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Le blog d'Alain Boublil

 

-0,1% : La croissance de la France au 4ème trimestre

La publication de la 1ere estimation de la croissance de l’économie française au 4ème trimestre intervient après que plusieurs autres indicateurs très défavorables aient été rendus publics : une forte hausse du chômage sur la même période, la persistance d’un déficit commercial sur les douze derniers mois proche de 90 milliards d’euros, la poursuite de la chute des mises en chantiers de logements (30% en deux ans) le tout dans un contexte d’accumulation des déficits publics et d’un endettement record. La seule bonne nouvelle concerne l’inflation : elle s’est élevée à 1,4% en janvier sur un an et fait de la France l’un des meilleurs élèves de la zone euro.  

L’indice CAC 40 avait atteint un sommet au mois de mai 2024, puis connu une chute à la suite de l’instabilité politique créée par la dissolution. Il est en passe de retrouver ce haut niveau en approchant à nouveau les 8000 points. Depuis le début de l’année, il a rebondi d’environ 9%. Jamais une telle déconnexion entre la situation de l’économie dans son ensemble et celle des principales entreprises et des grands établissements financiers n’avait été observée dans le passé puisque leur cours de bourse reflète leur bonne santé.

Pendant ce temps, la dégradation des finances publiques a été continue et le gouvernement cherche maintenant à la freiner. Mais l’absence de majorité à l’Assemblée Nationale complique sa tâche et surtout le refus de reconnaître les erreurs passées empêche de trouver les solutions appropriées. L’économie française stagne depuis près de dix ans maintenant, si l’on excepte la chute puis le rebond de courte durée observés à la suite de l’épidémie du Covid-19. La politique économique a été inspirée par un principe qui n’a pas varié : soutenir l’offre pour rétablir la compétitivité des entreprises.

Cette politique, non forcément dans son principe mais dans les modalités retenues lors de sa mise en place, n’a pas produit les résultats attendus, l’élément le plus révélateur étant la persistance d’un déficit extérieur très important des échanges de biens industriels. Malgré des discours sur la réindustrialisation qui relèvent plus de la communication que du constat de la réalité, cette politique n’a donné que des résultats très modestes comparés aux enjeux et aux sommes dépensées.

Elle a reposé sur des allègements des charges pesant sur les entreprises qui ont été accordés sans contrepartie et surtout sans se limiter aux secteurs exposés à la concurrence étrangère. Elle a accordé une réduction de l’impôt sur les sociétés, passé de 33% à 25%. Cela a largement profité aux grands groupes et il suffit d’observer l’évolution du CAC 40 pour s’en convaincre. Ces mesures coûteuses ont été la principale cause de la dégradation des finances publiques et de la hausse de la dette qui représente maintenant plus de 110% du PIB. Elles n’ont pas été accompagnées des efforts nécessaires pour réduire les dépenses de fonctionnement de l’Etat et des collectivités locales.  

L’action des gouvernements successifs depuis dix ans, qui s’est inspiré de ce principe, n’a donc pas entrainé de hausse significative des investissements productifs ou une augmentation de la consommation des ménages, facteurs décisifs pour soutenir la croissance, comme le montrent les chiffres publiés concernant l’année 2024. Ces mesures sont au contraire à l’origine de l’accroissement des déficits publics qui a conduit la France dans la situation où elle est aujourd’hui : faire accepter des mesures de rigueur dans un contexte de stagnation économique. La montée des votes en faveur des partis extrémistes motivée notamment par le rejet de cette politique en est la conséquence directe.

Les chiffres décevants relatifs à la consommation des ménages et les records atteints par les niveaux d’épargne ont été mis sur le compte d’un environnement international inquiétant et sur les incertitudes nées de la situation politique du pays. Cette explication est insuffisante. Deux raisons essentielles sont ignorées. La première est structurelle et il faut en tenir compte dans les choix de politique économique : c’est le vieillissement. Avec l’âge, on consomme moins de biens (on les garde plus longtemps) et de services (on se déplace moins lors du grand âge). La seconde résulte de la montée des inégalités, phénomène bien caché et au demeurant fort réel.

Le taux d’épargne financière des ménages a battu tous ses records en 2024. Il représentait 8,6% du revenu disponible brut en moyenne sur les trois premiers trimestres de l’année. Avant il dépassait rarement 6%. On a mis cette hausse sur les inquiétudes face à l’avenir. C’est un faux raisonnement. Ceux qui sont inquiets à juste titre, ce sont les couches sociales les plus défavorisées et elles n’ont pas les moyens d’épargner. En revanche les foyers disposant des plus hauts revenus placent leur argent car leurs ressources dépassent leur besoin de consommation et ils sont le plus souvent déjà propriétaires de leur logement et ont même une résidence secondaire. La hausse de l’épargne financières des ménages, dont le niveau avait déjà atteint 6000 milliards à la fin de 2023, a largement pour origine les augmentations de revenus perçus en 2024 par les couches sociales les plus favorisées.

Une part importante des revenus financiers provient des dividendes versés. Avec les résultats des entreprises cotées qui devraient au moins se maintenir en 2024, on assistera donc à une poursuite de l’accumulation de cette épargne en 2025, dont on sait qu’elle est concentrée sur une faible part de la population. Or les revenus financiers bénéficient depuis près de 10 ans d’un avantage fiscal : la « flat tax ». Ils ne sont imposés qu’au taux de 30% alors que les taux des plus hautes tranches de l’impôt sur le revenu dépassent 40%, ce qui pèse sur les finances publiques et accroit encore les inégalités.

Au moment où le chômage, déjà très élevé avec plus de 3 millions de sans-emplois, repart à la hausse et où on demande aux Français de travailler plus, dans un contexte d’endettement public record, les forces politiques de l’ancienne majorité présidentielle s’acharnent à ce que l’on ne remette pas en cause les choix passés qui ont conduit le pays dans l’une de ses pires crises économique et politique des soixante dernières années et qu’on ne procède pas à un rééquilibrage significatif des prélèvement fiscaux. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les réactions qu’a suscitée la modeste proposition de ramener le taux d’imposition des grands groupes au niveau passé et seulement pour une année.

Le piètre résultat de la croissance au 4ème trimestre n’a pas, pour l’instant, suffit à faire prendre conscience des vraies raisons qui ont conduit la France dans cette situation. Et ce ne sont pas les déclarations de certains grands patrons qui sont émerveillés par les annonces du président des Etats-Unis, qui vont faire progresser la réflexion. La signature de la France est solide et le taux à dix ans est inférieur de 100 points de base au taux américain. Chaque émission du Trésor est largement sursouscrite. Ce n’est donc pas non plus en agitant le spectre de la faillite que l’on convaincra la population.

C’est en contraire en reconnaissant la valeur du travail des français, en cessant de les traiter de paresseux, en admettant les excès passés et en les corrigeant que la confiance dans le monde politique sera rétablie. La France pourra alors, conformément à sa tradition historique retrouver une trajectoire de croissance conciliant l’efficacité économique et la justice sociale. Espérons donc que ce chiffre symbolique de -0,1% réveille les consciences.