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Le blog d'Alain Boublil

 

Retour en 1981 ?

La conclusion d’un accord entre les différentes organisations politiques se réclamant de la gauche et des mouvements écologistes en vue des prochaines élections législatives fait inévitablement penser aux alliances des années 70 entre les partis de gauche et au Programme commun. Elles allaient déboucher sur l’élection de François Mitterrand le 10 mai 1981, suivie d’une large victoire lors des élections législatives tenues quelques semaines plus tard. Une alliance analogue en 1997 permettra à la « gauche plurielle » de remporter les législatives et forcera Jacques Chirac à désigner Lionel Jospin comme Premier ministre. La cohabitation durera cinq ans.

Les circonstances sont aujourd’hui différentes aussi bien sur le plan politique que sur le plan économique. Les tensions entre le Parti Communiste et les socialistes étaient réelles dans les années 70, en pleine guerre froide, et la droite menaçait les électeurs de l’arrivée des chars soviétiques sur la place de la Concorde. Le Programme commun n’avait d’ailleurs pas pu être actualisé en 1977 ce qui ne sera pas étranger à la défaite en 1978 de la gauche. Mais les divergences étaient bien moins vives qu’aujourd’hui. Les dirigeants des composantes de la gauche se respectaient et il n’y avait pas de doute réel sur le choix de celui qui, en cas de victoire en 1981, dirigerait le pays puisqu’il s’agissait d’une élection présidentielle.

Aujourd’hui, on est en présence d’un accord électoral pour qu’il n’y ait qu’un seul candidat par circonscription, même si certains d’entre eux ont tenu des propos jugées inacceptables. Une liste de propositions a été élaborée dans la hâte à cause du très bref délai entre l’annonce de la dissolution et les élections. Le président de la République choisira le chef du prochain gouvernement, en fonction de la nouvelle composition de l’Assemblée Nationale. La personnalisation de la vie politique est devenue telle que le débat porte, surtout à gauche, sur ce choix bien plus que sur les contenus des programmes qui se résument à une énumération de propositions.

La droite, en pensant caricaturer les mesures retenues par la gauche, évoque le souvenir de la politique menée à partir de 1981 et prétend qu’elles accroîtront le déficit budgétaire et le déficit commercial. Mais on sait depuis longtemps que la relance décidée à l’époque a épargné à la France la profonde récession qui avait affecté notamment l’Allemagne et les Etats-Unis. Elle ne fut en rien à l’origine de l’aggravation du déficit commercial puisque celui avait été exclusivement provoqué par l’alourdissement de la facture pétrolière résultant de la hausse du dollar, elle-même causée par la hausse brutale des taux d’intérêt décidée par la Réserve Fédérale.

La leçon principale à tirer du résultat des élections européennes est qu’il traduit le profond mécontentement des Français face à la situation économique et sociale du pays. La politique suivie, fondée sur l’allègement des charges sur les entreprises, afin de rétablir leur compétitivité n’a pas atteint les objectifs attendus comme en témoignent la désindustrialisation du pays et l’aggravation continue du déficit commercial hors énergie. Tout s’est passé comme si les transferts massifs ont surtout profité aux marges des grandes entreprises, à leur valorisation boursière et aux rémunérations de leurs dirigeants, générant un profond sentiment d’injustice puisque l’immense majorité de la population n’en a pas profité. Cette politique, d’inspiration néo-libérale, fut lancée à partir de 2012 et qualifiée de politique de l’offre par opposition aux politiques, qualifiées de keynésienne, qui privilégiaient pour atteindre le plein emploi, le soutien de la demande.

Les principales propositions économiques du Nouveau Front Populaire s’inspirent de cette logique keynésienne ce qui a généré les critiques et l’évocation caricaturale du programme de 1981. Mais c’est injustifié. L’abrogation de la réforme des retraites s’impose puisque celle-ci, vu le très faible taux d’emploi des seniors ne ferait que transférer une partie du déficit du régime général vers une augmentation de celui de l’assurance-chômage. Il y a une manière bien plus efficace de rétablir l’équilibre du régime général : relever chaque année le plafond des cotisations. Cela n’affecterait pas les régimes complémentaires qui disposent de réserves considérables et sont en excédent structurel, comme le montrent leurs comptes des deux dernières années.

Il est parfaitement justifié, afin de réduire le sentiment général d’inégalité, de relever les bas salaires et d’indexer les prestations sociales. C’est bien plus efficace que d’instaurer des « primes » de toute nature, distribuées par une bureaucratie envahissante et coûteuse. En revanche les baisses de TVA, sauf pour les secteurs réglementés, sont à éviter car rien ne permet d’être sûr que ces baisses seront répercutées et profiteront aux consommateurs. Le projet d’intervenir à Bruxelles pour mettre un terme à l’ouverture à la concurrence des services publics est fondé. Cette politique est un échec. Les utilisateurs n’en n’ont tiré aucun avantage, ni sur les prix, ni sur la qualité des prestations offertes.

Mais ces démarches n’ont de chance d’aboutir, comme pour la réforme des marchés de l’énergie, que si elles sont effectuées par un gouvernement qui n’est pas en conflit ouvert sur d’autres domaines comme les finances publiques. Elles auront beaucoup de mal à convaincre si elles proviennent de forces politiques qui ont pendant longtemps prêché la sortie de l’Union Européenne et donc de l’euro, et qui n’ont abandonné cette position que pour des raisons purement tactiques. Le Nouveau Front Populaire, comme l’Union de la Gauche de 1981, est, lui, attaché au projet européen à la différence du Rassemblement National.

Reste la question des finances publiques. La majorité sortante est mal placée, vue l’évolution de l’endettement public depuis dix ans pour donner des leçons. La hausse des déficits a permis, durant la crise du Covid-19 d’éviter la catastrophe. Mais globalement la dérive budgétaire n’a été profitable ni à la croissance, ni à l’investissement. Le progrès social doit être un objectif central de la politique et on ne trouve ce principe ni dans la majorité sortante, ni dans les propositions de l’extrême droite qui se heurtent aux règles européennes et dont l’arrivée au pouvoir affaiblirait considérablement la capacité de la France à les faire accepter par Bruxelles.

Les années 80, si souvent décriées, ont pourtant montré que l’on pouvait faire aller de pair le progrès social avec le progrès économique. Elles ont été le théâtre d’avancées européennes majeures avec le marché unique puis peu après, avec l’euro. Elles ont vu la réalisation de grands projets comme l’extension des lignes à grande vitesse, la signature du Traité relatif à la réalisation du tunnel sous la Manche, la construction du parc nucléaire, la création du premier centre d’affaires européen à La Défense ou encore des progrès industriels comme la restructuration de la sidérurgie et la constitution d’une industrie aéronautique et spatiale compétitive sur la scène mondiale.

La gauche a toujours été favorable à l’Europe depuis qu’elle a accédé au pouvoir en 1981. Elle doit constituer aujourd’hui un rempart face à ceux qui menacent d’affaiblir et même de marginaliser la France en son sein. Car l’Europe est indispensable. Mais elle n’est pas parfaite. Raison de plus pour doter la France d’un gouvernement capable de contribuer à son adaptation au monde d’aujourd’hui, pour le plus grand profit des peuples européens au premier rang desquels figure le peuple français. Nous ne sommes donc plus en 1981 mais le progrès social reste une exigence et son accomplissement serait impossible si la France voyait son rôle dans les institutions européennes marginalisé du fait de la composition politique du prochain gouvernement.