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Le blog d'Alain Boublil

 

Où va la Chine ?

Au mois de septembre, le bureau politique du Parti Communiste chinois s’est réuni et a fait savoir que de nouvelles mesures pour soutenir l’activité économique allaient être annoncées sans pour autant entrer dans les détails. L’objectif d’une croissance de 5% semblait difficile à atteindre et c’est ce qui a retenu l’attention des commentateurs. Pourtant le fait que la croissance du PIB chinois soit de 4,9%, comme il ressort des chiffres du 1er semestre ou 5% n’a aucune importance. La précision des statistiques ne permet pas d’accorder d’attention à des écarts aussi minimes. Ce sont les composantes de l’activité économique qui méritent d’être analysées et les évolutions récentes montrent que la Chine n’est plus sur la même trajectoire que par le passé.

Le premier changement concerne l’immobilier. Les blocages survenus pendant l’épidémie du Covid-19 ont conduit à la chute de deux promoteurs privés majeurs, Evergrande et Country Garden qui s’étaient lourdement endettés pour financer des projets qui n’ont pas trouvé d’acquéreurs. L’Etat a dû intervenir pour empêcher que leurs faillites n’entrainent une crise financière et mettent en danger ce qui fut jusqu’à présent l’un des principaux moteurs de la croissance chinoise. Leur situation était aussi due à un changement de comportement des ménages après la crise sanitaire et les mesures très contraignantes prises pour y faire face.

Le pays est passé d’une logique optimiste relative aux dépenses et à l’investissement à une attitude attentiste amplifiée par le basculement démographique. Par le passé, il fallait limiter la croissance trop rapide de la population. Ce fut la politique de l’enfant unique. Aujourd’hui, avec le vieillissement accéléré qui en a résulté, on est dans une logique de relance de la natalité mais dont l’efficacité n’est pas prouvée. A cela s’ajoute une montée du chômage des jeunes causée par un déséquilibre géographique. La génération passée a quitté le monde rural pour trouver des emplois qualifiés dans les nouvelles métropoles. Mais l’offre d’emplois en milieu urbain n’est plus suffisante pour que tous leurs enfants y trouvent du travail.

Au moment où, en Occident, on met la priorité sur la lutte contre l’inflation, en Chine, à cause du déséquilibre entre l’offre et la demande, on a peur de connaître une période de déflation. Le parallèle est fait avec la situation passée du Japon : une forte et durable croissance et une baisse de la démographie. Ce pays est rentré ensuite dans une phase de stagnation dont il n’est pas sorti. C’est ce contexte complètement nouveau qui a conduit les autorités à lancer une politique de relance qui, à bien des égards, ressemble à celle des pays capitalistes occidentaux et dont certains éléments peuvent même surprendre.

Il y a d’abord l’adoption d’une politique monétaire expansionniste par la banque centrale, la Banque Populaire de Chine, qui a annoncé une baisse de ses taux d’intérêt puis une réduction du taux de réserve obligatoire imposé aux banques. Pour soutenir le marché immobilier, le niveau de l’apport personnel pour obtenir un prêt pour l’acquisition d’un logement a ensuite été ramené de 25% à 15%. L’Etat a demandé aussi à la banque centrale de lancer un plan de 114 milliards de dollars en faveur des entreprises pour leur permettre de racheter leurs propres actions et en faveur des investisseurs institutionnels pour qu’ils achètent des titres sur le marché. D’autres mesures sont en préparation en faveur des ménages et pour réduire l’endettement des collectivités locales.

Le premier résultat de cette politique a été un rebond spectaculaire des bourses de Shanghai et de Hong Kong qui, en moins d’une semaine ont repris plus de 20%. On se retrouve dans la situation où l’un des derniers pays communistes de la planète, pour stimuler sa croissance, fait monter les cours de bourse de ses entreprises. Le paradoxe n’est qu’apparent car l’exceptionnel développement du pays durant ces trois dernières décennies, avait été amorcé par les réformes de Deng Xiao Ping, concentrées sur l’accueil d’entreprises étrangères dans des zones économiques spéciales et sur le développement d’entreprises privées chinoises.

On verra si ce rebond est durable après la réouverture des marchés financiers qui sont restés fermés pendant la « Golden Week » mais on peut attendre de nouvelles mesures de soutien lors des prochaines réunions des autorités politiques. Il est certain que c’est le modèle de croissance de la Chine qui est en train de changer et il serait utile que les pays occidentaux en prennent conscience au lieu de dénoncer en permanence et, parfois en même temps, les faiblesses du pays et les menaces qu’il ferait peser sur eux.

L’Etat avait contribué aussi au développement du pays avec des investissements massifs dans les infrastructures et le logement et en soutenant son appareil industriel. Il avait lancé le programme des Nouvelles Routes de la Soie pour favoriser la croissance des pays voisins dans un premier temps puis de la plupart des pays en développement en Afrique et même en Amérique du sud. Ces nouveaux partenaires pouvaient constituer des clients et même parfois des alliés politiques.

C’est maintenant le soutien de la consommation des ménages qui est en train de devenir le cœur de l’action publique car les entreprises chinoises sont en mesure de la satisfaire et c’est là où se situe la plus importante transformation de l’économie du pays. Son industrie n’est plus l’usine du monde qui attirait les délocalisations et pas davantage un ensemble de sous-traitants ayant pour clients les grands groupes étrangers. En formant chaque année des centaines de milliers d’ingénieurs, l’industrie chinoise a acquis les compétences techniques pour rivaliser avec ses concurrents.

Les cas de l’automobile et de l’habillement sont révélateurs. Avoir recours à une marque étrangère n’est plus comme par le passé pour un ménage un signe de réussite sociale. Les entreprises chinoises ont acquis ce statut. La relance de la consommation leur profitera en priorité et c’est bien ce que le gouvernement a compris et cela n’empêchera pas, bien au contraire, à ces entreprises d’exporter car en bénéficiant d’un très vaste et porteur marché intérieur, elles seront de plus en plus compétitives. On le voit déjà dans les chiffres du commerce extérieur. L’excédent devrait dépasser 900 milliards de dollars en 2024 quand il n’était que de 400 milliards en 2018.

L’avance technologique chinoise dans les industries qui sont mobilisées dans le monde entier pour réduire les émissions de CO2, batteries électriques, éoliennes et panneaux solaires, contribuera durablement à ces excédents et donc à la croissance du pays. Les mesures protectionnistes adoptées par les Etats-Unis et l’Union Européenne n’y changeront rien et pénaliseront d’abord leurs entreprises pour des bénéfices illusoires. Comment les géants de la haute technologie américaine pourront-ils conserver leur position sans les composants conçus et produits le plus souvent en Chine ? L’industrie automobile allemande a-t-elle les moyens de se passer du marché chinois où elle réalise la moitié de ses ventes et de ses profits ? Le protectionnisme n’a jamais constitué une réponse aux difficultés des pays qui l’adoptent et la politisation des relations économiques ne fait que des perdants chez ceux qui y ont recours parce qu’ils n’ont pas bien compris les problèmes auxquels ils sont confrontés.       

Où va la Chine ? La réponse est aussi simple que surprenante. Elle suit la même trajectoire économique que les pays aujourd’hui développés en adoptant des mesures que ne renieraient pas ses concurrents libéraux alors que son système politique est radicalement différent. Mais est-ce que deux formes de pensée aussi différentes peuvent éternelllement cohabiter?