L’INSEE vient de publier sa première estimation de la croissance au 3ème trimestre (0,4%), ce qui permettrait d’espérer pour l’année entière, un chiffre légèrement supérieur à 1%. Mais la satisfaction exprimée par les commentateurs n’est pas justifiée. Une fois enlevé l’effet positif mais temporaire des Jeux Olympiques, la consommation des ménages stagne et l’investissement des entreprises comme la construction de logements reculent de façon significative. La contribution légèrement positive du commerce extérieur provient uniquement d’une réduction du solde énergétique. La France a même une balance déficitaire pour les produits agricoles et la situation de s’améliore pas significativement pour les produits industriels.
L’Allemagne traverse une crise structurelle du fait de sa dépendance passée au gaz russe et du poids élevé de ses exportations de véhicules à moteur thermique, notamment en Chine, qui sont désormais menacées. Elle connaîtra probablement une deuxième année consécutive en récession. Mais ce n’est pas une raison pour se satisfaire des résultats de la France qui n’a jamais dépensé autant d’argent pour soutenir l’activité avec des résultats aussi médiocres. Le gouvernement doit réduire en 2025 les déficits publics, ce qui va peser encore davantage sur une croissance déjà faible.
D’abord, parler de croissance quand celle-ci est à peine supérieure à 1%, comme c’est le cas en moyenne depuis 2019, est excessif. Cela relève plus de la communication que d’une appréciation de la situation réelle de l’économie. L’examen des composantes de l’activité est révélateur. On assiste à une baisse significative des investissements des entreprises (-1,4% sur un an) particulièrement importante dans les produits manufacturés (-4,4% sur un an) et du secteur de la construction. Le logement traverse une crise majeure avec des mises en chantiers sur les douze dernies mois en baisse de 29% à la fin du mois de septembre.
La consommation des ménages ne compense pas ces mauvais résultats. La hausse de 0.5% au 3ème trimestre est due aux ventes de billets pour les Jeux Olympiques et est un phénomène passager. La stagnation observée durant les six premiers mois de l’année pourrait donc reprendre au 4ème trimestre. Elle résulte d’abord de la stagnation et même pour une large part de,la population d’une baisse du pouvoir d’achat. Le salaire net moyen a diminué en 2022 de 1% et de 0,8% en 2023. La forte baisse de l’inflation en 2024 n’a pas permis de provoquer un rebond significatif pour effacer cette perte. La seconde raison est structurelle. Le vieillissement de la population va exercer une pression croissante sur les comportements : moins d’enfants signifie moins de dépenses et plus de personnes atteignant le grand âge signifie là aussi, moins de voyages et un faible appétit pour toute une catégorie d’achats comme l’habillement, les équipements électroménagers ou une voiture.
Enfin la réduction du déficit commercial est exclusivement due à la baisse des prix des énergies fossiles après l’envolée provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et au redémarrage progressif de la production nucléaire. Cela a contribué à l’augmentation du PIB au 3ème trimestre pour 0,1%. Le déficit en biens hors énergie reste lourd (40 milliards en données CAF/FOB sur les 12 derniers mois connus soit le double de ce qu’il était en 2014). Contrairement aux discours officiels, le regain de compétitivité recherché ne s’est pas produit et la réindustrialisation, qui constituait une priorité gouvernementale, est encore loin d’être significative.
Le chômage frappe toujours trois millions de personnes et si l’on a observé une baisse du taux de chômage, c’est dû au dénominateur : la part de la population en âge de travailler a augmenté, ce qui a fait mécaniquement baisser le ratio. Les sommes considérables engagées par l’Etat pour réduire les charges sociales et fiscales des entreprises (en moyenne 70 milliards d’euros par an) n’ont donc pas permis d’atteindre les objectifs fixés en matière d’investissement, d’emploi et de croissance comme le montrent sans ambigüité les chiffres observés depuis le début de l’année. Mais elles ont contribué de façon importante aux déficits publics et à l’augmentation de l’endettement de l’Etat, des collectivités locales et des régimes généraux de protection sociale.
La personne la plus importante, pour une entreprise, est le client disait François Michelin. Cette réflexion s’applique aussi à la politique économique. Il ne sert à rien d’alléger les charges des entreprises si cela se fait aux dépens de leurs clients. La faiblesse de la demande intérieure a incité beaucoup d’entreprises à aller investir à l’étranger et/ou à mieux rémunérer leurs actionnaires et leurs dirigeants. Le parcours, ces dernières années des indices boursiers montre bien l’absence de corrélation entre le redressement de la situation des entreprises et la croissance de l’économie.
L’action de la Banque Centrale Européenne a également pesé sur la croissance. L’institution de Francfort a relevé fortement ses taux pour lutter contre l’inflation à partir du milieu de l’année 2022, conformément à son mandat d’avoir une hausse des prix inférieure mais proche de 2%. Mais cette inflation qu’a connu la zone euro ne provenait pas de facteurs internes, comme un déséquilibre entre une demande trop forte qu’il convenait donc de freiner et une offre insuffisante, mais de facteurs externes et indépendants (hausse des énergies fossiles importées et ruptures de chaînes d’approvisionnement à la suite des tensions géopolitiques). Quand celles-ci ont, sinon cessé, du moins sont devenus moins importantes, les prix ont suivi et l’inflation est retombée en dessous de 2% dans la zone euro. Elle était évaluée en France au mois d’octobre à 1,5% sur un an alors que le taux à 10 ans des emprunts d’Etat atteignait, lui 3,15% à la fin de ce mois.
Ces resserrements monétaires ont constitué une des causes majeures de la quasi-stagnation, voire de la récession comme en Allemagne, de la zone euro. On est arrivé au paradoxe suivant lequel on a retrouvé des taux d’intérêt réels largement positifs au moment où il fallait soutenir le redémarrage de l’activité et rétablir les comptes publics. La France a été particulièrement touchée puisque cela a accru son déficit budgétaire à travers l’augmentation de la charge de la dette. La conjugaison d’une baisse du pouvoir d’achat et de la hausse des taux réels a empêché de nombreux ménages d’accéder à la propriété ce qui a provoqué, au plus mauvais moment, la chute de la construction de logements neufs avec ses conséquences sur la croissance et l’emploi.
Les ménages ont réagi en augmentant leur épargne financière laquelle a atteint au 2ème trimestre, dernier chiffre connu, le niveau record de 18% du revenu disponible brut. La tendance s’est confirmée avec, chaque mois, un solde positif de la collecte de l’assurance-vie. Le total des actifs était à la fin du mois de septembre de 1977 milliards d’euros et tout permet de penser que le seuil de 2000 milliards sera prochainement franchi. L’explication fournie, l’inquiétude face à l’avenir, est insuffisante. Les ressources s’orientent vers les placements financiers puisque l’accession à la propriété n’est plus possible pour l’instant. L’accroissement des inégalités joue aussi un rôle. Les revenus, pour de nombreux ménages, sont très largement supérieurs à leurs besoins. L’excédent se dirige alors vers l’épargne financière et le mouvement est amplifié par l’augmentation des rémunérations découlant de la hausse des taux d’intérêt.
Les résultats économiques de la France sont donc insuffisants et ne justifient pas la satisfaction affichée par les responsables politiques. La Banque Centrale Européenne ne contribue pas non plus à l’amélioration de la situation au moment où le rétablissement des comptes publics doit constituer une priorité.