Après les publications de la croissance chinoise au 2ème trimestre, et suivant que l’on consulte la presse internationale ou les quotidiens chinois, on est inquiet ou rassuré. La presse internationale remarque que la première estimation de la croissance du PIB est en retrait (4,7% sur un an) par rapport à celle du 1er trimestre (5,3%) et y voit un signe de ralentissement important qui traduit les problèmes structurels auxquels est confronté le pays. Au contraire le quotidien chinois Daily News se réjouit de ce que la croissance au 1er semestre a atteint 5% sur un an, en exacte conformité avec les objectifs officiels pour l’année 2024. Le PIB de la Chine s’est élevé à 8 500 milliards de dollars au 1er semestre..
Alors qui croire ? Les deux ont raison puisque si les chiffres semestriels constituent une moyenne pour l’évolution de l’activité économique depuis le début de l’année, les données trimestrielles reflètent un ralentissement et il n’est pas illégitime de se demander si ce ralentissement sera confirmé dans l’avenir et débouchera sur une croissance nettement plus faible que pas le passé ou s’il ne s’agit que d’un phénomène temporaire résultant d’un effet de base provoqué par un 1er trimestre très favorable. Le Plenum du Comité central du Parti communiste se réunit cette semaine et ses décisions sont attendues avec beaucoup d’intérêt car elles donneront l’occasion de découvrir le diagnostic porté par les autorités chinoises.
L’analyse des composantes de la croissance chinoise durant le 1er semestre permet de mieux apprécier la situation. Il est indiscutable que la demande intérieure faiblit. Il y a d’abord la crise immobilière qui pèse lourdement sur l’activité du secteur de la construction. Les mises en chantier de logements sont en repli de 23,7%. La baisse de la production au 1er semestre a été de 10%, mais l’arrêt de cette baisse en juin laisse entendre que les mesures adoptées au début de l’année commencent à produire leur effet. Cette crise pèse sur les finances locales dont les ressources proviennent des cessions de terrains à bâtir. L’Etat a pris les mesures nécessaires pour que la faillite de plusieurs grands promoteurs immobiliers ne mette pas les banques chinoises en difficulté ce qui déclencherait une crise comme celle que les Etats-Unis ont connu avec les sub-primes. Une baisse de l’apport initial demandé aux ménages pour acquérir un logement a également été annoncé.
L’investissement, qui n’a cru que de 3,9% au 1er semestre n’est plus, comme par le passé un facteur de soutien de l’activité. Les entreprises sont confrontées au ralentissement de la croissance mondiale et elles commencent à investir à l’étranger, notamment en Asie du Sud-Est pour satisfaire la demande locale. Les filiales en Chine des grands groupes internationaux ont réduit leurs projets face à la concurrence nouvelle, notamment dans l’automobile, des entreprises chinoises.
Le facteur le plus préoccupant est le changement de comportement des ménages dont la consommation ne constitue plus le principal moteur de la croissance avec une hausse de 3,7% au 1er semestre. Mois après mois, les ventes au détail ralentissent et on note une préférence accrue de la population pour les services (+ 7,5%), ce qui a conduit les autorités à adopter des mesures de soutien pour l'achat de biens, notamment de véhicules avec la levée de restrictions locales pour obtenir une immatriculation.
Malgré le ralentissement de la demande intérieure, la production industrielle a résisté avec une croissance de 5% au 1er semestre grâce au développement des exportations en hausse de 6,9%. Le volume d’échanges extérieurs a battu un record avec près de 3 000 milliards de dollars et l’excédent au mois de juin a frôlé les 100 milliards de dollars. L’industrie chinoise a réussi à compenser la moindre croissance de la consommation intérieure en biens manufacturés par des gains de parts de marché à l’étranger. Mais la multiplication des mesures protectionnistes va freiner cette tendance et surtout inciter les entreprises chinoises, pour contourner ces mesures, à investir pour produire dans les régions concernées, ce qui réduira leur contribution à la croissance du pays.
En réalité, la Chine n’est plus un pays émergent et encore moins un pays en développement. Elle est confrontée désormais aux mêmes défis que ceux qu’ont rencontré les pays développés. C’est une situation nouvelle et c’est bien le défi auquel ses autorités sont confrontées et qu’ils vont avoir pour mission de surmonter. Il est possible que la réunion du Plenum du Parti Communiste aboutisse à une première série de mesures mais ce ne seront certainement pas les dernières.
Le premier défi est démographique et il a des conséquences à long terme. Le deuxième concerne les inégalités entre les villes et les territoires. L’un des principaux moteurs de la croissance chinoise fut dans le passé l’exode rural avec des millions d’habitants chaque année allant dans les villes où ils trouvaient un emploi et une amélioration spectaculaire de leur niveau de vie qui alimentait leur consommation et donc la croissance. L’écart de revenus est encore très élevé entre le milieu urbain et les zones rurales, parfois supérieur à deux. Mais le transfert de population est freiné par le ralentissement de l’activité et donc du nombre d’emplois offerts.
Le taux de chômage en milieu urbain est de 5%, suivant les statistiques officielles et il y aurait près de 10 millions de « migrants » dans les villes à la recherche d’un emploi, ce qui est un autre facteur pénalisant pour la croissance. Alors que l’une des grandes réussites de l’ère Deng Xiao Ping était le partage de la prospérité, les jeunes générations épargnant pour permettre à leurs parents restés dans leur village de connaître eux aussi une amélioration de leur niveau de vie, le creusement des inégalités remet ce modèle en cause. Pour des raisons autant politiques qu’économiques, le gouvernement chinois doit y remédier.
A la différence des autres pays développés sa situation financière est bonne. L’inflation est très faible et le niveau des taux d’intérêt aussi. La Chine a accumulé de considérables réserves de changes et la capacité d’endettement de l’Etat est bien supérieure à celle des pays développés. Les ressources existent donc pour lancer une politique de soutien de la demande intérieure qui, par l’amélioration du pouvoir d’achat, surtout dans les territoires ruraux, peut contribuer à réduire les inégalités et doper l’activité pour que l’objectif d’une croissance de 5% du PIB en 2024 soit atteint. Ce serait un niveau bien supérieur à celui que connaissent les autres principales économies.
La Chine doit aussi aller jusqu’au bout de sa politique en faveur des marchés financiers, outils indispensables pour que ses entreprises trouvent des conditions de financement comparables à ce que connaissent ses concurrents et ne soient pas obligées d’aller s’introduire en bourse à New York ou à Singapour. La connexion entre Shanghai et Hong Kong progresse mais la stratégie, décidée il y a maintenant près de quinze ans, d’internationalisation du yuan est encore loin d’avoir donné à la devise chinoise la place que devrait avoir la devise de la deuxième économie mondiale.
L’agenda des autorités chinoises pour que le pays atteigne ses objectifs est donc bien chargé et est finalement peu différent de celui des autres pays développés. Mais c’est une situation nouvelle pour des autorités politiques qui n’ont pas encore une pleine expérience de la définition et de la mise en œuvre d’une politique économique qui corresponde aux besoins du pays et qui soit adapté à un environnement international tendu.