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Le blog d'Alain Boublil

 

La France et le risque européen

Le faible score réalisé par la majorité présidentielle aux élections européennes et la décision du président de la République de dissoudre l’Assemblée Nationale risquent de plonger la France dans une crise politique majeure et d’inquiéter les marchés financiers. La perspective d’une victoire des partis d’extrême droite qui depuis des années critiquent l’Union Européenne, après avoir même proposé d’en sortir et d’abandonner l’euro, constitue une réelle menace. En cas de majorité relative à l’issue de ces élections elle ouvre aussi la possibilité d’une instabilité politique inédite sous la Vème République

Rien pourtant n’obligeait le gouvernement à faire de ce scrutin un test de soutien à son action sur le plan national puisqu’il s’agissait de choisir des députés européens qui allaient appartenir à des groupes politiques composés par les élus des 27 pays membres chargés d’approuver des textes conformément aux règles de l’Union. Le résultat du vote en France, qui s’inscrit dans un mouvement général en Europe, n’était donc pas de nature à bouleverser les équilibres au sein du Parlement européen. Malheureusement, la campagne électorale, du fait du choix du gouvernement et des candidats qui avaient été désignés s’est focalisé sur la situation économique et politique du pays et non sur les défis auxquels l’Europe est confrontée.

Le résultat obtenu par la liste de la majorité (14,5% des suffrages exprimés), est la conséquence à la fois de l’échec de la politique économique suivie depuis sept ans et même dans certains domaines depuis douze ans, et de son déni par le gouvernement qui n’a fait qu’aggraver le mécontentement. La France a été confrontée à des crises majeures avec l’épidémie du Covid-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie. La première a été surmontée grâce à des concours financiers massifs et justifiés de l’Etat pour permettre aux entreprises de survivre. La seconde, qui a surtout atteint le secteur de l’énergie a eu de lourdes conséquences sur le pouvoir d’achat du fait des erreurs passées dans ce domaine, avec la réduction de la part du nucléaire et une régulation tarifaire inadaptée.

Mais ces deux crises ne sauraient cacher la faible croissance de l’économie française depuis plus de dix ans et surtout son lourd déficit commercial persistant alors que l’une des priorités constantes des gouvernements qui se sont succédés était de rétablir la compétitivité des entreprises au prix de transferts financiers importants en leur faveur qui ont contribué à l’alourdissement des déficits budgétaires et à une montée sans précédent de la dette publique.

Mais pour y faire face, l’Etat n’a cessé d’imposer des réformes dites structurelles, qui se réduisaient à la sous-indexation des salaires et des retraites, au report de l’âge de départ et des restrictions portant sur les indemnités de chômage et les prestations sociales. Parallèlement on assistait à une dégradation continue de la qualité des services publics alors que leur coût augmentait du fait d’une bureaucratisation croissante.

Pendant ce temps-là, et contrairement aux affirmations des ministres, toujours très fiers de leur action, aucun progrès n’était accompli pour réduire le chômage : il y avait toujours environ trois millions de demandeurs d’emplois n’ayant aucune activité et plus de cinq millions cherchant un meilleur emploi ou un travail à temps plein. Le gouvernement se vantait de faire baisser le taux de chômage, effectivement revenu à 7,5%, mais ce concept statistique est purement théorique et influencé par les évolutions démographiques. Le mécontentement est venu de ces piètres résultats et a été aggravé par la communication gouvernementale qui n’a cessé, contre l’évidence, de dire que tout allait mieux.

Les mouvements d’extrême-droite ont donc été les grands bénéficiaires de ce mécontentement que les forces de gauche, divisées et ayant souvent adopté de positions elles-aussi extrémistes, n’ont pu capter. Au lieu de reconnaître les erreurs passées et d’en tirer les leçons, il a été décidé de dissoudre l’Assemblée Nationale mais le résultat risque fort d’être en ligne avec le scrutin européen, même si le mode d’élections des députés, un scrutin majoritaire à deux tours, est différent. La probabilité d’une majorité, au moins relative, de l’extrême droite est réelle avec la constitution d’un nouveau gouvernement dirigé par un responsable du Rassemblement National.

Or les propositions de ce parti pour remédier au mécontentement des Français sont, pour la plupart, en contradiction avec des règles européennes, sur l’immigration, la concurrence, les aides d’Etat et la gestion des finances publique. Elles ne pourront être mises en place qu’au terme de discussions avec Bruxelles, qui ont fort peu de chances d’aboutir. Dans le passé, ce parti avait défendu la thèse d’une sortie de l’euro et même, pour certains de ses membres, de l’Union Européenne mais depuis, il y avait renoncé. Une fois au pouvoir, rien ne permet d’être sûr que cette menace ne sera pas à nouveau brandie pour faire accepter les mesures annoncées. Elle aurait alors, vue la situation financière de la France, de lourdes conséquences.

La première concerne les taux d’intérêt et la charge de la dette. Un simple doute sur le maintien dans l’euro provoquerait une hausse brutale de l’écart avec le taux allemand qui sert de référence. Quand Standard and Poors avait dégradé la note de la France, il n’y avait eu aucune réaction et le spread pour les emprunts à 10 ans avec l’Allemagne était resté à 48 points de base. Deux jours après l’annonce de la dissolution, l’écart s’est creusé de 14 points. Les tensions  entre un gouvernement d’extrême droite et Bruxelles provoqueraient de nouveaux écarts et déclencheraient un cycle spéculatif peu différent de ce qui s’était produit avec la Grèce en 2012 lors de la crise de l’euro. Il serait nourri par chaque déclaration d’un membre du nouveau gouvernement, interprétée comme hostile à l’Europe. Les conséquences budgétaires seraient alors considérables avec l’alourdissement de la charge de la dette.

La deuxième conséquence concerne les entreprises. Toute incertitude sur l’appartenance de la France à l’Union Européenne qui résulterait de tensions avec Bruxelles nées de l’application du programme du Rassemblement national provoquerait des doutes sur leurs investissements, sur les chaînes d’approvisionnement et donc sur leurs résultats. L’impact sur les marchés d’actions serait immédiat. Les dirigeants seraient obligés de redéfinir leurs stratégies pour s’adapter à ce nouveau contexte. Elles s’étaient organisées depuis des décennies pour profiter d’un vaste marché unique. Elles seraient contraintes soit d’entamer un mouvement de repli puisqu’elles n’y auraient plus accès dans les mêmes conditions que leurs concurrents européens, soit de lancer une vague de délocalisations. Les effets sur l’emploi risquent d’être lourds.

La troisième conséquence serait la fin de la Politique Agricole Commune, avec ses prix garantis pour les producteurs, les subventions et l’accès aux marchés des 26 Etats-membres. La prolifération des normes a affecté les coûts de production et constitué une lourde charge pour les exploitants, ce qui a généré des critiques justifiées. Mais la bonne solution est de convaincre nos partenaires de mettre fin à cette inflation bureaucratique pour retrouver tous les avantages que l’Union a apporté au monde agricole, et non de s’imaginer que l’on pourrait tirer profit en en sortant.

La dissolution l’Assemblée Nationale n’était fondée sur aucune règle constitutionnelle. La politisation excessive du résultat des élections européennes et la décision qui en a été la conséquence avec des élections législatives pouvant conduire à la formation d’un gouvernement anti-européen, risquent d’aboutir à un résultat inverse à ce qui était escompté : au lieu de conforter la place centrale que la France occupe au sein du projet européen, elle placera au mieux le pays en marge des décisions et au pire en situation d’exclusion.