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Le blog d'Alain Boublil

 

Europe : la nouvelle voie

Là où est la volonté, là est la voie, aurait dit le philosophe chinois Lao Tseu. A la veille des élections européennes et dans un monde plein de crises et de tensions, cette pensée est toujours actuelle. Les peuples, notamment en France, ont l’habitude d’oublier tout ce que le passé leur a apporté et de se plaindre des difficultés qu’ils rencontrent. Le regard porté sur l’Europe n’échappe pas cette règle. La montée des mouvements populistes ou nationalistes dans de nombreux Etats de l’Union en témoigne. Le monde a changé et le projet européen, qui ne s’est pas construit en un jour, doit trouver cette nouvelle voie. Malheureusement, les dirigeants politiques préfèrent saisir l’occasion des prochaines élections pour promouvoir leur action et se focaliser sur des considérations de politique intérieure plutôt que de tracer cette nouvelle voie pour l’Europe, indispensable pour répondre aux défis du monde d’aujourd’hui.

L’Europe ne s’est pas construite en un jour. Le projet visait à établir une paix durable sur le continent. Sous l’inspiration de ses Pères fondateurs, dont Jean Monnet et Robert Schumann, des accords économiques sur des sujets stratégiques ont été conclus qui allaient aboutir à la création d’un vaste espace de coopération et au Traité de Rome. La reconstruction et la croissance furent au rendez-vous et permirent l’établissement d’un climat de confiance garantissant des relations politiques et restaurant l’amitié entre les peuples. La cérémonie de Verdun où l’on voit en 1984 le Président Mitterrand et le Chancelier Kohl se tenir la main sera le symbole fort de la réussite de cette première phase de la construction européenne.

La deuxième phase a visé à faire du continent une puissance économique, avec l’élargissement de la Communauté et sa transformation en Union, la création du marché unique puis de sa monnaie unique pour les Etats-membres qui auront choisi de l’adopter. Les principes fondateurs de la construction de ce nouveau projet économique sont essentiellement libéraux. Ils portent sur les échanges de biens et de services et imposent la réduction des interventions de l’Etat et l’instauration, partout où c’est possible, d’une concurrence libre et non faussée.

Ce choix était logique dans un contexte de mondialisation pacifique où tout le monde était gagnant. L’ouverture des frontières offrait aux consommateurs un vaste choix de produits et de services et la concurrence était un puissant facteur de réduction des tensions inflationnistes. Cette période sera marquée par des crises financières majeures à l’extérieur comme à l’intérieur de l’Union (livre sterling, sub-primes, dette grecque et banques irlandaises) que les mécanismes en place permettront de surmonter. La croissance aura ralenti par rapport aux décennies de la reconstruction mais restera solide et l’inflation, elle, aura pratiquement disparu. Mais ce modèle a montré aujourd’hui ses limites.

Les tensions internationales depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les inquiétudes face à la concurrence croissante de la Chine, dans un contexte où des actions majeures s’imposent dans le domaine de l’environnement, ont marqué la fin de cette deuxième phase et de cette longue période de réussite du projet européen et de son soutien par les peuples concernés. La crise énergétique qui est intervenue, la montée en puissance de l’industrie chinoise qui apparait désormais comme une concurrente après avoir été longtemps une sous-traitante et les réactions aux Etats-Unis avec l’instauration de mesures destinées à protéger l’industrie américaine à l’opposé de tous les principes libéraux passées imposent donc à l’Europe la définition d’un nouveau projet pour cette troisième phase.

A défaut, le mécontentement actuel né de l’insuffisance de la capacité d’adaptation du modèle pourrait susciter une chute de l’adhésion des peuples et une contestation croissante. Le véritable enjeu des élections au Parlement européen est donc bien la définition d’un mandat pour mener à bien cette troisième phase et non de servir de test en grandeur nature des poids respectifs des différentes forces politiques des pays concernés en vue de leurs prochaines élections. Mais pour cela, il faut élaborer et proposer un programme contenant des remèdes aux insuffisances actuelles.

Ce programme doit répondre à des attentes concrètes des européens et non se limiter à des considérations abstraites ou à des éléments de langage comme l’indépendance, la puissance, la souveraineté ou le marché financier unique. La première cause de l’affaiblissement du soutien populaire à l’Europe est l’envahissement bureaucratique généré par la profusion de nouvelles normes et de procédures de contrôle qui ont perturbé la vie quotidienne des entreprises et donc de leurs salariés. D’un côté on prônait les vertus de la concurrence et du marché et de l’autre les administrations étaient chargées d’appliquer des mesures de plus en plus contraignantes. La crise agricole française a été un puissant révélateur.

La deuxième priorité doit être de remettre en cause partout où cela sera jugé nécessaire et possible l’ouverture à la concurrence des grands services publics. La crise des marchés européens de l’énergie en 2023 a montré à quel point cette politique était inefficace. Ce principe doit aussi s’appliquer aux règles concernant le rapprochement entre entreprises. Là encore, au nom du respect de la concurrence, de nombreuses opérations ont été bloquées, affaiblissant ainsi l’industrie européenne au grand bénéfice de leurs concurrents américains, chinois ou japonais où on ne s’impose pas les mêmes contraintes.

De la même façon, les règles interdisant les aides d’Etat ou les soumettant à des procédures longues et complexes doivent être profondément assouplies et le concept de politique industrielle doit être accepté au niveau européen et même au niveau national quand cela est justifié par la situation des entreprises.

Le dernier grand volet des réformes nécessaires pour permettre à l’Europe de continuer à prospérer, d’être en mesure de se défendre et de s’adapter à un monde en tension, concerne les finances publiques et la fiscalité. On ne peut pas au sein de la zone euro imposer des critères portant sur les déficits et l’endettement publics et laisser prospérer de véritables paradis fiscaux au Luxembourg, à Chypre, en Irlande ou aux Pays-Bas où sont détournés des impôts qui devraient bénéficier aux Etats où s’effectue la création de richesse.

On ne peut pas non plus se fixer comme objectif l’indépendance et la souveraineté de l’Europe en matière de défense quand les critères relatifs aux finances publiques traitent les dépenses militaires comme des dépenses courantes. Ou on impose à chaque Etat d’affecter un pourcentage de ses dépenses à la défense nationale, ou on abolit les critères fixés dans le Traité de Maastricht. La différence des taux d’endettement public entre la France et l’Allemagne, si souvent citée, est pour une large part due à l’écart des sommes consacrées par les deux pays à leur défense. Sur les trente-quatre années qui ont suivi la réunification, cela a atteint plus de 30% du PIB. L’écart entre leurs taux d’endettement qui n’a cessé d’augmenter est aujourd’hui supérieur à 40% et en est donc largement la conséquence. La pression exercée par Bruxelles sur la fiscalité et sur la dépense publique du fait des règles européennes a ainsi contribué au déclin de l’attachement des peuples au projet européen.

Faire à nouveau aimer l’Europe à travers des propositions concrètes et compréhensibles par tous les français et, au-delà, par tous les européens. Tel devrait être l’objectif des partis politiques qui participent à la campagne pour les élections européennes, et au-delà, par les gouvernements dans leur action. Dans le monde d’aujourd’hui, on n’a jamais eu autant besoin d’une Europe efficace, unie et qui bénéficie du soutien des peuples qui en font partie.