Au moment où aux Etats-Unis on assiste à un retour du protectionnisme et à la mise en oeuvre d’une politique économique visant à rendre l’Amérique à nouveau grande (MAGA) et basée sur l’unilatéralisme, la Chine, lors de la dernière réunion des pays membres du BRICS, vante les mérites de la mondialisation, du multilatéralisme et des coopérations gagnants-gagnants entre les pays. Quand Washington sort de l’Accord de Paris et critique ouvertement les organisations internationales, Pékin renforce sa participation à celles-ci en s’intégrant davantage dans l’Organisation Mondiale du Commerce et en renforçant sa politique de lutte contre les dérèglements climatiques.
Ce qui pourrait apparaître comme un paradoxe est en réalité la conséquence de la transformation du modèle économique chinois. Sa croissance avait longtemps résulté des avantages que conféraient à son industrie une main d’œuvre avec de très bas salaires. Les entreprises du monde entier, les groupes américains en tête, avaient délocalisé leurs chaines de production pour en profiter et réexportaient vers leurs clients les produits finis ou les pièces détachées qu’ils n’auraient plus qu’à assembler dans les usines de leur pays d’origine.
La Chine est en train de s’adapter à ce nouvel environnement international et a choisi de transformer son modèle économique avec des résultats qui sont largement sous-estimés en Europe comme aux Etats-Unis. La croissance reste élevée et supérieure, depuis le début de l’année à 5%, niveau qui constitue l’objectif du gouvernement. Même si les prévisions réalisées par les organismes occidentaux tablent sur un ralentissement en 2026, à environ 4,5%, cette croissance restera plus de deux et trois fois supérieure à ce qui est attendu aux Etats-Unis et en Europe.
L’inflation est voisine de zéro depuis près de deux ans et la dette publique est maîtrisée. Elle s’élevait à la fin de l’année 2024 à 68,7% du PIB. Ce ratio inclut les prêts consentis par les autorités locales, notamment aux promoteurs immobiliers, qui ont très peu de chances d’être un jour remboursés. La Banque Centrale a réduit dans ses réserves de changes le volume des Bons du Trésor américains (baisse de 25,7 milliards en juillet pour attendre 737,3 milliards, soit le plus bas niveau depuis 2009). Mais elle a privilégié une relative stabilité vis-à-vis du dollar et s’est donc déprécié d’environ 8% face à l’euro.
Malgré ces résultats, le taux de chômage en milieu urbain demeure supérieur à 5%. La consommation des ménages reste un soutien de la croissance, avec des hausses durant les huit premiers mois par rapport à l’année précédente des ventes de biens de 4,6% et de 5,1% pour les services. En revanche le secteur immobilier ne se redresse pas en raison du vieillissement de la population avec l’allongement de la durée de vie et la baisse de la natalité malgré l’abandon de la politique de l’enfant unique. La crise toujours présente dans les grandes métropoles résulte de la non prise en compte par les promoteurs de ce changement démographique qui génère un fort ralentissement de la demande de logements et a donc conduit à l’accumulation de propriétés non vendues.
Malgré un environnement international très défavorable, le commerce extérieur et l’investissement industriel et dans les équipements publics sont les principaux moteurs de la croissance. Sur les huit premiers mois de l’années, le volume des échanges extérieurs a atteint 4 140 milliards de dollars en hausse de 3,5% sur un an. Mais ce chiffre recouvre une forte disparité entre les exportations qui ont cru de 6,9% et les importations qui ont diminué de 1,2%, ce qui a généré un excédent de près de 800 milliards de dollars.
Ces tendances, malgré un contexte international de plus en plus tendu, sont en nette accélération depuis le début de l’année mais ils comportent aussi de très fortes disparités qui donnent de précieuses indications sur les changements en cours dans l’économie chinoise. Il y a d’abord l’amorce d’un redéploiement géographique significatif. Sur les huit premiers mois de l’année, les échanges avec les Etats-Unis ont baissé de 14,4%, avec des réductions de 15,5% des exportations et de 11% des importations. Avec l’Union Européenne, exprimés en dollars, les chiffres correspondants sont de +2,5%, de +5,9% et de -2,2%.
A l’inverse, le commerce avec l’ASEAN a cru de 8,6% avec des exportations en hausse de 14,4%. Même l’Inde, qui avait eu pendant longtemps des relations difficiles avec Pékin, mais qui s’étaient améliorées lors du sommet de Shanghai, est rentré dans le cercle de ses grands partenaires commerciaux. Les échanges ont progressé de 10,4% et les exportations des entreprises chinoises de 12,8%. Ces différentes évolutions reflètent la transformation en cours de l’industrie chinoise. Elle est de plus en plus en mesure de vendre ses productions sur les marchés développés ou émergents.
Mais ce n’est pas tout. Ses entreprises ont, à l’image de leurs concurrents occidentaux, adopté des stratégies de délocalisations, non pour faire revenir leur production dans le pays d’origine mais pour servir des centaines de millions de nouveaux clients. Pour atteindre cet objectif, elles disposent d’outils de production intégrant les nouvelles technologies qu’elles exportent aussi chez leurs partenaires commerciaux. Les ventes à l’étranger de biens finis industriels et d’équipements mécaniques ou électroniques ont progressé de 9,2% depuis le début de l’année et représentent désormais 60,2% des exportations chinoises alors que celles à forte intensité de main d’œuvre qui avaient été longtemps le fer de lance du commerce extérieur chinois ont diminué de 1,5% durant la même période.
On retrouve le même basculement dans les choix d’investissement des entreprises. Ceux-ci, dans trois secteurs clés (services informatiques, aéronautique, automobile et biens d’équipement, et équipements de traitement de l’information) ont progressé respectivement depuis le début de l’année de 34,1%, de 28,0% et de 12,6%), ce qui a compensé les effets de la chute des investissements dans l’immobilier. Ces choix ont largement profité à l’industrie locale puisque depuis le début de l’année et par rapport à l’année passé la production d’imprimantes 3D, de véhicules électriques et de robots industriels ont augmenté respectivement de 40,4%, de 22,3% et de 14,4%. Ainsi, par exemple, le nombre de véhicules exportés en 2025 devrait atteindre 7 millions.
Cette transformation ne s’est pas faite au détriment de la lutte contre le dérèglement climatique, à la différence des Etats-Unis. L’électrification du pays s’est poursuivie avec un recours massif aux énergies renouvelables, les panneaux solaires en tête. Les investissements dans le réseau électrique ont permis de relier ces nouvelles sources de production situées dans le centre du pays aux grandes zones de consommation à l’est et dans le sud. Cette politique, avec les progrès en matière de captation du carbone pour réduire les émissions des centrales à charbon, devrait contribuer à la réalisation des objectifs du pays de stabilisation de ses émissions de CO2, et offrir de nouvelles perspectives de croissance pour ces secteurs stratégiques.
La Chine est ainsi devenue une grande puissance industrielle. Elle y est parvenue grâce à la capacité de recherche et d’innovation des centaines de milliers d’ingénieurs et de techniciens qu’elle forme chaque année. La taille de son marché intérieur lui confère un avantage décisif tout comme le profond changement de comportement de ses consommateurs. Dans le passé, posséder un bien doté d’une marque étrangère contribuait à l’élévation du statut social de son détenteur. Cette situation est en train progressivement de disparaître.
Pour faire face à cette situation nouvelle, il convient d’abord d’en prendre conscience pour ensuite trouver les solutions pour s’y adapter. C’est le défi qui est lancé à l’industrie européenne.