle de la structure des institutions. L’absence d’incarnation à la tête de l’Union a permis à la Commission d’exercer son pouvoir de façon technocratique en multipliant des réglementations ayant de lourdes conséquences sur la vie quotidienne des citoyens comme sur l’activité des entreprises et des exploitations agricoles. Cette dérive a eu aussi un effet néfaste sur la croissance. Comment imposer aux producteurs une multitude de normes qui affectent leurs coûts et leur productivité tout en laissant entrer librement les mêmes produits venant de pays qui ne s’imposent pas de telles normes ?              

N'étant pas soumises à un vote, ces pratiques ont été vécu par beaucoup d’Européens comme un déni des valeurs démocratiques auxquels ils étaient attachés. La manière dont s’est déroulé dans la plupart des pays la campagne pour les élections au Parlement européen a encore accru ce sentiment de rupture. Tout s’est passé comme si, en l’absence de programmes proposés par les candidats, il ne s’agissait que d’un sondage en vraie grandeur avant les prochaines consultations nationales à venir. Le chef de l’Etat, en France, se sentant désavoué, a ainsi dissous l’Assemblée Nationale.  

Le monde a changé. Le projet européen au lendemain de la guerre a permis d’inventer un modèle social qui a offert au continent croissance et prospérité. Il a surtout, après des siècles de conflits ravageurs, assuré la paix entre les peuples. Ce legs historique ne doit pas être oublié. Mais il n’est plus suffisant pour conserver tous ces acquis dans le monde nouveau et violent d’aujourd’hui. Plutôt que de se disputer à propos de ratios budgétaires, au demeurant pas toujours représentatifs des situations réelles, ou de chercher à imposer sa domination sur des activités industrielles, les responsables à Bruxelles comme dans chaque capitale feraient mieux de réfléchir à l’adaptation du modèle européen au nouveau monde dans lequel nous vivons maintenant.

L’Europe est indispensable mais n’est pas parfaite. Son modèle n’avait pas été conçu pour protéger ses membres contre la triple menace d’une nouvelle et vive concurrence chinoise, d’un retrait isolationniste des Etats-Unis et d’une politique agressive de la Russie. Paul Valéry écrivit en 1919 que nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Cette réflexion est d’une grande actualité et il revient aux dirigeants politiques d’en prendre conscience et de réconcilier leurs peuples avec le projet européen. A défaut l’inquiétude de Paul Valéry risque de devenir réalité.