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Le blog d'Alain Boublil

 

Voiture électrique : la grande incertitude

Considérée comme une priorité dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, la promotion de la voiture électrique rencontre de nombreux obstacles dans le monde qui pourraient remettre en cause les objectifs annoncés, du fait de la spécificité des secteurs industriels concernés et des exigences des clients. On ne rencontre pas ces difficultés dans la production d’électricité ou dans l’isolation thermique par exemple. Les technologies sont disponibles aussi bien pour les énergies renouvelables que pour le nucléaire. Quant à la réduction des consommations dans les bâtiments, il suffit d’offrir les financements appropriés, de former et de recruter la main d’œuvre qualifiée. La situation est très différente dans le secteur automobile.

Un véhicule est un bien très complexe à fabriquer. Il nécessite de nombreux sous-traitants qui ont acquis au fil des décennies les compétences et la compétitivité nécessaires.  Le changement du mode de motorisation fait de la voiture électrique un véhicule complètement différent. Il faut d’abord maîtriser la production de batteries ou trouver un fournisseur compétitif en termes de prix et de qualité. Il faut ensuite transformer complètement l’assemblage des pièces avec des centaines de milliers d’emplois concernés.

Le développement des « giga-factories » en Europe ne doit pas faire illusion. Il faudra beaucoup de temps à l’usine de Douvrin où Stellantis et Mercédès se sont associés pour que le taux de rebut descende en dessous de 10% de la production. Il faudra aussi maîtriser les approvisionnements en matières premières comme le lithium ou les terres rares où la Chine détient une part de marché de près de 70%. La reconversion des sites de production s’accompagnera de lourds plans sociaux, L’ouverture des nouvelles usines fera appel à des qualifications différentes.

Les producteurs d’équipements et de pièces détachées pour moteurs thermiques devront se reconvertir puisqu’une partie importante de leurs débouchés disparaitra progressivement. L’industrie automobile aura donc à faire face aux coûts sociaux de ces transformations et au financement des nouvelles unités de production. Leurs principaux concurrents, les constructeurs chinois, ont, eux, démarré la production de véhicules électriques bien avant leurs homologues européens et américains, à l’exception de Tesla. Ils n’ont pas eu à subir les frais des reconversions. Ils disposent donc pour longtemps d’un avantage en matière de compétitivité et de qualité des véhicules offerts au public.

Un produit doit répondre aux attentes du marché. L’aventure du loueur Hertz est révélatrice. Il avait acheté des dizaines de milliers de véhicules électriques. Il a dû les revendre car ses clients n’en voulaient pas. Plusieurs facteurs expliquent l’attitude des automobilistes. Il y a le prix, nettement plus élevé que pour un moteur thermique et l’autonomie avec les incertitudes sur le réseau de bornes de recharge. Qui va acheter un véhicule dont il ne sait pas s’il pourra l’utiliser pour partir en vacances ? Adaptée aux courtes distances et au milieu urbain ou aux propriétaires de maison individuelles où il est possible d’installer un dispositif de recharge, la voiture électrique souffre des contraintes attachées à son alimentation en énergie. Ces facteurs expliquent les fortes différences existant sur les trois principaux marchés mondiaux, les Etats-Unis, l’Europe et la Chine.

Le marché américain est décevant. Le président Biden avait fixé comme objectif que la part des véhicules électriques représente 50% des ventes de voitures neuves en 2030. En 2023 elle n’a atteint que 9,5% car les modèles ne correspondent pas assez aux besoins des clients : prix élevés et surtout autonomie insuffisante. Un rebond est peu vraisemblable après l’instauration de taxes élevées sur les importations de batteries et de voitures en provenance de Chine. Les automobilistes sont habitués aux longs déplacements. Les véhicules consomment beaucoup de carburant mais son prix, grâce à une faible taxation, est deux fois moins élevé qu’en Europe.  Le véhicule électrique est donc peu attractif d’autant plus qu’on assiste à une faible mobilisation en faveur du climat. Pourtant le premier constructeur mondial est américain, Tesla qui a investi pour produire aussi en Chine et bientôt en Europe.

En Europe, c’est différent. Malgré un très fort engagement public en faveur du climat, les constructeurs ne se sont intéressés au développent des véhicules électriques que récemment. Le succès de Tesla et surtout la décision européenne d’interdire la vente en 2035 de véhicules neufs avec des moteurs thermiques les a forcés à réagir. Mais les écarts de prix, 20% en moyenne malgré les subventions publiques, les coûts élevés d’entretien et l’insuffisance des réseaux de recharge continuent d’exercer un effet dissuasif. En France, en 2023, leur part a atteint 16,7% des immatriculations mais elle a baissé depuis le début de l’année avec la réduction des aides, comme en Allemagne où elle n’atteint plus que 11%.

La Chine, avec près de 22 millions d’immatriculations en 2023, est le premier marché automobile mondial. La demande des consommateurs est forte et les constructeurs sont capables de la satisfaire. Les ventes de véhicules électriques sont en hausse de 34% depuis le début de l’année et les exportations sur les quatre premiers mois de 20,8%, soit 421 000 unités. L’industrie chinoise, qui est aussi le premier producteur mondial de batteries, dispose donc à la fois, à la différence des Etats-Unis et de l’Europe, d’une forte demande intérieure et des entreprises en mesure de la satisfaire et d’exporter. C’est pourquoi, les autorités européennes, inquiètes, ont lancé une procédure permettant de relever fortement les droits de douane sur les voitures électriques fabriquées en Chine, ce qui vise donc aussi Tesla.

Mais cette démarche comporte une contradiction majeure et ne fera pas l’unanimité chez les Etats-membres comme l’Allemagne : les constructeurs chinois, comme Buy Your Dream (BYD), en exportant vers l’Europe favorisent, grâce à leurs prix compétitifs, les ventes de véhicules électriques et contribuent à la réalisation des objectifs climatiques. L’imposition de lourds droits de douane pour protéger les producteurs européens, dissuadera les consommateurs qui estiment qu’ils sont trop élevés. La part des véhicules électriques restera au faible niveau actuel et rendra impossible l’interdiction en 2035 des ventes de véhicules thermiques neufs.

Cette décision entrainera forcément une réplique des autorités chinoises frappant les véhicules européens. Volkswagen réalise 30% de ses ventes en Chine et les exportations de voitures constituent l’une des contributions les plus importantes aux excédents commerciaux allemands. On peut être sûr que Berlin fera tout pour éviter des tensions commerciales avec Pékin, ce qui laissera ouvert aux constructeurs chinois le marché européen. Il restera alors aux Etats de prendre les décisions appropriées pour que l’industrie automobile européenne ait les moyens de financer cette transition technique majeure pour faire face à la concurrence chinoise.  

On ne peut pas vouloir quelque chose et son contraire. On ne peut pas imposer aux automobilistes un mode de déplacement qui ne correspond pas à leurs attentes et on ne peut pas forcer les entreprises à anticiper une mutation sans avoir de garantie sur son aboutissement. Aux Etats-Unis, c’est la liberté qui prévaut, même si des droits de douane visent à protéger les producteurs nationaux. En Chine, la question ne se pose pas. Tout le monde est d’accord et l’immense marché chinois offre aux constructeurs un volume de production qui est un puissant facteur de baisse des coûts. A l’Europe d’en tirer les leçons, en repoussant la date de l’interdiction, pour que les constructeurs s’adaptent à l’évolution de la demande des clients, ou en décidant la mise en place d’un plan substantiel de soutien financier aux constructeurs pour leur permettre d’accomplir leur mutation vers la voiture électrique.