On se souvient de la phrase attribuée au général de Gaulle : « le Brésil est un pays d’avenir et il le restera longtemps ». Peut-être s’était-il inspiré du livre de Stefan Zweig, « Brésil, terre d’avenir », écrit en 1941 peu après s’être installé dans le pays pour fuir le nazisme. La question est toujours actuelle, quand on assiste à la formidable transformation qui est intervenue en Chine et à la vive croissance que connait aujourd’hui l’Inde. Pourquoi un pays doté d’aussi importantes réserves naturelles et qui offre au monde des écrivains, des musiciens ou des architectes comme Oscar Niemeyer exceptionnels qui contribuent à son rayonnement international n’a-t-il pas su construire un modèle de développement lui permettant de devenir enfin une grande puissance économique ?
Le parcours politique a été mouvementé, les régimes démocratiques étant parfois interrompus par des périodes dictatoriales et connaissant régulièrement des crises politiques avec des présidents condamnés. Cette instabilité a été peu propice à une action publique efficace assurant une croissance solide et les équilibres financiers. La prochaine élection présidentielle aura lieu en 2026 et la popularité de l’actuel chef de l’Etat, Lula, est basse tandis que son prédécesseur, Jaïr Bolsonaro, est menacé de lourdes poursuites judiciaires. Personne ne perce réellement au centre de l’échiquier politique, et les responsables de plusieurs Etats qui ont fait jusqu’à présent la preuve sur le terrain de leurs compétences, préfèrent poursuivre leur action locale plutôt que d’être candidats.
La croissance est modeste pour un pays en développement. Elle se situe pour la période 2024-2025 entre 2 et 3%, un niveau insuffisant pour faire sortir de la pauvreté une partie importante de la population. Pour y remédier, le gouvernement a adopté une politique de soutien de la demande avec l’augmentation des transferts sociaux et un accroissement du déficit budgétaire. Mais la banque centrale pour soutenir la monnaie a adopté une politique restrictive avec un taux d’intérêt de base de 14%. Cela n’a pas empêché la devise brésilienne de poursuivre s baisse, surtout contre l’euro, qui a atteint 6,20 réals. L’inflation, qui est un mal récurrent de l’économie brésilienne, n’a pas été vaincue. Elle avait encore dépassé 10% au début de l’année 2022 avant de retomber. Mais elle reste supérieure à 5% suivant les derniers chiffres parus pour le mois de février.
Le commerce extérieur a affiché ces dernières années un excédent supérieur à 40 milliards de dollars mais la nature des échanges traduit l’une des faiblesses structurelles de l’économie brésilienne, sa faible industrialisation. Les exportations sont, pour plus de la moitié, des matières premières et des produits agricoles alors que les importations sont essentiellement constituées de produits manufacturés, pour 40% en provenance de trois pays, la Chine, les Etats-Unis et l’Allemagne. La France ne compte que pour 2% des exportations et que pour 1% des importations du Brésil.
Le modèle énergétique est original avec une consommation d’énergie primaire croissant faiblement (1% en moyenne entre 2013 et 2023), et surtout par habitant deux fois inférieure à celle de la Chine, de l’Inde et des pays européens et jusqu’à quatre fois celle des Etats-Unis. Les émissions de CO2 du secteur de l’énergie sont dix fois plus faibles qu’aux Etats-Unis mais deux fois plus élevées qu’en France. Cela est rendu possible par un mix électrique constitué à près de 50% par les barrages et les énergies renouvelables ce qui a permis à la production d’électricité de passer de 570 à 710 TWh. La consommation de charbon et de gaz naturel est marginale. Grâce à la découverte des gisements en eau profonde au large des côtes, le Brésil dispose maintenant d’abondantes ressources de pétrole. En dix ans, la production est passée de 2 à 3,5 millions de barils par jour ce qui couvre les besoins du pays et a contribué aux excédents de la balance commerciale. A l’époque, les dirigeants avaient perçu l’importance de ces découvertes et certains, avec un peu d’humour, avaient même déclaré que « Dieu était donc brésilien ».
Comment se fait-il alors que ce pays n’ait pas réussi à construire un modèle de développement qui lui permettrait de tenir une place de premier plan dans l’économie mondiale ? On avancera ici deux réponses. La première porte sur la faiblesse de l’industrie manufacturière et l’absence, à quelques exceptions près comme Embraer, d’entreprises ayant su s’imposer sur les marchés mondiaux. L’essor du Japon à partir des années 60 et de la Chine à partir des années 90 a résulté de l’émergence de groupes qui, après s’être imposé dans leur pays, se sont implantés en Europe et aux Etats-Unis, ce qui leur a donné une taille suffisante pour rivaliser avec les producteurs locaux et devenir des acteurs de taille mondiale.
Le cas de l’industrie automobile est révélateur. Il n’y a pas de constructeur brésilien. On peut en dire autant de l’industrie pharmaceutique et bien sûr des biens d’équipement et de l’électronique où le pays est tributaire de l’importation ou de la production sur place d’entreprises étrangères. Si le Brésil est admiré dans le monde entier pour ses créations culturelles, il est largement absent sur les marchés des biens à haute technologie qui sont des sources d’emplois qualifiés et donc générateurs de revenus bien plus élevés pour les ménages. Le Brésil est le grand absent de l’industrie mondiale.
La seconde raison de la faiblesse de son économie tient dans l’incapacité des dirigeants à créer un modèle de prospérité partagée. Le pays est profondément inégalitaire. C’est flagrant dans les grandes métropoles où autour des quartiers où les logements sont luxueux et l’activité commerciale fait une large part aux produits de haut de gamme, il existe d’immenses zones qu’on appellerait en France des « bidonvilles » et qui sont les fameuses « favellas ». L’absence de réglementation en matière d’urbanisme a permis leur réalisation, souvent effectuée par des travailleurs du secteur de la construction, qui quittaient provisoirement leur emploi pour construire eux-mêmes leur logement.
Il y a donc bien deux Brésil. Les emplois créés sont peu qualifiés et les revenus insuffisants pour générer une demande intérieure favorisant le développement des entreprises locales. En acquérant une taille mondiale, elles créeraient suffisamment de richesse pour nourrir la croissance du pays grâce à l’élévation générale du niveau de vie. Ce n’est pas le cas, à la différence de ce qui s’est passé en Europe, aux Etats-Unis et dans plusieurs pays d’Asie. Ces profondes inégalités ont été aussi à l’origine de désordres et de crises politiques mais les différents régimes qui se sont succédés n’ont pas trouvé la réponse appropriée.
Elle passe d’abord par l’école et la formation professionnelle. Les millions d’enfants vivants loin des grands centres urbains ou dans les « favellas » ne bénéficient pas du même enseignement, quand il existe, que ceux des quartiers chics de Rio de Janeiro ou de Sao Paulo où les fils et les filles des banquiers, des avocats ou des médecins, profitent de lycées et d’universités d’un niveau tout à fait comparable à ce que l’on trouve dans les pays développés. Mais ils ne sont pas assez nombreux pour construire un modèle économique basé sur des entreprises capables de générer la croissance forte indispensable au développement du Brésil.
Grâce à ses richesses naturelles et une élite qui n’a rien à envier à celle des pays riches, le Brésil est évidemment un pays d’avenir. Mais une large majorité de sa population n’est pas concernée. Aux dirigeants de trouver les moyens d’y remédier.