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Le blog d'Alain Boublil

 

Le psychodrame des déficits publics français

Au moment où le nouveau gouvernement français est à la recherche de mesures pour redresser les comptes publics, la publication des chiffres de créations d’emplois aux Etats-Unis (256 000) bien supérieures à ce qui était attendu (190 000) a provoqué une hausse des taux d’intérêt à long terme qui s’est répercutée en Europe. Avec une croissance et une inflation toutes deux supérieures à 2% et un quasi plein-emploi, puisque le taux de chômage est proche de 4%, la Réserve Fédérale n’a plus beaucoup de raisons d’abaisser ses taux directeurs en 2025. Quatre réductions de 0,25% étaient jusqu’à présent attendues. Une seule baisse est désormais probable mais en réalité rien n’est sûr.

La Banque Centrale Européenne est confrontée à une situation différente. Le chômage reste élevé avec un taux de 6,3% dans la zone euro mais l’inflation se rapproche des 2% avec 2,4% au mois de novembre malgré les mauvaises performances de la Belgique (+4,4%), des Pays-Bas (+3,9%) et de l’Allemagne (+2,8%) qui est cette année au bord d'une nouvelle récession. La croissance française devrait approcher 1%, ce qui est loin d’être satisfaisant. Les situations économiques sont donc très différentes entre les deux continents mais cela n’a pas empêché les taux d’intérêt européens à moyen et long terme de suivre le mouvement initié aux Etats-Unis.

La BCE pourrait continuer à réduire ses taux de base en 2025 puisque les objectifs en matière d’inflation devraient être atteints pour faire face à une croissance très insuffisante. Mais cela ferait baisser l’euro face au dollar. Il avait connu déjà une dépréciation de 5% au dernier trimestre et la baisse s’est accélérée après la publication des chiffres de l’emploi pour tomber à 1,024$ pour un euro. Le risque est donc réel que Francfort hésite à baisser ses taux pour protéger l’euro, au détriment de la croissance et des conditions de financement des Etats.

Il n’en fallait pas plus pour que resurgissent les angoisses et un véritable psychodrame en France sur l’endettement public et sur les conséquences d’un renchérissement de la charge de la dette. L’incertitude qui pèse sur la capacité du gouvernement à faire adopter son budget et sur l’ampleur de la réduction des déficits n’a provoqué, jusqu’à présent, qu’une modeste augmentation de l’écart entre les taux allemands et français, passé de 0,60 à 0,80 % sur les obligations à 10 ans. L’appréciation des marchés financiers est donc loin d’être aussi alarmiste que les propos tenus par certains responsables politiques et la majorité des commentateurs.

L’augmentation de la charge de la dette est fonction de la durée des emprunts émis. Pour les Bons du Trésor à moins d’un an, la conséquence est immédiate. Les hausses du taux directeur pratiquées par la BCE en 2022 et 2023 ont pesé sur le budget de l’Etat à hauteur d’environ trois milliards chaque année. Les baisses intervenues au 4ème trimestre et attendues en 2025 se traduiront par des économies entre un et deux milliards.

Les conséquences des évolutions de taux sur les titres à moyen et long terme mettent beaucoup plus de temps à apparaître. Jusqu’en 2022, malgré la forte montée de l’endettement public, cette charge a peu augmenté car les titres émis dans le passé avec des taux élevés et arrivés à maturité ont été progressivement remplacés par de la dette portant des taux très faibles voire nuls. Cela a permis d’atténuer les conséquences de l’augmentation des déficits publics. Mais cet effet positif s’atténue car il existe de moins en moins d’emprunts coûteux arrivant à l’échéance et les taux pratiqués sur les nouvelles émissions se sont redressés.

En 2024, selon l’Agence France Trésor, le taux d’intérêt moyen des émissions a atteint 2,91%. Mais avec une inflation sur l’année encore voisine de 2%, le taux réel reste néanmoins très faible. Mais à la suite des annonces de la Fed, le taux à dix ans sur les titres d’Etat français s’élevait à 3,47% le 13 janvier. A la différence des années passées, on devrait donc observer un creusement de la courbe des taux avec un écart croissant entre les échéances à court terme et les maturités plus longues. Comme on l’a vu, ces mouvements atténueront dans l’immédiat la charge de la dette mais rendront celle-ci plus coûteuse à moyen terme.

Malgré la forte incertitude régnant sur la situation politique de la France, les marchés continuent donc à financer les déficits du pays dans des conditions raisonnables. La dernière émission en date du 9 janvier a été sursouscrite trois fois. L’Etat, avant les adjudications complémentaires, a levé 13 milliards d’euros alors que la demande s’élevait à près de 30 milliards. Le taux à dix ans était de 3,45%. A titre de comparaison le taux italien est de 3,75% et les taux américains et anglais, pour la même maturité sont autour de 4,75%. Deux facteurs expliquent cette confiance dans la solvabilité du pays.

D’abord, le taux d’endettement public de 115% du PIB n’a rien d’extraordinaire pour un pays développé. Il est inférieur bien sûr au Japon, qui dépasse 200%, mais aussi aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et à l’Italie. Seule l’Allemagne, parmi les grandes économies fait beaucoup mieux. Mais est-ce vraiment une référence, quand on voit le vieillissement accéléré dû à une très faible natalité depuis longtemps, la faiblesse des dépenses militaires et la crise énergétique majeure qui s’annonce pour avoir fait confiance à la production de charbon et aux importations de gaz russe ?

Le second facteur qui rassure les marchés comme les agences de notation qui, malgré les discours catastrophistes, continuent à accorder à la France une notation très élevée, c’est l’accumulation de l’épargne financière des ménages qui dépassera en 2025 6000 milliards d’euros. Contrairement à ce qui est prétendu, cette dette publique est détenue largement par ces ménages via leur assurance-vie, même si les fonds sont souvent localisés au Luxembourg, ou par la BCE qui possède plus de 20% de la dette de l’Etat. Il n’y a donc pas de doute sérieux sur la solvabilité du pays, ce qu’ont confirmé les agences de notation.

C’est pourquoi le débat sur la réforme des retraites qui crée autant de tensions relève du psychodrame politique. Il méconnait ou fait semblant d’ignorer la situation réelle des systèmes de retraites avec un déficit structurel du régime général qu’il convient à l’évidence de combler et un excédent structurel des régimes complémentaires et des régimes spéciaux dont les réserves cumulées dépassent 100 milliards d’euros. Il suffirait chaque année de modifier le mode de répartition des prélèvements pour régler progressivement le problème 

Alors, pourquoi ces discours alarmistes et ce débat politique qui s’apparente à un psychodrame ? Pour de purs motifs tactiques relevant de la politique intérieure. A tort ou à raison des formations politiques veulent faire passer à tout prix des réformes très impopulaires comme celle relative à l’âge de départ à la retraite. Elles brandissent donc la menace de renverser le gouvernement. Elles ont abouti à leur objectif en censurant le gouvernement Barnier et la France aura ainsi eu quatre Premiers ministres en l’espace d’une année, ce qui est sans précédent.

Rien ne permet d’être sûr que tôt ou tard, le nouveau gouvernement Bayrou ne subisse pas le même sort. La France serait alors dans la situation où à force d’invoquer sans réel fondement la possibilité d’une crise financière, le pays serait confronté à une réelle crise politique qui pourrait provoquer, elle, une véritable crise financière du fait de la perte de crédibilité de ses dirigeants.