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Le blog d'Alain Boublil

 

Europe-Etats-Unis : le grand écart

La large victoire de Donald Trump, contredisant les sondages qui avaient estimés que le scrutin serait très serré, et la constitution d’une majorité républicaine au Sénat ont permis de donner une réelle visibilité aux perspectives de l’économie américaine pour les prochaines années. En Europe, au contraire, alors que les inquiétudes sur la croissance s’aggravaient, l’Allemagne, après la France, entrait dans une période d’incertitude après la rupture de la coalition gouvernant le pays et la convocation prochaine d’élections au Bundestag. Si rien n’est fait, l’écart déjà observé entre les résultats économiques des Etats-Unis et de l’Union Européenne a donc toutes chances de s’amplifier, en termes de croissance comme de niveau de vie.

Cet écart est la conséquence de règles passées et de choix différents en matière de politique économique et d’environnement. En Europe, du fait des divisions entre les Etats, rien ne permet, dans l’immédiat, d’être capable de faire face aux nouvelles orientations américaines. Aux Etats-Unis les engagements électoraux du prochain président ne laissent espérer, bien au contraire, aucun rapprochement avec le Vieux Continent.  

La première divergence concerne les finances publiques. Les Etats-Unis ne considèrent pas que le déficit budgétaire et l’endettement public constituent une menace pour le pays. En 2024, le déficit public dépassera largement 7% du PIB et l’endettement 120%. La zone euro a, depuis sa création, imposé des critères stricts. Les Etats qui ne les respectent pas sont dénoncés et des mesures restrictives, suivant la procédure du déficit excessif, peuvent être prononcées contre eux. C’est la culture du 3% pour le déficit public et des 60% pour la dette publique. Rien de tout cela n’existe aux Etats-Unis qui n’ont aucun problème pour trouver sur les marchés, les ressources pour faire face à ces déficits et au financement de la dette.

On impose donc, en Europe, des contraintes qui n’existent pas Outre-Atlantique. La situation de la France est révélatrice. Malgré une très faible croissance, des hausses d’impôt et des réductions des dépenses publiques seront appliquées en 2025 pour s’y conformer, ce qui freinera encore plus l’activité. L’Allemagne a un endettement et des déficits bien plus faibles et va connaître une récession pour la deuxième année consécutive. Mais toute une partie du pays et de sa classe politique est obsédée par la rigueur budgétaire et aucun parti ne propose d’adopter des mesures de relance à travers les dépenses publiques pour faire sortir le pays de sa récession.

L’argument souvent avancé est l’avantage conféré par le dollar qui protégerait contre toute crise financière. Mais cette protection n’a pas empêché la crise des sub-primes. Surtout, l’Europe, et à tout le moins, les pays de la zone euro, dispose d’une devise qui a acquis sur le marché mondial une crédibilité suffisante pour que les risques financiers soient maîtrisés, même quand un pays dérape, comme ce fut le cas avec la Grèce et l’Irlande. Cette vision idéologique, comparée à la vision pragmatique américaine, constitue un premier facteur de décrochage.

Le second concerne la politique monétaire. Alors que l’inflation qu’ont connu les pays européens provenait de facteurs extérieurs et que l’activité peinait à se remettre de la crise du Covid-19 et des conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la Banque Centrale Européenne a cru bon de procéder à de fortes hausses de taux ce qui, au pire moment, a freiné  les investissements, a alourdi la charge de la dette des Etats et a incité les ménages à épargner. Les causes extérieures de l’inflation s’étant atténuées et la hausse des prix étant retombée à un niveau conforme aux tendances passées, la BCE n’a que très modérément réagi et n’a donc pas apporté de soutien efficace à la croissance et à l’emploi.

Aux Etats-Unis, l’économie avait redémarré avec une croissance prévue de 2,4% en 2024 et était proche du plein emploi. Des tensions pouvaient apparaître sur les salaires et se répercuter sur les prix. La Réserve Fédérale a donc pratiqué une hausse des taux conforme aux principes de la politique monétaire mais suffisamment modérée pour que cela n’affecte pas la croissance de façon significative. Elle vient même de commencer à les réduire alors que l’inflation a atteint 2,6% en octobre et que le taux de chômage à 4,1% est bien inférieur à ce que l’on observe en moyenne dans la zone euro. Mais cette légère baisse n’a pas empêché une hausse du dollar contre l’euro de près de 3% depuis le résultat des élections. L’effet taux de change sur la richesse créée va donc encore accroître le fossé entre les deux côtés de l’Atlantique.

Troisième facteur, l’énergie. Les Etats-Unis ont choisi de développer leurs capacités de production de pétrole et de gaz naturel. Cela leur permet d’offrir aux consommateurs et aux entreprises un accès à l’électricité dans des conditions de prix largement plus favorables qu’en Europe qui subit les conséquences des désastreux choix stratégiques allemands : approvisionnant en gaz naturel en Russie et fermeture des centrales nucléaires pour protéger la production de ses mines de charbon. Soutenu par les Pays-Bas, le pays a fait pression sur Bruxelles pour que la France réduise ses capacités nucléaires et pour que soit adoptée une régulation du marché de l’électricité qui lui est très défavorable. Les entreprises des Etats-Membres subissent maintenant un coût de l’énergie deux fois supérieur à ce que payent leurs concurrents américains ce qui menace nombre d’entre elles et constitué un handicap pour la croissance.

Dernier facteur explicatif du décrochage européen, l’environnement. En multipliant les réglementations et les normes, les entreprises européennes ont vu leur compétitivité fortement dégradée. L’administration Biden avait pris des engagements pour réduite les émissions de gaz à effet de serre et elle profitait de l’effet mécanique du passage au gaz naturel de la production d’électricité, bien moins polluant que le charbon. Mais les dispositions réglementaires sont restées moins contraignantes qu’en Europe. L’administration Trump va aller encore plus loin et pourrait même se retirer de l’Accord de Paris. A cela s’ajoute la crise qui va affecter le secteur automobile. Comme les Etats-Unis n’ont pris aucun engagement concernant les véhicules électriques, ils sont peu concernés. En revanche, la décision d’arrêter en 2035 les ventes de véhicules thermiques neufs ouvre aux constructeurs chinois des opportunités considérables qui, là aussi, affecteront la croissance et l’emploi des pays producteurs européens.

La période qui s’ouvre va être marquée par un déclin du libre-échange et une montée des tarifs douaniers. La Chine est la première visée par les hausses annoncées par la prochaine administration américaine. L’Europe n’ira sûrement pas aussi loin et le risque est grand que les exportations chinoises se dirigent de plus en plus vers elle. A l’inverse, l’Union Européenne qui a un solde excédentaire de plus de 150 milliards d’euros avec l’Etats-Unis va voir ses exportations rendues plus difficiles, ce qui constituera un nouveau facteur de décrochage. Les désaccords entre les Etats et notamment entre la France et l’Allemagne rendent pour l’instant impossible l’adoption de mesures de rétorsion qui pourraient inciter Washington et Pékin à avoir une attitude plus conciliante.

L’élection de Donald Trump n’est donc pas une bonne nouvelle pour les économies européennes. Au moment où les deux principales économies du continent sont à la recherche de gouvernements capables de s’entendre entre eux pour adopter enfin des positions communes et répondre à ces nouveaux défis, les règles du jeu du commerce mondial sont en train d’être bouleversées. Cela va rendre leur mission encore plus difficile mais cela montre à quel point la reconstruction de l’entente franco-allemande est indispensable et urgente.