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Le blog d'Alain Boublil

 

Dette publique française : le faux débat

La création, par l’Assemblée Nationale, d’une commission d’enquête sur la situation des finances publiques, présidée par le député d’opposition, membre du parti républicain, Philippe Juvin, n’est qu’un nouvel épisode de cette longue controverse sur l’endettement public du pays. Mais quel est l’intérêt du rapport qui va être élaboré ? S’agit-il de faire pression sur le gouvernement pendant l’élaboration du projet de loi de finances pour 2025 qui sera présenté en septembre ou d’une analyse objective sur l’origine et sur les risques que fait peser sur l’économie française la très forte augmentation de l’endettement public depuis 1995 ?

Même si les chiffres présentés montreront le caractère incontestable de cette évolution, tout permet de penser que l’analyse des données réelles passera derrière un message alarmiste destiné à affaiblir le gouvernement. Il est probable que la question des causes de la forte hausse des dépenses publiques et donc des déficits et de l’endettement du pays et de ses conséquences économiques passe au second plan.

Pour disposer des éléments pertinents d’appréciation, il convient de choisir les bons indicateurs. La définition de l’endettement public doit être celle délivrée par l’INSEE, à savoir l’endettement net, après déduction des dépôts et des créances négociables et non la dette au sens de Maastricht par nature plus élevée mais qui ne constitue pas un indicateur rigoureux de la situation. Ensuite, le concept généralement employé, également en conformité avec le Traité de Maastricht, est le ratio entre la dette et le PIB. Or celui-ci n’est pas pertinent car il rapporte un flux, le PIB, à un stock, la dette. Quand on cherche à évaluer la capacité d’un pays à rembourser sa dette, sa solvabilité est fonction de celle de ses agents économiques au premier rang desquels figurent les ménages et non de sa production annuelle de biens et de services.

En 1995, les actifs financiers des ménages représentaient 1648 milliards d’euros (après conversion) et la dette publique nette 567 milliards, d’où un ratio de 34,4%. En 2023, toujours suivant les statistiques de l’INSEE et de la banque de France, les chiffres correspondants étaient de 6 185 et de 2 870 milliards soit un ratio de 46,4%. La progression de l’indicateur est ainsi bien plus faible que celle fournie par le ratio de Maastricht qui lui a presque doublé. La solvabilité de la France est donc beaucoup moins affectée par la hausse de la dette publique qu’on ne le prétend. Cette constatation est renforcée par le fait qu’une part non négligeable de cette dette est détenue aujourd’hui par la Banque Centrale Européenne

Les agences de notation Fitch et Moody’s ont fait le même constat en confirmant la note élevée de la France avec des perspectives stables. Les marchés financiers continuent de souscrire massivement aux émissions de bons du Trésor et d’obligations à moyen et long terme. L’écart de taux avec l’Allemagne autour de 50 points de base sur les OAT à 10 ans est stable alors que les trajectoires des finances publiques des deux pays divergent depuis longtemps. L’argumentation technique sur les risques de l’endettement excessif n’est donc pas convainquant.

L’argument politique suivant lequel la génération actuelle fait peser sur les générations futures les charges qu’elle n’a pas voulues assumer l’est encore moins car les prochaines générations hériteront certes de la dette mais aussi de l’argent pour la rembourser qui, du fait du taux d’épargne financière élevé des seniors, ne cesse de s’accroître. Entre 2012 et 2023, le patrimoine financier des ménages s’est accru de plus de 2000 milliards d’euros. En outre, et c’est ce qui s’est passé depuis la création des marchés financiers, rien ne s’opposera à ce qu’à leur tour, en laissant l’Etat recourir à l’emprunt, ils transmettent cette dette et leur richesse accumulée à leurs propres héritiers.

Les débats qui vont s’ouvrir avec les travaux de la commission Juvin risquent d’être essentiellement politiques puisqu’il s’agira de brandir des menaces en invoquant des situations largement surestimées et en les utilisant pour mettre en difficulté le gouvernement. Mais on passerait alors à côté des vrais problèmes : la qualité de la gestion de la dette et le volume et le contenu des dépenses publiques.

La charge de la dette publique va s’alourdir dans l’avenir moins du fait de la remontée des taux d’intérêt et des déficits que de sa gestion passée par l’Etat. Pendant la période de très faible taux d’intérêt, et contre toute logique, l’organisme en charge des émissions a systématiquement proposé des obligations portant des taux élevés et empoché des « primes d’émissions » représentant ce que le souscripteur était prêt à avancer pour bénéficier pendant la durée du titre d’intérêts supérieurs à ceux du marché. L’Etat a été doublement perdant. La réduction du besoin en trésorerie grâce aux primes perçues quand les taux à court terme étaient négatifs ou nuls ne présentait aucun avantage mais les charges futures étaient, elles, artificiellement accrues. Autre erreur, l’émission de titres indexés sur l’inflation française et, ce qui était pire, sur celle de la zone euro. Aujourd’hui, la France doit chaque année inclure dans son budget une provision pour faire face au surcoût du remboursement de ces titres du fait de leur indexation.

Le second et de loin le plus important problème est celui de la dépense publique qui ne cesse d’augmenter quand son efficacité n’a jamais suscité autant de critiques. L’instauration de mesures d’urgence pour parer aux conséquences de l’épidémie du Covid-19 et des différents boucliers après l’invasion de l’Ukraine par la Russie pour éviter une crise énergétique majeure étaient justifiés. Mais l’évolution structurelle de la dépense publique est le résultat de la bureaucratisation croissante du pays depuis vingt ans.

La multiplication des textes et la création d’opérateurs publics ont doublement pesé sur l’économie. Du côté de l’Etat et des administrations publiques, les dépenses de fonctionnement se sont accrues alors qu’on aurait pu attendre, notamment avec la digitalisation, des réductions significatives d’effectifs et de coûts. Pour s’adapter à un environnement réglementaire aussi envahissant et instable, les entreprises ont dû recruter ce qui a pesé sur la productivité, sur la croissance et donc sur les recettes fiscales et les déficits publics. En vingt ans, le volume de textes législatifs et réglementaires a été multiplié par deux. Il existe aujourd’hui 438 opérateurs de l’Etat, organismes chargés de fonctions administratives dotés d’une existence légale sans pour autant que les administrations concernées aient disparu ou, à tout le moins, connu une réduction de leurs tailles.

Il sera donc difficile à une commission parlementaire de faire la critique de l’institution dont elle est issue alors que l’un des principaux responsables de cette bureaucratisation coûteuse est précisément le Parlement avec la prolifération de propositions de lois et d’amendements. Mais c’est la crédibilité de ses travaux qui est en jeu. L’action gouvernementale porte aussi une lourde responsabilité. Chaque ministre, pour justifier son existence et apparaître dans les médias, est tenté de faire produire un texte de loi par ses services et de le faire adopter par le Parlement. Il contribue ainsi à la fois à la prolifération de normes et de règles et à l’instabilité de l’environnement juridique de la vie économique ce qui a de lourdes conséquences sur la productivité. Au lieu d’agiter le chiffon rouge de la dette, la Commission ferait mieux de se souvenir du slogan de ses ancêtres de mai 68 et de conclure ses travaux par une forte recommandation : « Une seule solution, la simplification ».