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Le blog d'Alain Boublil

 

la fin du modèle allemand

La visite d’Etat du président de la République à Berlin et à Dresde n’a pas donné de résultats concrets mais elle est intervenue au bon moment. Il ne peut pas y avoir d’Europe forte sans une relation solide entre la France et l’Allemagne. Or le pays va être confrontée à des difficultés majeures. Il est essentiel qu’il reste mobilisé, en dépit des problèmes structurels qu’il va devoir affronter, pour que le projet européen se renforce et puisse faire face à un environnement international de plus en plus instable.

L’économie allemande a connu une récession en 2023 (-0,3%) quand la France enregistrait une croissance de 0,9% et les chiffres du 1er trimestre (+0,2%) ne montrent pas le rebond qu’on aurait pu espérer. Les perspectives pour 2024 et 2025 ne sont pas plus favorables et on s’attend au mieux à une très faible augmentation de l’activité.

Le modèle allemand, tant cité en exemple en France, avait reposé jusqu’à présent sur une croissance suffisante pour assurer le plein emploi, sur des excédents commerciaux importants qui soutenaient cette croissance et sur des finances publiques saines, avec un faible déficit et un taux d’endettement parmi les plus bas de la zone euro. Il résultait largement du succès de la réunification dans les années 90, et de la culture d’entreprise qui privilégiait le partage de la richesse entre les différentes parties prenantes, les actionnaires, les salariés et les dirigeants.    Paul Valéry dès la fin du XIXème siècle, avait fait ce constat : « tout est fait pour que revienne de tous les points du monde vers tous les points de l’Allemagne le maximum de richesse ».

Certains de ces résultats étaient pourtant moins flatteurs que ce que les commentaires laissaient supposer. Le plein emploi était le résultat de la conjugaison du recours au travail à temps partiel, bien plus important qu’en France et du déclin démographique qui va s’accroître dans l’avenir : la population dans la tranche d’âge 20-64 ans va baisser de 10% entre 2023 et 2033, soit environ cinq millions de personnes, alors qu’en France elle ne va diminuer que de 2%. La situation des finances publiques a bénéficié chaque année du faible niveau des dépenses militaires, soit environ 1% du PIB, ce qui correspond à la moitié du pourcentage que la France consacre à sa défense nationale en moyenne depuis quarante ans. Les succès indiscutables du commerce extérieur étaient rendus possibles par un état du monde où les échanges n’étaient pas affectés par les tensions géopolitiques. Les entreprises allemandes avaient su en profiter bien mieux que les autres et notamment que les entreprises françaises.

Les temps ont changé. Le vieillissement de la population, qui contribue artificiellement au plein emploi, va coûter de plus en plus cher aux finances publiques. La situation internationale va imposer un accroissement des dépenses militaires, pesant sur les équilibres budgétaires. La remise en cause des fondements de la mondialisation avec la montée du protectionnisme aux Etats-Unis, la concurrence croissante des firmes chinoises et la rupture qui pourrait être durable avec la Russie va progressivement affecter la capacité des entreprises allemandes à se développer et risque de mettre nombre d’entre elles en difficulté.

Le système politique allemand avait été considéré comme un atout dans le passé, avec la décentralisation permise par le fédéralisme et la représentation proportionnelle. Cela avait conduit à des majorités de coalition mais cela pourrait avoir été un handicap avec l’adoption de mesures profondément néfastes pour l’économie du pays. Les décisions dans le secteur de l’énergie en fournissent un bon exemple. Angela Merkel s’est maintenue au pouvoir pendant plus de dix ans en faisant cohabiter les écologistes et les chrétiens-démocrates. Le Chancelier Olaf Scholz est lui confronté à la même situation en réunissant dans son gouvernement les sociaux-démocrates, les libéraux, rigoureux sur les dépenses publiques, et les écologistes, partisans d’investissements coûteux pour assurer la transition énergétique.

C’est ce système politique qui a conduit Angela Merkel, après la catastrophe de Fukushima qui a ainsi servi de prétexte, à abandonner la production nucléaire. Elle donnait ainsi satisfaction aux écologistes et elle faisait bénéficier son parti du soutien des électeurs des régions de production du charbon dans l’ancienne Allemagne de l’Est, qui allait être utilisé   dans les centrales pour produire de l’électricité quand les éoliennes étaient en arrêt faute de vent et quand les panneaux solaires ne pouvaient fonctionner faute de soleil. En même temps, elle mandatait un ancien chancelier social-démocrate pour sécuriser les approvisionnements en gaz naturel en provenance de Russie en contournant l’Ukraine avec la construction des gazoducs Nord-Stream 1 et 2.  

En renforçant ses liens avec Moscou, Berlin confortait son rôle central et stratégique dans le continent européen et faisait aussi le pari que les entreprises allemandes profiteraient du supplément de ressources procurés par les achats de gaz naturel dont allait bénéficier l’économie russe. Le pays paye aujourd’hui les conséquences de ces erreurs. L’invasion de l’Ukraine et les sanctions adoptées ont contribué à déstabiliser la production électrique et provoqué une hausse des prix, qui va être durable. Cela va affecter la compétitivité de l’industrie allemande à un moment où les règles du commerce mondial sont en train de changer.

Les tensions politiques gênent les chaînes d’approvisionnement. Les nouvelles contraintes imposées par la réduction des émissions de gaz à effet de serre imposent la réalisation de lourds investissements pour adapter les modes de production à ces nouvelles exigences. La montée du protectionnisme aux Etats-Unis et l’apparition d’une vive concurrence des entreprises chinoises qui bénéficient d’un vaste marché intérieur et des baisses de coûts qui en résultent constituent le nouveau paysage industriel mondial. Cela va lourdement frapper l’industrie allemande.

La chimie et la sidérurgie vont être affectées par la hausse des coûts de l’énergie. L’industrie automobile qui a généré des excédents commerciaux considérables est confronté aux défis de l’électrification alors que le pays ne dispose pas des métaux rares pour fabriquer les batteries et que ses entreprises vont avoir en face d’eux les constructeurs chinois qui ont, elles, ces ressources naturelles et plusieurs années d’avance. L’intelligence artificielle va modifier les techniques de production et les entreprises vont devoir s’adapter mais là aussi, l’Allemagne ne dispose plus d’aucun avantage.

Ce qui a fait la force du modèle économique allemand, ce sont ses succès industriels qui, grâce à la qualité des productions ont conféré aux entreprises une réputation tout à fait justifiée. Mais cela concerne l’industrie d’hier. Rien ne permet d’être certain que l’industrie lourde pourra faire face à la hausse des prix de l’énergie et disposera de suffisamment de ressources pour procéder aux investissements pour satisfaire aux nouvelles normes environnementales. Il en va de même pour l’automobile qui réalise une part substantielle de son activité en Chine où le véhicule électrique connait un réel succès. Une réduction sévère de la part de marché des constructeurs allemands y est inéluctable et donc de leurs résultats financiers. Cela interviendra au plus mauvais moment puisque ces constructeurs, avec l’interdiction de la vente en Europe de véhicules avec moteurs thermiques en 2035, vont devoir réaliser des investissements considérables pour se conformer à cette décision.        

Au moment où, en France, on s’inquiète parce que le gouvernement ne dispose que d’une majorité relative à l’Assemblée Nationale, en Allemagne les défis auxquels le pays va être confrontée ont tout de chance de fragiliser la coalition au pouvoir et de l’empêcher de définir un modèle de croissance adaptée au monde de demain et de le mettre en oeuvre.