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Le blog d'Alain Boublil

 

Vers la récession ?

La critique systématique des réussites françaises est injustifiée et doit être dénoncée. Mais cela ne saurait empêcher de porter un jugement sur la conjoncture actuelle, sur les erreurs commises jusqu’à présent et les risques qu’elles représentent. La publication de la première estimation de la croissance au 1er trimestre en donne l’occasion. Avec une augmentation de 0,1% après une baisse du même montant au trimestre précédent, en apparence, l’économie française stagne depuis six mois mais cette analyse est trompeuse.

Cette modeste hausse du PIB provient d’une augmentation des stocks détenus pas les entreprises en attente de livraison aux clients (+0,5%). Elle ne résulte donc pas de biens vendus et payés contribuant ainsi à la création de richesse du pays. Sauf, ce qui est improbable, si ces stocks continuent à s’accroître les prochains trimestres, leur réduction pèsera sur la production des prochains trimestres ce qui, compte tenu de la très faible croissance enregistrée depuis six mois, pourrait aboutir à une véritable récession.

Ce ne serait pas un cas isolé en Europe puisque l’Allemagne est dans une situation analogue, largement en raison de sa dépendance passée au gaz russe et du poids de ses exportations de produits manufacturés. Elles sont menacées par les droits de douane annoncés aux Etats-Unis et surtout par la montée en puissance de l’industrie chinoise qui devient une concurrente majeure. Mais la comparaison s’arrête là car les causes des mauvaises performances de l’économie française relèvent plus des erreurs de la politique économique conduite ces dernières années que de facteurs externes.  

La consommation des ménages a stagné au 1er trimestre, l’augmentation des dépenses d’énergie et de services a été compensée par la baisse des dépenses alimentaires et de biens fabriqués. Ce dernier poste est probablement révélateur d’une tendance à long terme découlant du vieillissement de la population. A partir d’un certain âge, on est moins tenté de renouveler ses équipements ménagers ou son véhicule. On ne dispose pas encore des chiffres relatifs à l’épargne mais il est très probable que le niveau très élevé observé en 2024 (18,2% du revenu disponible brut) soit conservé. Mais elle devrait surtout concerner l’épargne financière car la chute des mises en chantier de logements s’est poursuivie et la FBCF des ménages qui avait baissé de 5,7% en 2024 a à nouveau diminué au 1er trimestre (-0,3%).

On attribue souvent cette hausse de l’épargne financière aux inquiétudes nées de la situation internationale. L’explication n’est pas suffisante. Elle résulte aussi du creusement des inégalités de revenus. Les dépenses nécessaires de consommation sont bien inférieures aux ressources d’un nombre croissant de ménages et ceux-ci n’ont d’autres solutions que de placer leur argent. Rapporté au revenu disponible brut, le taux a atteint un record en 2024 (8,8%) et la tendance persiste avec des niveaux de dépôts dans les différents plans d’épargne et des souscriptions aux programmes d’assurance-vie très élevés depuis le début de l’année.

Les entreprises n’ont pas davantage contribué à la croissance puisque leurs investissements n’ont pas augmenté alors que leur situation financière n’a cessé de s’améliorer en 2024 avec un taux de marge de 32,4% et un taux d’autofinancement de 87%. Là encore, on est en présence d’une déconnexion entre la situation financière des agents économiques et leur contribution à la croissance qui devrait en découler.  Le parallèle avec les ménages est instructif. L’enrichissement des entreprises est en réalité très inégalitaire et concentré sur les grands groupes comme en témoignent les dividendes records distribués et les rachats massifs d’actions opérés.

En outre l’amélioration de la situation financière des entreprises n’a eu aucun effet sur nos échanges extérieurs de biens qui restent lourdement déficitaires depuis le début de l’année. Malgré l’amélioration de la balance énergétique grâce à la reprise des exportations d’électricité et la baisse des cours du pétrole, le déficit mensuel reste en moyenne autour de 7 milliards d’euros. Aucune amélioration n’est enregistrée concernant les produits manufacturés alors que la politique menée depuis plus de dix ans visait en allégeant les charges des entreprises à renforcer leur compétitivité et à regagner des parts de marché à l’international.

Enfin les conséquences sur l’emploi commencent à se faire sentir puisque le niveau du chômage, une fois pris en compte les changements de méthode statistique, ne cesse de repartir à la hausse. Demande intérieure insuffisante et stratégie financière des entreprises ne permettent pas d’être optimiste pour son évolution jusqu’à la fin de l’année, ce qui constituera un facteur supplémentaire de freinage de l’activité.

La situation des finances et de l’endettement publics, largement causée par les transferts réalisés au profit des entreprises que les augmentations passées d’impôt n’ont pu combler, demeure préoccupante et ne laisse aucune possibilité à l’Etat d’engager une action pour soutenir la croissance dans l’avenir. La seule bonne nouvelle est le maintien d’une très faible inflation (0,8% au mois d’avril sur un an en données harmonisées) ce qui fait de la France l’un des meilleurs élèves de la zone euro. Mais le maintien de taux d’intérêt par la Banque Centrale Européenne supérieurs à 2% pénalise l’économie française qui, à la différence de l’Allemagne doit subir des taux réels positifs, ce qui là encore, n’est pas bon pour la croissance.

Aucun élément ne permet de croire à une reprise économique puisque la richesse créée est mal répartie et ne profite ni à la consommation, ni à l’investissement et à un moment où l’Etat est obligé de mener une politique budgétaire restrictive. Les dirigeants politiques doivent d’abord abandonner cette habitude qui veut que chaque fois qu’un problème apparait il faille annoncer des dépenses nouvelles ou créer un organisme public chargé de le résoudre. Ensuite l’indispensable effort de réduction des déficits doit allier des mesures simples et indiscutables avec des engagements pluriannuels permettant de faire accepter plus facilement des mesures impopulaires.

Le relèvement progressif du plafond de cotisations affectées aux retraites du régime général permettra de rétablir son équilibre financier sans affecter les régimes complémentaires dont l’accumulation des excédents est injustifiée. De même la limitation du crédit-impôt-recherche aux secteurs productifs en s’appuyant par exemple sur la nomenclature précise établie par l’INSEE permettra d’en réduire le coût. Il n’est pas logique qu’il bénéficie à la Poste, aux supermarchés ou aux banques.

Les pistes de réduction de dépenses ou d’avantages fiscaux sont nombreuses. On peut aussi citer les multiples avantages consentis aux énergies éoliennes et solaires ou aux véhicules électriques alors que la France est parmi les principales économies celle qui est la plus décarbonée. C’est l’acceptation des décisions qui les rend difficiles à mettre en place et c’est donc à l’Etat de trouver la bonne manière pour faire adopter les efforts indispensables pour redresser les comptes publics sans aggraver les pressions sur une économie en difficulté, dans un environnement international défavorable et souffrant des conséquences des mauvais choix passés.

L’Etat n’a plus le choix. Il est confronté à une situation inédite : comment soutenir l’économie pour éviter qu’elle tombe en récession tout en rétablissant l’équilibre des comptes publics. Les solutions ne manquent pas mais c’est la méthode qui jusqu’à présent a constitué le principal obstacle. La reconnaissance des erreurs passées où figurent en bonne place les excès de la politique de l’offre fournit une première réponse. Privilégier l’action, même si elle est moins visible parce qu’espacée dans le temps et plus discrète, sur la communication qui permet de se faire inviter sur les plateaux télévisés, constitue une seconde réponse. A défaut, la France s’enfoncera dans la récession, avec toutes ses conséquences politiques.