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Le blog d'Alain Boublil

 

Les nouvelles Autoroutes de la Soie

En 2013, le gouvernement chinois lançait un programme ambitieux d’investissements et de partenariats internationaux, les Nouvelles Routes de la Soie. La référence historique était évidente. Il y a plus de 1000 ans, l’Empire du Milieu avait créé à travers le pays les modes de liaison nécessaires pour acheminer vers l’Asie centrale puis vers l’Europe la soie et les objets en porcelaine qui étaient prisés par les aristocratie locales. Ces liaisons furent ensuite étendues par la voie maritime vers les côtes orientales de l’Afrique, surtout consacrées au commerce de matières premières. Ainsi naquirent les Routes de la Soie. Cette année-là, pour bien montrer   comment le nouveau projet se situait dans l’histoire du pays, avait été organisée au Musée National situé sur la place Tien-an-men, une exposition de peintures, de dessins et de sculptures montraient comment, au fil des siècles, ces mouvements de marchandises avaient été rendus possibles.  

Dix ans après son lancement, va être organisé à Pékin un Forum international pour célébrer l’anniversaire du programme des Nouvelles Routes de la Soie, rebaptisé en 2017, à la suite des critiques de dirigeants occidentaux, l’Initiative de la Ceinture et de la Route. Plus de 90 pays ont déjà annoncé leur participation à ce Forum qui a pour but de mettre en valeur les accords de coopération passés avec au moins 150 pays et 32 organisations internationales. Le ministère des Affaires Etrangères chinois a rappelé que plus de 3000 accords de coopération avaient été signés en dix ans représentant près de 1 000 milliards de dollars d’investissements.

Les premiers projets, conformément à leur origine historique, avaient pour objectifs la création de « corridors » pour relier la Chine à la Russie, à l’Asie centrale et au-delà à l’Europe.  Puis le programme s’est tourné vers l’Asie du sud avec des liaisons vers le Pakistan, le Bengladesh, le Laos et le Vietnam. Ces infrastructures facilitaient les exportations chinoises mais constituaient pour ces derniers pays un avantage pour leurs propres moyens de transport car, faute d’entreprises, de main d’œuvre qualifiée et de financements, ils n’auraient pas toujours pu les réaliser seuls. Avec la montée des besoins en matières premières, la couverture géographique, comme au Moyen Age, s’est ensuite étendue vers l’Afrique.

Pékin en a aussi tiré un avantage géopolitique avec une augmentation de son influence dans le monde. A l’origine, les Nouvelles Routes de la Soie avaient suscité une certaine indifférence dans les pays occidentaux. La situation a changé avec l’élection de Donald Trump à la Maison Blanche et les tensions avec Pékin qui en ont résulté et enfin avec l’importance croissante des projets en Afrique. Les difficultés financières de plusieurs pays ont servi de prétexte pour dénoncer les excès de la politique chinoise, ce qui venant des anciens pays colonisateurs, était pour le moins paradoxal. S’ils avaient besoin de la Chine, c’est peut-être aussi parce qu’en Europe, on n’avait pas fait de leur développement économique et de leur modernisation une priorité et mis en place les moyens adéquats.

La Chine a ainsi progressivement utilisé l’Initiative de la Ceinture et de la Route pour accroître son influence sur la scène internationale en se constituant un réseau de pays sinon alliés du moins prêts à soutenir ses positions. On a pu le constater avec l’élargissement du groupe des BRICS et avec l’incapacité du dernier G20 à prononcer une condamnation explicite de la Russie à propos de son invasion de l’Ukraine.  

La nature des projets soutenus par la BRI a aussi évolué et ils ne sont plus exclusivement consacrés à des infrastructures de transport international. Dans quelques semaines sera inauguré la ligne de train à grande vitesse reliant la capitale de l’Indonésie, Djakarta à la province de Java, réalisé et l’on peut s’attendre à la présence de hauts responsables chinois lors de cette cérémonie. Pour les mêmes raisons, les dirigeants du Golfe, l’Arabie saoudite et les Emirats en tête et l’Egypte se félicitent eux aussi des réalisations qui ont permis d’accélérer la modernisation de leurs pays.

L’Europe, dans de bien plus faibles proportions mais de façon néanmoins significative en a aussi directement profité. Au lendemain de la crise grecque, le pays avait décidé de privatiser le port du Pyrée. Le groupe chinois Cosco a pris une participation de 51% dans les installations et depuis le trafic n’a cessé de croître grâce à de lourds investissements pour améliorer la capacité de traitement des containers. D’autres pays européens, qui ont adhéré aux Accords régissant la BRI, comme la Hongrie seront présents au forum de Pékin.

Mais la grande transformation pourrait venir du transport ferroviaire. Des lignes ont été construites à l’intérieur du pays allant jusqu’à ses frontières et qui ont été prolongées grâce aux financements BRI jusqu’au cœur de l’Europe en traversant notamment la Pologne pour arriver en Allemagne. En dix ans, la ligne qui passe par la Mongolie Intérieure, à elle seule, a enregistré 13 000 convois, transportant plus de 12 millions de tonnes de marchandises pour une valeur calculée par les autorités douanières de 30 milliards de dollars.

Les évolutions technologiques comme les politiques de lutte contre le réchauffement climatiques ont toutes chances d’accroître encore les besoins d’investissements susceptibles d’entrer dans le cadre de la BRI et ce sera certainement le message adressé par Pékin aux participants du Forum. L’électrification et la numérisation croissante des sociétés vont faire appel à des investissements de production d’électricité et de construction de réseaux ainsi qu’à des besoins croissants de matières premières stratégiques, dont les gisements sont très éloignés des lieux d’utilisation. Les infrastructures de transport maritime dans les pays producteurs sont souvent insuffisantes. La Chine, qui s’y est préparé, va donc continuer d’apporter son savoir-faire et ses financements.

Le secteur dont on estime qu’il sera le plus touché dans l’avenir est l’industrie automobile. Là encore l’avance chinoise est indiscutable et sa compétitivité, grâce à l’étendue de son marché intérieur n’est plus à prouver ; les exportations vers l’Europe vont s’accélérer. Or rien n’est plus simple et moins coûteux que d’utiliser le rail pour transporter des véhicules. On peut donc s’attendre à un fort accroissement du trafic dans les années à venir et à d’interminables convois sur lesquels seront posés les modèles des géants chinois de la voiture électrique que sont BYD ou Great Wall. Là aussi, les critiques formulées par l’Europe sont difficilement compréhensibles car ces lignes peuvent être utilisées dans les deux sens et les pays exportateurs vers la Chine n’ont aucune raison de critiquer leur existence et feraient mieux de les utiliser.

L’Initiative Ceinture et Route fait en permanence l’objet de critiques dans les pays occidentaux et particulièrement en France. On dénonce la fragilisation de la situation financière des certains pays africains qui se seraient imprudemment lancé dans une coopération dangereuse. Mais même si dans certains cas, ces critiques sont fondées, elles sont sans rapport avec l’ampleur des investissements déjà réalisés lesquels ont contribué à la croissance mondiale et au développement de pays qui en avaient besoin. Ces critiques ont détourné l’attention de l’essentiel et souvent dissuadé les entreprises françaises, de chercher à en tirer profit en utilisant les nouveaux moyens logistiques rendus possibles par ces programmes.

L’analyse suivant laquelle, en Afrique comme dans de nombreux autres pays, l’initiative chinoise est vouée à l’échec est une erreur profonde. La forte adhésion des pays d’Asie du sud notamment, et la hausse des trafics qui va en résulter font penser qu’à l’avenir ces infrastructures ressembleront plutôt à de nouvelles autoroutes.