On se souvient. C’était en 1974. Richard Nixon dut démissionner de la présidence des Etats-Unis. Il avait été alors prouvé que son parti, avec son soutien, avait espionné en 1972 son concurrent, le candidat démocrate, lors de la campagne présidentielle qui l’avait mené à la Maison Blanche. Le lieu de ces méfaits était un immeuble situé à Washington, le Watergate Office Building, d’où le nom, repris par les médias et aujourd’hui par l’histoire du scandale. Près de vingt ans plus tard, le président Clinton fut accusé d’avoir entretenu une relation sexuelle avec l’une de ses collaboratrices, Monica Lewinski. Par analogie, et compte tenu du caractère choquant de cette révélation, l’affaire fut baptisée le « Monica-Gate » et la référence sera encore employée à plusieurs reprises. Mais cela n’empêcha pas le président de terminer son mandat.
Le fait dominant de l’équipe présidentielle qui a emménagé à la Maison Blanche au mois de janvier est l’exceptionnelle relation qui lie Donald Trump à l’homme le plus riche du monde, Elon Musk. Il doit sa fortune à la réussite de ses voitures électriques, les Tesla, dont la capitalisation boursière s’est envolée, puis de ses fusées Star X. Cette fortune lui a permis d’entrer sur le marché des réseaux sociaux en acquérant Twitter, rebaptisé X, et de disposer de leviers d’influence à l’importance croissante. Même si cet homme n’a pas de titre public officiel, le président ne cesse de s’afficher avec lui et lui a confié la mission de faire des coupes significatives dans les dépenses publiques.
C’est ainsi que fut créé le « Department of Government Efficiency (DOGE) » et Elon Musk s’en est vu confier la charge. Cela a très vite abouti à l’annonce de réductions drastiques de dépenses (100 milliards de dollars), à la suppression d’institutions et à des dizaines de milliers de licenciements. Plusieurs de ces mesures ont fait l’objet de contestations devant la justice et certaines ont été annulées. Les effets budgétaires restent pour l’instant modestes puisqu’il vient d’être annoncé que les dépenses avaient quand même progressé de 40 milliards (+7%) en février. Le soutien sans faille du président à son conseiller officieux, n’a fait que renforcer leur relation, malgré l’hostilité croissante des administrations concernées.
Mais la multiplication des décisions, parfois annulées le lendemain même, de Donald Trump commencent à faire peser une certaine inquiétude sur les perspectives de croissance de l’économie américaine et elles constituent une menace pour plusieurs activités industrielles comme l’automobile. L’abandon de toute ambition en matière de réduction des gaz à effet de serre, le soutien sans ambiguïté apporté au développement des énergies fossiles jette aussi un doute sur l’avenir des véhicules électriques aux Etats-Unis. L’impopularité croissante du président américain et de son proches conseiller provoque chez les consommateurs des pays frappés par des mesures douanières, des comportements de boycott de produits américains et donc de Tesla. Cela est en train de s’étendre aux réseaux de satellites de communication Starlink, mis en orbite par les fusées d’Elon Musk. Si l’Inde, soucieuse de se rapprocher des Etats-Unis a confirmé son intérêt, il n’en est plus de même en Europe et surtout en Italie qui songe à abandonner sa coopération pour revenir vers Eutelsat.
La nouvelle politique économique américaine inquiète et cela peut avoir aussi des répercussions sur la croissance de ses partenaires commerciaux traditionnels. La Banque de France vient ainsi de réviser sa prévision de croissance pour 2025 à 0,7% contre 0,9% prévu initialement. Le doute est tout aussi réel Outre-Atlantique. Les chiffres de l’emploi en février sont décevants et ne risquent pas de s’améliorer à la suite de l’action du DOGE. La croissance devrait être nettement inférieure à 2% en 2025 alors que l’inflation peine à revenir à 2%, objectif de la Reserve Fédérale. La situation risque de s’aggraver avec les conséquences sur les biens de consommations importés de l’augmentation des droits de douane décidées à l’encontre du Canada, du Mexique et de l’Union Européenne.
On ne doit donc pas s’étonner si l’on assiste à un revirement des marchés financiers. Wall Street avait accueilli avec satisfaction l’élection de Donald Trump à la fin de l’année dernière. Le Dow Jones et le Nasdaq avaient ainsi atteint des records. On ne manquait pas de souligner le décrochage de l’Europe à l’égard des Etats-Unis en s’appuyant sur l’écart d’évolution des indices des deux côtés de l’Atlantique. La situation a aujourd’hui bien changé avec un sévère retournement : les deux indices ont rechuté de 10 et 12% par rapport à leurs sommets. Le jugement est de plus en plus critique vis-à-vis de la politique économique de Donald Trump et l’une des valeurs la plus affectée a été Tesla.
Après l’enthousiasme qu’avait suscité le résultat de l’élection en novembre et qui avait porté le titre au plus haut à 488$, il était retombé à 233$ le 10 mars dernier, soit une baisse de plus de 50%. Elon Musk a ainsi en quelques mois perdu plusieurs centaines de milliards de dollars. Aux perspectives décevantes de l’économie américaine s’est ajouté l’hostilité des consommateurs vis-à-vis du propriétaire de la marque. Dès la fin de l’année dernière, on a assisté une chute brutale des immatriculations en Europe et en Chine. Conscient de la situation, le président américain s’est fait filmer en train de monter dans un nouveau modèle et a même annoncé qu’il allait en acheter un. Mais il y a peu de chances que ce geste de solidarité convainque beaucoup de clients potentiels.
La relation entre les deux hommes devrait forcément être affecté. L’action d’Elon Musk à la tête du DOGE commence à inquiéter l’entourage du président. Les nombreux contentieux judiciaires provoqués par les suppressions d’emplois ou d’institutions publiques sont invoqués à la Maison Blanche pour expliquer l’impopularité croissante du président. Elon Musk ne peut rester indifférent aux menaces qui pèsent sur Tesla ou sur Star Link, menaces directement liées à sa proximité avec Donald Trump et à la tâche que celui-ci lui a confié. Dès lors on ne peut exclure une rupture, voire un divorce.
Qui en prendra l’initiative ? Le président américain n’a pas montré par le passé une grande capacité à reconnaître ses erreurs. Sa volonté de débureaucratiser l’administration serait probablement mieux accueillie si la méthode employée était moins brutale. Mais retirer sa confiance à Elon Musk pourrait apparaître comme un aveu de faiblesse tout à fait incompatible avec sa conception du pouvoir, même si autour de lui, une telle mesure ne manquera pas de lui être proposé.
La situation d’Elon Musk est différente. C’est sa réussite professionnelle et financière qui est en question si du fait de sa présence auprès de Donald Trump, elle est gravement affectée. Or il y a bien peu de chances qu’en Europe, l’image de l’administration américaine soit réhabilitée et surtout la concurrence chinoise sur le marché des véhicules électriques qui va forcément s’intensifier, est de nature à mettre en question l’existence même de Tesla. Son fondateur ne peut pas l’ignorer. S’il devait y avoir rupture ou divorce, quelle que soit la forme employée, l’initiative a plus de chances de venir de l’homme d’affaires que du leader politique.
Mais les conséquences seraient spectaculaires, tant les débuts du second mandat de Donald Trump ont été marqués par la place qu’a occupé cette relation unique dans l’histoire politique américaine. C’est pourquoi, en l’absence de tout caractère scandaleux, en dépit des multiples conflits d’intérêt auxquels elle a donné leu, on pourrait alors peut-être parler de « Tesla-Gate ».