La visite du président Xi Jinping a donné une bonne image des relations personnelles entre les deux chefs d’Etat mais n’a pas apporté de progrès, tant sur les grands enjeux géopolitiques du moment que sur les relations économiques entre les deux pays. La célébration du 80ème anniversaire de la reconnaissance par la France de la République populaire était plus un prétexte qu’une exigence historique car il était important que dans le contexte international tendu actuel, toute occasion soit bonne à prendre pour échanger les points de vue. Mais cela ne signifie pas que des résultats concrets devaient forcément être obtenus et ceux-ci ont été minces sinon inexistants.
La volonté d’apparaître comme contribuant à l’apaisement des tensions est louable mais encore faut-il que l’influence de celui qui se fixe un tel objectif soit réelle. Or la France n’est pas à elle seule une grande puissance. Sur le plan politique et militaire, seuls les Etats-Unis, la Chine et la Russie peuvent avoir cette prétention. L’Europe est divisée sur la plupart des sujets et la France est écoutée mais son influence est limitée. Sur le plan économique, il n’existe que trois acteurs majeurs, les Etats-Unis, la Chine et l’Union Européenne. Si la participation de la présidente de la Commission lors de cette visite était un signe fort, l’absence du Chancelier allemand enlevait à ces rencontres tout caractère d’égal à égal.
Le voyage en Hongrie du président chinois, quelques jours après son séjour en France, montre bien que sa volonté n’était pas d’ouvrir un dialogue constructif puisqu’il se rendait dans un pays notoirement hostile à la politique de la Commission et en désaccord sur l’attitude à avoir vis-à-vis de Moscou. L’annonce de la construction d’une usine de voitures électriques représentant un investissement de plusieurs milliards d’euros, quand aucun projet d’une même nature n’avait été discuté avec la France, témoigne de la distance qui s’est instauré entre Pékin, Bruxelles et Paris.
A côté des vives critiques proférées concernant les droits de l’homme, la présentation pessimiste voire caricaturale de la situation économique de la Chine a été employée pour minimiser l’absence de résultats économiques concrets de la visite de Xi Jinping. Le pays est en difficulté et ces difficultés constituent une menace pour les économies française et européenne. Tel était le diagnostic. Des mesures doivent être prises pour se protéger et elles sont à l’étude. Mais les Etats-Unis n’ont pas attendu et viennent d’annoncer des relèvements de droits de douane significatifs. Le contexte économique de cette visite était ainsi présenté.
Contrairement aux prévisions faites dans les pays occidentaux, la croissance chinoise ne faiblit pas, en restant conformément aux objectifs gouvernementaux autour de 5%. C’est certes inférieur aux chiffres des Trente Glorieuses chinoises, qui se situaient le plus souvent au-dessus de 7%. Mais cette comparaison n’a pas beaucoup de sens puisqu’entre-temps la taille de l’économie chinoise s’est considérablement accrue. On s’inquiète aussi de la très faible inflation, ce qui est paradoxal puisqu’en Europe, la première priorité consiste à la faire redescendre en dessous de 2%. Enfin on évoque un phénomène général de surcapacités qui expliquerait les exportations massives du pays à prix réduit ce qui affecterait les entreprises européennes et américaines.
On a réagi à Washington en instaurant des droits de douane et en votant un programme généreux d’aides publiques aux entreprises qui investissent dans le pays, au moment où, précisément on accuse Pékin de subventionner les siennes pour gagner des parts de marché. Le seul secteur en Chine qui est en surcapacité et qui connait une crise réelle et profonde est l’immobilier. Mais c’est le sort de tous les pays qui ont atteint un certain niveau de développement et de richesse et qui y ont été confrontés une fois au moins dans leur histoire. Pékin dispose des moyens financiers permettant d’éviter un crise bancaire majeure et avec le temps ces excès de l’offre se résorberont et le secteur retrouvera des conditions normales. Mais le concept de surcapacité a aussi été appliqué à plusieurs secteurs industriels pour expliquer la forte croissance de la production et des exportations, sans la moindre pertinence.
Dans l’économie mondialisé que nous connaissons, les entreprises n’investissent pas seulement pour répondre à la demande sur leur marché intérieur. Leurs capacités de production sont fixées en fonction de leur projet de fournir le marché mondial. Les entreprises chinoises, qui furent pendant longtemps des filiales des groupes occidentaux puis leurs sous-traitants ont acquis le savoir-faire suffisant pour devenir à leur tour des groupes internationaux et donc des concurrents. Le pays forme un million et demi d’ingénieurs chaque année et est devenu un exportateur de produits conçus et fabriqués en Chine avec leurs propres marques. C’est cette mutation qui n’a pas été anticipée et qui est mal comprise.
L’exemple des véhicules électriques est révélateur. Pour réduire les pollutions urbaines et les émissions de CO2, comme d’ailleurs de nombreux autres pays, le gouvernement chinois a adopté des mesures en faveur de ces véhicules. Les résultats sont spectaculaires. Sur les quatre premiers mois de l’année, les immatriculations totales ont cru de 5,6% sur un an pour atteindre 7,52 millions d’unités avec les véhicules électriques en hausse 34,4%. Le résultat des exportations est aussi impressionnant : 1,83 million de véhicules exportés, soit une hausse de 33,4% sur un an, dont 420 000 véhicules électriques, en hausse de 20,8%. Les autorités chinoises expliquent cet écart par le moindre intérêt pour ces véhicules hors de Chine que dans leur pays.
Des résultats comparables sont observés pour les batteries et les panneaux solaires. Les critiques formulées en Europe sont paradoxales. Ces trois biens industriels sont des éléments décisifs de la transition énergétique puisqu’ils permettent la réduction du recours aux énergies fossiles. La Chine s’est lancée avec détermination dans cette voie puisque le pays est l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre et son industrie a été en mesure de répondre à cette demande. L’avance gagnée dans la constitution des chaines de production et les effets de taille ont donné un avantage compétitif majeur à ces entreprises qui leur permet aujourd’hui de s’imposer sur le marché mondial et de contribuer, hors de Chine, à la réduction des émissions. On aurait donc tort de condamner cette nouvelle tendance et comme cela vient d’être décidé en Roumanie, de bloquer un vaste champ de panneaux solaires, sous prétexte que ceux-ci étaient produits en Chine.
Plutôt que d’alimenter les critiques, ce constat aurait pu, lors des discussions avec la Chine, en France et à Bruxelles, donner naissance à des réflexions pour constituer des partenariats industriels, contribuant à la lutte contre le réchauffement climatique et où tout le monde serait gagnant. Malheureusement, et cela a déjà été le cas dans la construction de centrales nucléaires et les véhicules à moteurs thermiques en France, ces partenariats ont été abandonnés. L’occasion était offerte par la visite du président chinois de rouvrir des discussions pour, au lieu de dénoncer les positions prises par les entreprises chinoises, établir des partenariats avec leurs homologues européens. Elle a été manquée.
Tout se passe comme si une attention particulière était portée dans les relations franco-chinoises aux sujets qui n’étaient pas susceptibles d’avoir des retombées concrètes sur les relations internationales et si au contraire, les sujets industriels et environnementaux capables de procurer de réels succès étaient ignorés. Cela résulte d’une incompréhension du modèle économique chinois avec tous les avantages que l’économie française pourrait en tirer et qui dépassent largement les ventes de produits de luxe.