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Le blog d'Alain Boublil

 

France : L'impasse économique

L’absence de majorité à l’Assemblée nationale risque de conduire à une impasse politique. Six semaines après les élections législatives, la France est toujours dirigée par un gouvernement en charge des affaires courantes. Le président de la République entreprend à partir du 23 août une série de réunions avec les représentants des différentes formations politiques en vue de former un nouveau gouvernement mais rien ne permet d’être sûr que ces réunions aboutissent au choix d’un Premier ministre capable de construire une coalition pouvant faire adopter les lois, et en particulier la loi de finances pour 2025, qui traduiront les nouveaux choix nécéssaires. C’est une situation inédite sous la Vème République qui est la conséquence de la décision du président de la République de dissoudre l’Assemblée Nationale.

Le résultat de ces élections reflète principalement le rejet par les Français de la politique économique des gouvernements précédents mais les forces politiques en présence sont soit dans le déni de cette réalité, soit, jusqu’à présent, incapables de se mettre d’accord pour proposer une alternative qui réponde à l’attente de ceux qui les ont élus. Le procès de la « politique de l’offre » pratiquée depuis plus de dix ans a abouti, lors des élections, à sa condamnation par les électeurs mais aucune formation n’a obtenu un résultat suffisant pour mettre en place une autre politique corrigeant ces erreurs et replaçant la France sur une nouvelle trajectoire économique.

L’échec de cette politique n’est pas reconnu par ceux qui l’ont choisie puisqu’ils ont proposé de la poursuivre, sans même intégrer des inflexions répondant aux attentes des électeurs. Le paradoxe, c’est que les responsables politiques, à savoir le Nouveau Front Populaire, qui sont les plus critiques et qui demandent un changement radical, appartiennent à la même « famille » que ceux qui l’ont instaurée sous le mandat de François Hollande, avec, dès 2013, des allègements de charges sociales et fiscales massifs en faveur des entreprises.

Cette politique représentait une alternative face aux traditionnelles politiques Keynésiennes, qui comptaient sur un soutien de la demande pour rétablir les équilibres économiques et notamment le plein emploi. En favorisant le pouvoir d’achat, la consommation allait suivre et les entreprises bénéficieraient d’un surcroit d’activité. En lançant de vastes programmes d’investissements publics dans les infrastructures, le logement ou l’énergie, les fournisseurs profiteraient également de nouveaux et importants marchés avec là aussi des créations d’emplois.

La politique de l’offre fut justifiée par la volonté de réduire le coût du travail jugé excessif face à la concurrence étrangère, et permettre ainsi aux entreprises basées sur le territoire national de reconquérir des parts de marché, de créer des emplois et de contribuer au soutien de la croissance. Dix ans plus tard, aucun de ces objectifs n’a été atteint, la situation économique de la France s’est détériorée au point que l’on évoque son déclin, et c’est l’une des raisons et probablement la principale, de l’échec de la majorité sortante aux élections européennes et surtout aux élections législatives qui ont suivi.

Les baisses de charges appliquées à partir de 2013, n’ont en rien contribué au rétablissement de la compétitivité des entreprises et le déficit commercial, hors énergie, n’a cessé de se détériorer. En 2013, le solde de produits manufacturés était légèrement excédentaire en données CAF/FAB avec 2,5 milliards d’euros. Durant ces douze derniers mois le déficit a dépassé 45 milliards d’euros. Les entreprises ne se sont pas servi de ces allègements pour investir ou pour relocaliser leurs usines sur le territoire national et créer des emplois mais pour accroître leurs marges afin de rémunérer leur dirigeants et leurs actionnaires. Nombre d’entre elles ont utilisé ces ressources nouvelles en procédant à des acquisitions à l’étranger qui se révéleront parfois désastreuses ou encore en rachetant leurs propres actions quand l’entreprise était cotée.

La croissance n’en a pas davantage bénéficié et le pays vit avec des taux annuels autour de 1% (en enlevant les effets à la baisse puis à la hausse des conséquences de l’épidémie du Covid-19) depuis près de dix ans, ce qui équivaut à une quasi-stagnation. Le fait que ce taux soit maintenant légèrement supérieur à celui de l’Allemagne n’est pas un argument convaincant puisque la situation démographique des deux pays est radicalement différente. Le PIB par tête de la France est maintenant inférieur de plus de 20% à celui de notre voisin.

La situation de l’emploi ne s’est pas non plus améliorée de façon significative puisqu’il y a toujours environ 3 millions de demandeurs d’emploi. Les emplois créés ont surtout été des emplois peu qualifiés dans les services puisque ce sont les bas salaires qui ont profité des allègements de charges. La baisse du taux de chômage au sens du BIT qui a été ramenée à 7,5% ne doit pas non plus faire illusion puisqu’elle résulte plus de l’augmentation du dénominateur (population en âge de travailler) que du numérateur (chômeurs). Quant à l’objectif qualifié de retour au plein emploi de ramener ce taux à 5%, il est non seulement hors d’atteinte mais surtout une autre illusion puisqu’il laisserait encore plus de deux millions de travailleurs sans emploi.

Enfin, cette politique a été l’une des principales causes de l’accroissement des déficits depuis dix ans et donc de l’endettement public puisqu’elle n’a pas été financée par des augmentations de recettes, si l’on excepte les hausses d’impôts sur les ménages qui ont contribué à freiner la croissance. Les allègements étaient coûteux parce qu’ils n’étaient pas ciblés sur les entreprises, dans l’industrie par exemple, pour lesquelles elles auraient pu avoir un impact positif. Le principal bénéficiaire a été la grande distribution avec certains services comme la restauration ou les livraisons à domicile.

Face à cette situation, les gouvernements successifs ont donc été conduits à imposer des économies aux services publics essentiels, à restreindre la progression des prestations sociales et des bas salaires à un moment où, pour la première fois depuis vingt ans on assistait à une reprise de l’inflation due à un environnement économique international instable marqué par les ruptures de chaînes d’approvisionnement et les tensions sur les marchés de l’énergie. Cette politique a donc à la fois échoué sur le plan économique et généré un accroissement des inégalités sociales. Une petite minorité s’enrichissait grâce aux profits des grandes entreprises et une large majorité de la population avait le sentiment de s’appauvrir. Les résultats des élections traduisent ce mécontentement et la condamnation de la politique économique menée depuis 2013.

Mais aucune solution alternative n'apparait pouvant servir de base à la constitution d’un gouvernement disposant d’une majorité suffisante à l’Assemblée Nationale. L’adoption de ce changement de politique économique demandé par les électeurs est nécessaire pour permettre à la France de retrouver ses équilibres financiers et sociaux. La persistance dans l’erreur de la majorité sortante, dont certains membres venaient de la gauche, bloque l’élaboration d’un programme économique réaliste. La présence, au sein du Nouveau Front Populaire, de partisans de mesures « extrémistes » fait aussi peser un doute sur sa capacité à soutenir une politique économique réaliste.

La France n’est donc pas seulement confrontée à une impasse politique car personne n’est en mesure de prédire quelle forme un nouveau gouvernement pourrait prendre. Elle est aussi confrontée à une impasse économique. La politique de l’offre a échoué et a été rejetée par les électeurs. Mais les grandes lignes d’une nouvelle politique économique à mettre en place par le prochain gouvernement restent à définir et rien ne permet de penser que cela sera facile.