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Le blog d'Alain Boublil

 

Chine : enfin la relance ?

Après avoir, à la fin du mois de septembre, annoncé plusieurs mesures destinées à atténuer les conséquences de la crise immobilière qui frappe le pays (baisse de l’apport personnel, des taux des crédits immobiliers et du taux de réserves obligatoires des banques) et offrant des aides financières aux collectivités locales pour environ 140 milliards de dollars, les autorités chinoises viennent de décider un assouplissement de la politique monétaire pour la première fois depuis 14 ans. Ils ont laissé entendre qu’un programme de soutien de la demande des ménages serait mis en place en 2025. Le président chinois Xi Jinping, en recevant à Pékin les dirigeants des grandes institutions internationales, a confirmé que la volonté du pays était de rester « le moteur de la croissance mondiale ».

L’objectif d’une croissance de 5% qui avait été fixé pour 2024, n’est pas loin d’être rempli puisque sur les quatre derniers trimestres elle a atteint 4,6% en glissement. C’est bien supérieur à ce que connaissent les pays développés, les Etats-Unis avec environ 3% et surtout l’Europe et le Japon avec bien moins que 2%. Mais c’est très inférieur à ce qu’avait connu la Chine durant ses « Trente Glorieuses », ce qui lui avait permis de devenir la deuxième économie mondiale. Surtout, ce que ne manquent pas de rappeler les commentateurs, c’est inférieur à l’objectif officiel auquel les autorités attachent beaucoup d’importance.

On attend donc des dirigeants chinois qu’ils agissent pour que le pays se rapproche de cet objectif et garantisse pour l’avenir une croissance solide, mais sans retrouver les niveaux passés qui appartiennent à une époque révolue.  La quasi-absence de l’inflation, avec une dernière hausse des prix de 0,2% sur un an au mois de novembre, fait craindre que le pays suive la même trajectoire que celle empruntée par le Japon il y a trente ans avec un affaiblissement durable de la croissance. Cette inquiétude a aussi constitué un facteur incitant les autorités chinoises à procéder aux premières mesures d’assouplissement monétaire.

Le véritable enjeu n’est donc pas d’atteindre ou non à court terme l’objectif de 5%, même si celui-ci a un caractère symbolique pour les autorités, mais de repenser le modèle de croissance que les évolutions récentes ont remis en cause. Il reposait sur deux piliers : l’investissement en infrastructures et en logement et la construction d’usines destinées à approvisionner le pays et le monde en produits industriels. L’Empire du Milieu était ainsi devenu « l’usine du monde ». Il avait aussi pratiqué une politique démographique très restrictive avec le principe de l’enfant unique.

Ce modèle a trouvé ses limites. Les entreprises chinoises sont passées du statut de sous-traitant ou de fournisseur à celui de concurrent grâce à la formation de centaines de milliers d’ingénieurs qui ont doté le pays d’une forte capacité d’innovation. Mais cela a suscité une montée de mesures protectionnistes qui commencent à menacer les perspectives d’exportations. La politique démographique a débouché sur un rapide et durable vieillissement de la population qui a été néfaste pour la consommation des ménages et pour la demande de logements, ce qui a provoqué cette profonde crise immobilière. Ces facteurs structurels avaient en outre été aggravés par la politique très restrictive de confinement adoptée lors de l’épidémie du Covid-19.

Pékin doit donc inventer un nouveau modèle de croissance qui ne se réduit pas, après les premières mesures conjoncturelles relatives à la politique monétaire et au soutien du secteur immobilier, à de simples baisses des taux d’intérêt et une augmentation des facilités de crédit. Le vrai tournant pourrait alors intervenir en 2025 avec une politique de soutien du niveau de vie des ménages qui favoriserait la consommation de biens et de services. Les outils ne manquent pas : revalorisation des salaires, baisses d’impôts, augmentations des prestations sociales. Une inflation quasiment nulle qui permet d’avoir des taux d’intérêt très bas et un faible coût de la dette publique, et les énormes réserves de changes accumulées par les excédents extérieurs offrent à l’Etat les moyens de financer cette politique de relance. Cela n’affectera pas la stabilité du Yuan, à laquelle les autorités sont attachées, puisque cela intervient dans un contexte de baisse générale des taux des principales banques centrales.

Cette action est d’autant plus nécessaire que la contribution du commerce extérieur à la croissance ne pourra plus être aussi forte que par le passé. L’instauration de droits de douane élevés aux Etats-Unis et, dans une moindre mesure en Europe, pour certains secteurs va inévitablement peser sur la balance commerciale. Cela va aussi forcer les grandes entreprises chinoises à adopter de nouvelles stratégies d’investissement. Pour contourner ces restrictions douanières, elles peuvent délocaliser les chaines de production dans les pays où leur marché est porteur. Cela pèsera sur l’emploi en Chine, où l’on note déjà une hausse, dans les grandes villes, du chômage des jeunes, ce qui était inimaginable il y a dix ans.

L’apparition de nouveaux marchés porteurs en Asie du Sud-Est, dans le secteur automobile par exemple, constitue un autre motif de délocalisation puisque la demande y est forte et le coût de la main d’œuvre maintenant inférieur à celui appliqué dans le pays d’origine des constructeurs. La contribution des exportations à la croissance dans l’avenir sera donc elle aussi, inférieure à ce qui a été observée dans le passé même si, pour l’instant, elle reste significative. Le volume des échanges s’est accru de 4,9% en glissement sur les onze premiers mois de l’année avec des exportations en hausse de 6,7% pour atteindre 3 200 milliards de dollars. Le commerce avec les pays membres des « Nouvelles Routes de la Soie » a, lui, augmenté de 6% contre seulement 4% avec les Etats-Unis. Cet écart devrait donc se creuser dans l’avenir.

Le soutien attendu du niveau de vie des ménages, s’il est suffisant, aura deux conséquences. Il permettra progressivement la reprise du secteur immobilier. Le stock de logements vacants se résorbera et permettra aux promoteurs qui ont survécu, de lancer de nouveaux programmes. Il profitera au secteur des services qui est en train de devenir une priorité pour les autorités chinoises et qui sera une source de créations d’emploi dans les grandes agglomérations.

Cette réorientation de l’économie chinoise s’accompagnerait d’une baisse de la pression concurrentielle que les grandes entreprises chinoises exercent sur leurs concurrents quand la demande intérieure n’est pas suffisante, et que les mesures tarifaires n’atténueraient que de façon limitée car ces groupes sont capables de mettre en place des stratégies pour les contourner. La relance de la consommation à laquelle songent les autorités chinoises a donc un double effet.

En transformant le modèle économique du pays, elle contribuerait à une meilleure répartition de la richesse au sein de la population et réduirait le risque de contestation sociale qui pourrait apparaître dans certaines régions où le chômage deviendrait de plus en plus important. Elle profiterait aux entreprises chinoises les plus dépendantes du marché intérieur. Mais cette nouvelle politique économique sera aussi un facteur d’apaisement des tensions internationales car la relance chinoise en facilitant un rééquilibrage des échanges commerciaux sera aussi bénéfique aux entreprises étrangères et aux marchés financiers.

Sans aller jusqu’à une réconciliation économique immédiate entre Pékin et les grandes économies occidentales, on peut espérer la reprise d’un dialogue constructif débouchant sur des décisions où tout le monde serait gagnant. Le relance de l’économie chinoise n’est donc pas une simple affaire intérieure et c’est pour cela que le monde l’attend avec impatience.