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Le blog d'Alain Boublil

 

La crise du logement s'aggrave en France

Quand on évoque le secteur de la construction, on pense tout de suite à la Chine qui traverse une crise grave qui pourrait avoir de lourdes conséquences financières et affecter la croissance. En France, elle est tout aussi grave mais de nature différente. Ses effets sur les familles contribuent au profond mécontentement qui a conduit à des résultats aux élections donnant aux parties extrémistes une place qu’ils n’avaient jamais occupée par le passé. Pourtant, dans le débat et dans les différentes propositions des partis, le logement n’occupe qu’une place secondaire car la classe politique ne semble avoir perçu ni l’ampleur du problème ni ses conséquences économiques et sociales.

Sur les douze derniers mois, les nombres de logements neufs autorisés et mis en chantier ont été respectivement de 348 000 et de 273 000 unités, soit des baisses de 12% et de 20% par rapport aux douze mois précédents. Sur la période 2015-2020, les mises en chantier oscillaient entre 350 et 400 000 unités. Après le rebond enregistré à la suite de l’épidémie du Covid-19, une tendance à la baisse s’est enclenchée en juillet 2022 qui s’est aggravée depuis le début de l’année 2024. Les causes de cette baisse ont été mal comprises par les gouvernements successifs. Aucune mesure significative n’a été adoptée. Quant aux programmes des partis qui prétendent participer au prochain gouvernement seules figurent des déclarations de principe rappelant l’importance du logement dans la vie quotidienne des ménages.

Cette chute a été imputée à la hausse des taux d’intérêt qui renchérirait le coût de l’accession à la propriété, ce qui affecterait à la fois les particuliers et les promoteurs. Mais elle n’est pas convaincante car, en termes réels, c’est-à-dire en enlevant l’inflation, elle a été très faible et même parfois négative. Si le coût du crédit pour un ménage conditionne sa capacité d’endettement, cela ne concerne que les ménages modestes voulant faire construire une maison individuelle et certainement pas les promoteurs immobiliers ou les ménages ayant des revenus au-dessus de la moyenne. Au 2ème trimestre de cette année le taux d’épargne financière des ménages a atteint un record avec 8,5% du revenu disponible brut et la collecte des dépôts ne cesse de s’accroître au point que leurs actifs financiers dépasseront les 6000 milliards d’euros d’ici la fin de l’année. Les moyens ne manquent donc pas.

Une raison bien plus importante et inquiétante est le changement d’attitude des autorités locales, en charge de délivrer les permis de construire. Sans aller jusqu’au choix du nouveau maire de Bordeaux qui préfère planter des arbres plutôt que construire des logements, un mouvement général d’inspiration écologique propose de limiter l’usage des sols et protéger la nature au nom de la biodiversité et du respect de l’environnement. Derrière ce choix idéologique, on retrouve des arrière-pensées concernant l’appartenance politique  des nouveaux habitants et surtout l’impopularité croissante des travaux dans les villes qui affectent la vie quotidienne des riverains. Le renforcement des pouvoirs des maires dans l’octroi des permis de construire n’est donc pas étranger à la chute de la construction neuve.

Les conséquences de cette situation sont d’abord lourdes sur le plan économique. On connait la formule, « quand le bâtiment va, tout va » et elle n’a rien perdu de son actualité. La chute de la construction de logements, ce sont des points de croissance en moins et des dizaines de milliers d’emplois perdus à un moment où précisément la France connait une quasi-stagnation avec une croissance moyenne inférieure à 1% depuis maintenant plusieurs années. En outre, cette demande créée par la construction génère peu d’importations et pourrait contribuer à la réduction des émissions de CO2 grâce à des locaux bien isolés et dotés des techniques nouvelles d’optimisation des consommations d’énergie. Plutôt que de subventionner l’achat des Tesla, l’Etat devrait favoriser le développement de l’implantation de ces nouvelles technologies dans l’habitat.

Cette baisse de la construction intervient à un moment où la population de la France continue d’augmenter et approchera bientôt 70 millions d’habitants. Or on construit 30% de moins de logements que quand elle atteignait 60 millions. L’allongement de la durée de vie fait que les logements sont occupés de plus en plus longtemps. La croissance du nombre de familles monoparentales constitue un deuxième facteur de hausse de la demande. Enfin, et c’est peut-être le facteur le plus préoccupant, la localisation des logements vacants à la suite des décès des occupants correspond de moins en moins à la demande qui est liée à l’emploi et qui se concentre autour des grandes métropoles. Comment réussir la réindustrialisation quand les autorités locales refusent de mettre à la disposition des entreprises les terrains nécessaires et quand les futurs salariés rencontreront des difficultés à se loger ?

Dernier facteur de raréfaction de l’offre, l’utilisation d’un bien immobilier, non pour loger ou se loger mais comme moyen de diversification des placements utilisé souvent par des investisseurs étrangers. Le bien reste inoccupé la plupart du temps mais il prend de la valeur. Leur nombre ne cesse de s’accroître dans les grandes métropoles et les lieux touristiques, au détriment de leurs habitants.

Pour remédier à cette crise qui affecte la vie des familles quand elles veulent inscrire leurs enfants à l’école et de résider près de leurs emplois, l’Etat a plusieurs moyens à sa disposition qu’il devrait employer sans tarder. Le premier concerne les procédures de délivrance des permis de construire qu’il faut simplifier et surtout des possibilités de recours qu’il convient de réduire. La décentralisation a donné aux maires les pleins pouvoirs. Pour mettre un terme aux excès du malthusianisme écologique, l’Etat doit confier aux préfets une mission de contrôle pour s’assurer que les décisions prises par les autorités locales ne sont pas en contradiction avec les besoins qui s’expriment, et leur permettre de corriger les déséquilibres.

De vastes programmes de construction de logements sociaux doivent aussi être lancés. Les organismes disposent des moyens de les financer et l’Etat et les institutions publiques, en cas de besoin, pourraient accorder les garanties si nécessaire. La rénovation énergétique des logements anciens est rendue plus difficile par la diversité des situations, bien loué ou occupé par son propriétaire, copropriété ou immeuble détenu par un institutionnel, d’où la lenteur décevante du processus. Au contraire, des aides à la construction neuve afin d’améliorer l’isolation et de mettre en place les nouvelles technologies d’optimisation des consommations d’énergie seraient bien plus efficace et permettraient d’obtenir des résultats significatifs dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Assurer à sa population des conditions de logement satisfaisantes devrait constituer une des toutes premières priorités d’un gouvernement. Ce n’est plus le cas depuis plusieurs années et l’aggravation des difficultés rencontrées par les ménages pour se loger n’est pas étrangère au profond mécontentement social. Les coûts liés au logement, les loyers ou les annuités de remboursement, le chauffage et les frais de transport quand celui-ci est trop éloigné des lieux de travail constituent le premier poste de dépense des ménages. L’amélioration du pouvoir d’achat passe autant par leur stabilisation et même par leur réduction que par l’augmentation des salaires et des prestations sociales.

L’Etat en adoptant une politique dynamique de la construction serait gagnant sur les deux tableaux : la croissance qui en découlerait contribuerait à l’amélioration des comptes publics et la satisfaction des ménages qui en résulterait rétablirait une confiance qui elle aussi est indispensable au rétablissement de la situation économique et sociale.