Alors que les tensions internationales se multiplient, il n’est pas inutile, compte tenu du poids de la Chine dans l’économie mondiale, d’observer comment le pays traverse ces crises et dans quelle mesure il serait affecté. Les chiffres de la croissance au 1er trimestre viennent d’être publiées. Avec un taux de 5,4%, par rapport au 1re trimestre 2024, ce résultat est supérieur à l’objectif officiel de 5%. Compte tenu de l’acquis de croissance obtenu à la fin de l’an dernier, il serait logique de penser que cet objectif sera atteint. Au contraire, le Fonds Monétaire International vient de réviser à la baisse, de 4,6 à 4% sa prévision. L’explication parfois avancée est que ces chiffres résulteraient de l’anticipation des hausses de tarifs douaniers et d’une augmentation artificielle des exportations. Qu’en est-il réellement ?
Le volume du commerce extérieur est resté pratiquement stable (+1,4%) mais cette stabilité recouvre une forte augmentation des exportations (+6,9% sur un an) soit 834 milliards de dollars, alors que les importations baissaient de 6% soit 567 milliards, traduisant une faible demande intérieure. Le solde excédentaire a ainsi atteint 267 milliards. Les évolutions par régions montrent une croissance des exportations vers les pays développés (Etats-Unis +5,6% et Union Européenne +4,9%) qui s’inscrit dans la tendance de long terme et surtout une augmentation bien plus importante (+9,2%) vers les pays de l’Asie du Sud-est (ASEAN).
Même si l’on ne peut exclure qu’il y ait eu une anticipation des livraisons vers les Etats--Unis provoquée par la hausse annoncée des droits de douane, ce n’est pas suffisant pour expliquer la croissance du PIB chinois. Au contraire, l’intensification des échanges avec ses pays voisins est un fait durable puisqu’il résulte de la création de nouvelles chaînes de production. Elles devraient constituer dans l’avenir un facteur de croissance capable d’atténuer les conséquences de la guerre commerciale déclenchée par les Etats-Unis et qui pourrait perdurer, même si une désescalade dans ces tensions devait intervenir.
L’autre moteur de la croissance a été l’investissement avec une forte hausse dans le secteur des biens manufacturés (+9,1% sur un an). Les infrastructures progressent moins (+5,8%) et le secteur immobilier poursuit sa chute (-9,9%). Le gouvernement n’a toujours pas trouvé les remèdes à cette crise qui dure. En revanche, le secteur des hautes technologies connait une forte croissance de la production (+10%) et une accélération des investissements, avec des augmentations parfois supérieures à 20%, comme dans l’aéronautique et les biens d’équipement. La baisse des investissements des entreprises étrangères (-9,5%) a été compensée par la progression de ceux opérés par les entreprises de Hong Kong, de Macao et de Taiwan (+10,8%).
Le secteur des services connait une croissance au 1er trimestre de 5,3% en légère accélération par rapport au trimestre précédent. Il est lui aussi tiré par l’effort de modernisation des entreprises avec une forte hausse des dépenses en services informatiques et en traitement et transmission de l’information (+10%). En revanche, les métiers de services destinés aux ménages (santé, hôtellerie, restauration) ne croissent que d’environ 5%.
La consommation des ménages a cru de 4,6%, soit une légère accélération par rapport à l’année 2024 où, au total elle n’avait progressé que de 3,5%. L’inflation reste extrêmement faible avec une hausse de 0,1% au 1er trimestre comme l’inflation sous-jacente (hors énergie et produits alimentaires) avec 0.3%. Le gouvernement a lancé deux programmes de soutien de la consommation des ménages avec des financements appropriés, l’un encourageant le recours aux services (tourisme, activités culturelles), l’autre pour susciter l’achat de biens d’équipement des ménages (meubles, voitures, électroménager). C’est la politique du « old-for-new » incitant les familles à accélérer le remplacement de leurs biens d’équipement avec des avantages fiscaux. La situation de l’emploi en milieu urbain est restée stable avec un taux de chômage qui se maintient autour de 5%.
Dans un contexte de tension internationale, les autorités chinoises poursuivent donc une politique expansionniste et contracyclique. Le ministère des finances a annoncé une augmentation du déficit budgétaire pour soutenir la croissance. Des fonds vont être alloués à des institutions publiques pour qu’elles se portent acquéreurs sur les marchés financiers d’actions de sociétés opérant dans des secteurs stratégiques.
Des transferts importants en faveur des collectivités locales vont également être engagés afin de les aider à sortir de la crise immobilière grâce à l’émission de titres de dette à très longue maturité. Avec ces nouveaux moyens financiers, elles pourraient procéder à l’acquisition de biens et de terrains détenus par des promoteurs en crise pour relancer des projets de construction de logements facilement accessibles pour la population.
La banque centrale devrait aussi procéder à de nouvelles baisses de taux d’intérêt en 2025 de 30 à 40 points de base et à une réduction du taux de réserve obligatoire. La stabilité de la devise chinoise témoigne de la confiance des marchés et facilite l’adoption d’une politique monétaire de plus en plus accommodante afin de soutenir la croissance du pays.
L’économie chinoise, est donc bien moins affecté par les annonces de hausse des droits de douane qu’on aurait pu le craindre, alors que le pays est devenu la principale cible de l’administration américaine. Il est trop tôt, puisque ces droits viennent à peine d’être instaurés, pour en mesurer toutes les conséquences mais trois enseignements peuvent être tirés de l’analyse des dernières données publiées.
Le premier, c’est que l’économie chinoise est bien plus résiliente qu’on aurait pu le penser. L’investissement reste un moteur de la croissance et les entreprises n’ont pas adopté de comportements attentistes. Les efforts dans le domaine des hautes technologies n’ont pas été freinés et le pays dispose à cette fin des centaines de milliers d’ingénieurs et de techniciens qui sont formés chaque année et d’un très large marché intérieur, ce qui est un facteur supplémentaire de compétitivité.
Le deuxième enseignement concerne l’adoption d’outils de politique économique, monétaire et budgétaire, inspirés de ce qui est pratiqué depuis longtemps dans les pays développés. La Chine est un pays présent sur les marchés financiers internationaux et elle les utilise comme dans n’importe quelle économie capitaliste.
Le troisième enseignement, et peut-être le plus porteur de conséquences à long terme sur le plan international est la transformation du modèle chinois de production. Elle ne se limite plus à la conversion de ce qui était jusqu’à présent « l’usine du monde » pour en faire le berceau d’entreprises compétitives capables de s’imposer sur le marché mondial. Le cas de l’industrie automobile en fournissait un bel exemple. Cette transformation comporte maintenant une dimension géographique.
Jusqu’à présent c’étaient les fortes relations commerciales et industrielles avec les Etats-Unis et l’Union Européenne qui étaient au cœur de l’économie chinoise. Aujourd’hui, et ce ne peut que s’amplifier si l’administration américaine persiste dans sa volonté de traiter la Chine en ennemi, on assiste à un développement spectaculaire des relations commerciales avec les pays d’Asie du sud-est. Les échanges cumulés de la Chine avec le Vietnam, la Malaisie, la Thaïlande et l’Indonésie sont désormais supérieurs à ceux avec les Etats-Unis ou avec l’Union Européenne.
L’économie chinoise résiste mieux qu’on aurait pu le penser à l’environnement international actuel alors que le pays est confronté à des difficultés intérieures structurelles comme l’évolution démographique et doit aussi payer les conséquences des erreurs commises dans l’immobilier. Mais les derniers chiffres de la croissance montrent qu’il est en mesure d’y faire face. Il serait peut-être temps que ses partenaires historiques en prennent conscience, car, sinon, ils risquent d’être les premières victimes de leur protectionnisme.