Vous n’êtes pas encore inscrit au service newsletter ?

Inscription

Se connecter

Mot de passe oublié? Réinitialiser!

×

AB 2000 Site d'analyse

Le blog d'Alain Boublil

 

Sortir de la crise des retraites

Le rétablissement de l’équilibre du régime général des retraites constitue depuis près de trois ans un facteur majeur d’instabilité politique en France. La décision intervenue en 2023 de repousser l’âge légal du départ en retraite à 64 ans a généré un profond mécontentement qui n’a pas été sans conséquences sur le résultat des élections européennes de 2024. Les élections législatives qui ont suivi la dissolution décidée par le président de la République ont traduit à nouveau ce mécontentement et privé le pays d’une majorité à l’Assemblée Nationale. Le nouveau gouvernement nommé à l’issue de ces élections a ensuite été censuré en proposant un projet de loi de financement de la sécurité sociale qui confirmait le report à 64 ans.

Le président de la République a dû nommer un nouveau Premier ministre. Celui-ci, pour gagner du temps, a confié à un « conclave » rassemblant les partenaires sociaux le soin de proposer un ensemble de mesures permettant le rétablissement des comptes et le délai qui lui a été fixé s’achève cet été. Pour l’instant aucun progrès n’apparait et plusieurs participants ont décidé de ne plus siéger. Chaque déclaration publique d’un responsable politique sur ce sujet provoque des polémiques comme les propos du Premier ministre excluant le retour à un âge de départ à 62 ans.

La nécessité de rétablir l’équilibre du régime général et de le sécuriser à long terme n’est pas discutable. L’état des finances publiques de la France ne peut pas indéfiniment se dégrader et chaque cause du déficit doit faire l’objet de remèdes. C’est particulièrement vrai pour les retraites, confrontées à un phénomène structurel de hausse des charges dû à l’allongement de l’espérance de vie et à la démographie. La pyramide des âges en France est en train de s’inverser avec une diminution de la part de la population en âge de travailler, donc de cotiser, et une augmentation continue de la part de la population âgée de plus de 60 ans.

Mais cette situation ne doit pas faire l’objet de caricatures destinées à convaincre les intéressés d’accepter des mesures impopulaires. Un ancien haut fonctionnaire, J.P. Beaufret a publié une étude visant à montrer que le déficit des retraites était encore bien plus important parce qu’il fallait lui ajouter la charge budgétaire constituée par le paiement des retraites des fonctionnaires. Le déficit s’alourdirait de plus de 40 milliards d’euros. Ce raisonnement n’a pas été validé par le Conseil d’Orientation des Retraites.  

Cette institution publie régulièrement des statistiques et des prévisions relatives à la situation du régime général des retraites. Ses conclusions justifient que des décisions soient prises pour corriger des évolutions qui aggraveraient l'état des finances publiques du pays au moment où il est indispensable, au contraire, de réduire les déficits. Mais les gouvernements successifs, jusqu’à présent, ont concentré les réflexions et les solutions sur la fixation de l’âge légal de départ en retraite. C’est une erreur majeure pour trois raisons.  

La première, c’est que cette mesure est profondément impopulaire et plonge depuis deux ans le pays dans une crise politique sans précédent sous la Vème République au moment où le contexte international nécessiterait au contraire stabilité et cohésion nationale. La deuxième raison, c’est que sur le plan économique cette mesure est discutable. L’augmentation structurelle du déficit du régime général est réelle. Il est passé de 1,3 milliard en 2023 à 3,9 milliards en 2024 et devrait atteindre 7,7 milliards en 2025 suivant la Sécurité Sociale. Mais l’allongement progressif des durées de cotisation ne procurera pas la diminution escomptée des déficits. Le taux d’activité des salariés de plus de 60 ans est faible car les entreprises préfèrent se séparer d’eux en cas de réduction d’effectifs. Ils devront avoir recours plus longtemps à leurs indemnités de chômage avant de toucher leur retraite. Il y aura donc un transfert de charges, mais pas une réduction. En outre, les emplois qui resteront occupés plus longtemps réduiront l’offre de travail, au détriment des chômeurs et des jeunes qui cherchent du travail alors que le taux de chômage reste supérieur à 7%.

Troisièmement, l’augmentation de l’âge de la retraite n’est pas la seule manière de réduire les déficits. Trois autres solutions sont possibles. Il y a d’abord, et c’est ce qui a permis de faire apparaître un excédent momentané en 2022, la sous-indexation des pensions. Elle serait tout aussi impopulaire si elle devenait systématique. Il y a ensuite l’augmentation des cotisations des entreprises et des salariés. Si elle est modeste et si elle n’est pas répétitive, elle peut contribuer à freiner la hausse du déficit mais cela ne peut suffire.

La dernière possibilité, dont personne ne parle, c’est de jouer sur la base des cotisations du régime général. Jusqu’à un certain niveau, appelé le plafond, le produit des cotisations finance le régime général. Et quand les salaires sont supérieurs à ce plafond, le produit alimente les régimes complémentaires, l’AGIRC-ARRCO pour le secteur privé et l’IRCANTEC pour les employés contractuels de l’Etat. On est aujourd’hui dans une situation paradoxale à savoir que pendant que le régime général est en déficit, les régimes complémentaires connaissent des excédents structurels et accumulent des réserves considérables.

L’AGIRC-ARRCO dispose de 86 milliards et a dégagé durant l’exercice 2024 un excédent de 1,6 milliards auquel s’ajoutait un résultat financier de 3 milliards. L’IRCANTEC a des réserves de 13 milliards et a enregistré en 2023 un bénéfice de 1,3 milliard dont 800 millions au titre de ses placements financiers Selon le dernier rapport du COR, les réserves de l’ensemble des régimes de répartition avaient atteint à la fin de l’année 2023 199,2 milliards auxquelles s’ajoutaient celles du Fonds de Réserve des Retraites entre les mains de l’Etat à hauteur de 21,2 milliards. Tout se passe comme si, en choisissant un niveau du plafond des cotisations du régime général trop bas, on accroissait artificiellement son déficit tout en remplissant les caisses des autres organismes.

Or cette accumulation n’a aucune justification financière. A l’avenir, la France créera de plus en plus d’emplois qualifiés et l’élévation des salaires profitera automatiquement aux régimes complémentaires tout en ne produisant aucune ressource nouvelle au régime général si le plafond n’est pas relevé. En outre cette situation n’est pas sans risques. Les réserves étant essentiellement placées sur les marchés financiers, on peut craindre qu’en cas de crise, une partie d’entre elles disparaisse.

On invoque souvent le fait que ces régimes complémentaires étant gérés par les partenaires sociaux, cela constitue une garantie et surtout cela offre un bon exemple de collaboration entre les syndicats de salariés et le patronat. Ce point est indiscutable mais il est sans rapport avec le problème posé. En réduisant le flux de cotisations qui gonfle artificiellement les réserves des régimes complémentaire, le gouvernement, tout en laissant les partenaires sociaux gérer librement les ressources collectées, s’épargnerait des crises politiques à répétition. Il pourrait alors abandonner ses mesures sur l’âge de la retraite dont le rendement sera de toutes façons insuffisant et les avantages économiques discutables.     

Il est faux de prétendre que les régimes de retraite sont en déficit. C’est l’Etat en fixant de façon arbitraire et paradoxale un mode de financement plus favorable aux régimes complémentaires qui est le principal responsable du déficit du régime général. Plutôt que de rechercher des solutions qui déclenchent des crises politiques à répétition, il vaudrait mieux prendre conscience de cette réalité et adopter la mesure simple, juste et efficace qui s’impose en relevant le plafond des cotisations.