En France, le gouvernement pour présenter sa politique économique et en vanter les résultats s’appuie sur un concept théorique. Il consiste à effectuer des transferts sous diverses formes vers les entreprises en vue de rétablir les grands équilibres et notamment revenir au plein emploi. Ce sont les entreprises qui sont en charge d’offrir aux agents économiques les biens et les services. En les soutenant, la politique de l’offre permet d’atteindre ces objectifs. Mais pour mesurer sa portée et juger de son efficacité, il importe de situer cette action par rapport aux autres outils dont dispose l’Etat.
Historiquement, ce n’était pas à l’Etat de jouer ce rôle, mais au marché. La constatation, après la grande crise de 1929, que ce principe n’était plus valable, a conduit l’administration américaine à suivre un autre modèle, conçu par l’économiste anglais Keynes. L’augmentation des dépenses publiques consacrées à l’investissement permettait de relancer la croissance et de créer des emplois. L’effet était supérieur à la dépense engagée grâce au multiplicateur mis en évidence par l’économiste. Un concept était né : la politique économique. Aucun gouvernement ensuite, notamment pendant la période de reconstruction de l’après-guerre, ne s’en privera.
Sans contester la nécessité des outils, une autre école représentée par l’économiste américain Milton Friedman, expliquera ensuite que c’est en réglant l’évolution de la masse monétaire à travers la fixation des taux d’intérêt que l’on maintiendra les équilibres et spécialement la stabilité des prix, mise en péril à l’époque par une succession de chocs inflationnistes. Mais la responsabilité de l’Etat dans le rétablissement des équilibres n’est plus contestée que par une très faible minorité. Keynes et Friedman sont toujours les deux sources d’inspiration des décideurs, le premier avec l’action budgétaire, le second par la politique monétaire confiée aux banques centrales dont on a, au fil du temps, renforcé l’indépendance.
En France, la politique de l’offre a été utilisée pour la première fois par le gouvernement Mauroy en 1982. Après les mesures favorables au pouvoir d’achat qui figuraient dans le programme de la gauche qui avaient gagné les élections de 1981, et les nationalisations de plusieurs groupes industriels, l’Etat été décidé de procéder à des augmentations de capital et d’offrir des conditions de financements privilégiées pour que les entreprises puissent se restructurer et réaliser les investissements nécessaires à leur développement futur. La doctrine dominante à l’époque était qu’il y avait une division internationale du travail et donc des secteurs condamnés. La réponse de l’Etat avec ces décisions a été qu’il n’y avait pas de secteurs condamnés mais des usines qu’il fallait moderniser. Pour cela l’argent de Keynes fut mis du côté de l’offre. L’équilibre de la balance commerciale hors énergie s’est progressivement rétabli et celle-ci est devenue excédentaire jusqu’en 2002.
Mais ce succès fut de courte durée avec l’essor des acquisitions à l’étranger de groupes français et les délocalisations. Le déficit commercial en biens s’est à nouveau creusé avec les pertes de parts de marché et la réduction des emplois industriels qui en ont résulté. En 2012, le gouvernement a décidé de recourir à nouveau à une politique de l’offre en réduisant fortement les charges salariales avec le crédit d’impôt pour la compétitivité des entreprises (CICE). Cette mesure faisait suite à l’instauration d’un autre crédit d’impôt octroyant un régime fiscal particulier aux dépenses consacrées à la recherche et à l’innovation.
Cette nouvelle politique de l’offre a eu une première conséquence. Des augmentations d’impôt sur les ménages sont intervenues pour réduire les déficits publics en compensation des allègements offerts aux entreprises. La croissance, à partir de 2013 s’est trouvée affectée dans un contexte international déjà tendu après les crises des sub-primes et de l’euro. Mais le plus grave n’était pas là. Cette politique s’adressait à toutes les entreprises et non à celles qui avaient besoin de soutien pour affronter la concurrence internationale. La part de l’industrie dans le PIB étant alors inférieure à 15%, l’essential des mesures en faveur de l’offre a profité à la grande distribution, au secteur bancaire et aux activités touristiques.
Cette logique s’est poursuivie jusqu’à aujourd’hui avec une accélération de la désindustrialisation et une aggravation continue du déficit commercial qui, hors énergie vient de battre tous ses records. Sur les douze derniers mois connus, il a dépassé 60 milliards d’euros. Quant à la situation de l’emploi, elle ne s’est que faiblement améliorée. Le taux de chômage est revenu vers 7%, largement grâce l’évolution démographique, l’écart entre les départs en retraite et les arrivées sur le marché du travail se réduisant. Le nombre de demandeurs d’emplois est toujours supérieur à trois millions. Cette politique n’a donc pas donné de résultats significatifs comme cela est généralement prétendu.
Faut-il donc renoncer aux politiques de l’offre. Non, car l’erreur faite en France a été de l’employer indifféremment pour toutes les entreprises et non de la concentrer sur l’industrie et les services numériques. L’Etat dispose pourtant des outils avec des institutions financières capables de servir de relais. Mais tout en affirmant son rôle et revendiquant ses responsabilités, il a renoncé à être un véritable Etat-stratège. Les annonces relatives aux start-ups et à quelques projets de construction d’usines ne doivent pas faire illusion et comme en témoigne, au bout de plus de dix ans, l’absence de redressement des échanges de biens et du nombre d’emplois dans l’industrie.
Le paradoxe, c’est que le pays fondateur du libéralisme et qui avait toujours condamné les interventions de l’Etat, les Etats-Unis,vient, lui d’adopter aussi une puissante politique de l’offre. Mais, à la différence de la France, elle est ciblée et comporte des objectifs précis comme la réindustrialisation et la sécurisation des chaînes d’approvisionnement. Elle repose sur des subventions ou l’octroi de financements privilégiés à des projets d’investissements dans des secteurs industriels bien identifiés. L’Inflation Reduction Act, sous le prétexte de se protéger contre des hausses de prix est une vaste opération de reconquête du marché intérieur et de financement de l’innovation. Le budget estimé pour les cinq prochaines années est de 500 milliards de dollars. Le Chips Act vise à financer la réimplantation sur le territoire américain des usines produisant les composants électroniques et a fait l’objet d’une large approbation du Congrès.
La menace constituée par la Chine sert aussi d’alibi car les entreprises américaines sont très largement implantées dans ce pays et elles pourraient être les premières victimes si les tensions actuelles s’aggravaient. Les échanges entre les deux pays continueront donc d’être très importants. C’est la raison pour laquelle les principaux responsables économiques de l’administration Biden se sont rendus à Pékin ces derniers mois à plusieurs reprises.
On n’observe pas encore les effets de cette politique sur le déficit extérieur des Etats-Unis car les investissements en cours de réalisation n’ont pas encore débouché sur la création de capacités de productions opérationnelles mais comme en France, à la fin des années 80, le mouvement interviendra tôt ou tard.
La politique de l’offre est donc devenue un outil efficace pour rétablir les grands équilibres économiques mais pas dans n’importe quelle condition. Si elle est ciblée par un Etat-stratège, elle est un puissant facteur de relance et de créations d’emplois. Si à l’inverse comme en France, elle consiste en de simples transferts en faveur des entreprises sans qu’aucune condition ne soit posée à leur attribution, elle contribue à l’amélioration de leurs marges mais bien peu à la réindustrialisation. Elle est en outre l’une des principales causes de l’augmentation des déficit publics et de l’endettement de l’Etat.