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Le blog d'Alain Boublil

 

La renaissance de l'énergie nucléaire

EDF raccorde cette semaine au réseau l’EPR de Flamanville. Cette bonne nouvelle est pourtant accompagnée des habituels commentaires négatifs relatifs à la durée exceptionnelle des travaux (12 ans de retard)) et le dépassement considérable du coût de sa construction (10 milliards). Si ces faits sont indiscutables, ils ne doivent pas masquer une autre réalité très positive pour la France qui a ainsi rétabli sa capacité à construire des centrales nucléaires. Celle-ci avait été gravement affectée par plusieurs erreurs stratégiques majeures.

Il y a eu d’abord à la fin des années 90 le refus par les gouvernements successifs de lancer la construction de ce nouveau modèle qui avait pourtant été certifié par l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Entre la dernière commande reçue par EDF, la centrale de Civaux en 1992, et la décision de lancer la construction de l’EPR, en 2007, il se sera écoulé près de quinze années pendant lesquelles on a assisté à une perte majeure de compétences avec les départs à la retraite ou plus souvent la reconversion vers d’autres activités du personnel qualifié.

Il y a eu ensuite, à partir de 2012 et surtout de 2017, des choix politiques très contestables avec la fermeture de Fessenheim et le projet de ramener la part de la production nucléaire dans le mix électrique autour de 50%, alors qu’elle était traditionnellement d’environ 70%. Cela voulait clairement dire qu’on ne commanderait plus de centrales avant longtemps et que les entreprises du secteur et leur personnel devraient se reconvertir, aggravant encore plus les pertes de compétences.

L’environnement politique européen était très hostile avec les pressions exercées par le gouvernement d’Angela Merkel pour exclure le nucléaire de tout financement privilégié pour assurer la transition énergétique. Elle répondait aux exigences de sa coalition qui incluait les écologistes et les électeurs des länder où se situaient les mines de charbon. Tout a changé depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Les sanctions imposant une réduction des importations de gaz russe ont créé en Allemagne une crise énergétique majeure qui a eu des répercussions sur les prix de l’électricité et du gaz naturel dans toute l’Europe et a amplifié la vague inflationniste crée par ces tensions internationales.

Au même moment, la France connaissait un grave problème d’approvisionnement avec l’apparition dans près de la moitié du parc nucléaire de phénomènes de corrosion imposant l’arrêt de nombreuses centrales. La production a ainsi chuté au mois d’octobre 2022 de 30% par rapport à l’année précédente. L’arrêt des centrales affectées a été compensée par la hausse de la production thermique passée de 48 à 67 TWh durant l’année et surtout par le retournement des échanges extérieurs d’électricité. D’exportatrice à hauteur de 50 TWh en 2021, la France est devenue importatrice en 2022 pour 13 TWh. Cette situation s’est accompagnée d’une forte hausse des cours qui a été répercutée sur les ménages. En deux ans le tarif réglementée a augmenté de 70%, et l’Etat a dû intervenir en supprimant certaines taxes pour en atténuer les conséquences sur les ménages et sur les entreprises.

Cette crise a pourtant eu le mérite de révéler au gouvernement, qui semblait l’avoir oublié, le caractère stratégique de la production nucléaire pour l’économie française comme pour le pouvoir d’achat des ménages. Celui-ci a alors complètement inversé sa politique. Au lieu de prévoir une baisse de la production, il est désormais demandé à EDF de lancer la construction de 6 nouveaux EPR et de prévoir une deuxième tranche également de 6 réacteurs.

Ce revirement découle aussi d’un constat : les éoliennes et les panneaux solaires n’ont pas été et ne seront pas dans l’avenir en mesure d’assurer l’approvisionnement en électricité pour deux raisons. On ne pourra pas construire les capacités nécessaires et surtout celles-ci qui auront été construites souffriront d’une double faiblesse, l’intermittence et la localisation des sources de production. Elles ne fonctionneront pas quand et où on en aura besoin. Il faudra toujours des centrales capables de produire à tout moment. Quant au réseau électrique, il n’a pas été conçu pour relier des éoliennes et des panneaux solaires aussi dispersés aux lieux de consommation.

Les chiffres des neufs premiers mois de 2024 confirment le retour à la normale et ses effets bénéfiques. La production nucléaire a atteint 263 TWh contre 233 en 2023 et 209 en 2022. Il se rapproche du pic atteint en 2021 : 269 TWh. La consommation ayant moins progressé du fait de la stagnation industrielle, l’excédent extérieur a battu un record avec 67,1 TWh soit une contribution à la balance commerciale de 3,3 milliards d’euros. Comme toujours, à chaque bonne nouvelle, ces excédents ont été dénoncés et on a critiqué les « surcapacités » de la production nucléaire.

La renaissance nucléaire n’est pas limitée à la France. Plusieurs pays européens ont annoncé, comme l’Italie, qu’ils allaient ouvrir les réflexions sur la construction de centrales mais le tournant qui pourrait être le plus significatif est celui de l’Allemagne. Le nouveau leader de la CDU, qui a succédé à Angela Merkel, Freederich Merz, et qui pourrait devenir le prochain chancelier après les élections du mois de février au Bundestag, a clairement laissé entendre qu’il allait rompre avec la politique énergétique passée qui a conduit à une crise majeure, reconsidérer la position de son pays à propos du nucléaire, et même envisager la construction de nouvelles centrales.

Les conséquences, sur le plan européen pourraient être significatives. Les financements consacrés à la transition énergétique pourraient devenir plus importants et affectés au nucléaire. Aujourd’hui, ce n’est qu’une timide et théorique possibilité, après avoir été longtemps écartée. Surtout, on pourrait procéder à une réforme des marchés de l’électricité qui pénalisent systématiquement la production nucléaire, dont les bénéfices sont qualifiés de rente, et doivent être partagés avec ceux qui se contentent de la commercialiser sans avoir pris les risques de la produire. On pourrait même imaginer un pacte électrique européen comme ce qui fut fait avec l’euro. L’électricité, comme la monnaie est un bien essentiel qui doit être partagé. Le pays qui voudrait profiter de cet accès au marché devrait prendre des engagements portant sur la réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, sur l’évolution de sa consommation d’énergies fossiles et sur son indépendance énergétique. La France profiterait de ce nouveau cadre réglementaire offrant à ses entreprises et à ses ménages une sécurité d’approvisionnement et une source d’énergie compétitive.

L’examen du mix électrique montre aussi le rôle de la production hydraulique. C’est la source d’énergie idéale puisqu’elle est décarbonée, stockable et pilotable. Mais on n’en parle jamais car elle a nécessité, lors de la construction des barrages, des mesures parfois autoritaires sur la nature et des déplacements de populations. En construire un aujourd’hui serait inimaginable en raison des multiples contraintes réglementaires et surtout de la contestation qui s’étendrait bien au-delà des riverains au nom de l’environnement. Il suffit d’observer l’hostilité que génère la construction d’une simple bassine pour stocker de l’eau afin de réguler les cours d’eau ou simplement l’approvisionnement des exploitations agricoles pour en être convaincu.

Le chemin accompli pour aboutir à la renaissance du nucléaire montre à quel point des mesures prises au nom de la protection de l’environnement peuvent avoir des effets néfastes et provoquer des situations qui sont à l’opposé des objectifs recherchés. L’Allemagne en est un exemple éloquent. La France doit en tirer toutes les leçons et les nouvelles orientations en faveur de la production d’électricité nucléaire doivent s’inscrire durablement dans sa politique énergétique.