Parmi les nombreuses tensions qui affectent le monde, l’évolution des relations entre la Chine et les Etats-Unis était celle qui présentait à la fois le plus de risques économiques et la menace d’une guerre entre deux puissances nucléaires. L’affirmation par la Maison Blanche que Pékin constituait un rival stratégique avec une escalade des mesures protectionnistes de part et d’autre et la crise majeure pour la paix qui pouvait intervenir à propos de la situation de Taiwan traduisaient une dégradation qui semblait irréversible des rapports entre les deux premières économies mondiales.
La déclaration de la secrétaire d’Etat au Trésor, Janet Yellen avec forcément l’accord du président Biden, constitue un virage à 180° des positions de l’administration américaine. Elle a immédiatement été suivie par des propos de même nature de Lawrence Summers, son prédécesseur sous Clinton et le chef des conseillers économiques d’Obama. Les Etats-Unis de doivent pas « se découpler » de la Chine » et les mesures visant à protéger la sécurité du pays ne sont pas destinées à étouffer l’économie chinoise. Il faut donc bâtir une honnête et constructive relation économique entre les deux pays et non divorcer, ce qui serait désastreux pour eux et pour l’économie mondiale.
Jusqu’à présent, l’administration démocrate considérait que si la Chine devenait la première économie mondiale, cela représenterait une menace et c’est ce qui avait abouti à avancer ce concept de rivalité stratégique. Mais le critère est absurde. La Chine est quatre fois plus peuplée que les Etats-Unis. Suivant ce principe, le chinois devrait se contenter d’un niveau de vie égal au quart de celui de l’américain, faute de quoi, son pays deviendrait une menace. Ce qui importe, c’est l’utilisation qui est faite par un pays de sa richesse et non le niveau de celle-ci et il existe des pays, comme la Russie dont le PIB est bien inférieur et qui, eux, on vient de le constater avec l’invasion de l’Ukraine, constituent une vraie menace.
Les tensions à propos de Taiwan ont été mal interprétées. L’île est en campagne électorale car doit être élu en 2024 le prochain président. Deux partis s’affrontent, le Parti Démocrate Progressiste, qui milite ouvertement pour l’indépendance et qui a porté au pouvoir Tsai Ing-wen, et le Kuomintang, favorable à une transition douce et à un rapprochement avec Pékin. L’accueil fait en Californie à celle-ci, comme la visite de la présidente de la Chambre des Représentants Nancy Pelosi à Taïpeh, sont des marques de soutien évidentes à l’actuelle présidente, même si ces soutiens s’écartent de l’accord de reconnaissance de la Chine conclu en 1971 par Richard Nixon, après les négociations menées par Henry Kissinger. Les manœuvres engagées par Pékin ont donc eu pour objet de rappeler aux Etats-Unis les termes de cet accord suivant lequel il n’y avait qu’une seule Chine sans que la question de son régime politique soit évoquée. Ces opérations militaires conduites autour de l’île relèvent donc plus de la gesticulation que de la préparation d’une invasion.
La déclaration de Janet Yellen est intervenue au terme de cet épisode de confrontation politique et alors que la Chine venait juste de publier ses chiffres pour le 1er trimestre. La croissance a été meilleure qu’attendue et sur un an a atteint 4,5%. Le pays sort à peine de sa période de confinement et cette première estimation montre que l’économie n’a pas subi de dommages structurels et est capable de rebondir, comme en témoigne la progression des ventes au détail de plus de 10% au mois de mars. La prévision officielle de croissance pour l’année en cours est de 5% et nombreux sont les experts de l’économie chinoise qui pensent que cet objectif sera dépassé.
Malgré les contraintes qui ont pesé sur les chaînes d’approvisionnement et un environnement international peu dynamique, la production industrielle a augmenté au 1er trimestre de 3% sur un an et les investissements de 5%. Janet Yellen a pris en compte ces chiffres car leurs économies sont étroitement dépendantes l’une de l’autre. Malgré la crise épidémique, les échanges entre les deux pays ont progressé en 2022, les importations chinoises en provenance des Etats-Unis ont atteint 154 milliards de dollars quand les exportations ont atteint 537 milliards d’où le très lourd déficit américain de 383 milliards, non loin du record atteint en 2018 qui s’élevait à 418 milliards. On note pourtant depuis le mois d’octobre un ralentissement des importations américaines, au profit des autres économies d’Asie du Sud-Est, qui a permis de réduire le déficit américain mensuel avec la Chine qui s’établit depuis le début de l’année en moyenne à 22 milliards.
Ces excédents commerciaux ont alimenté les réserves en devises de la Banque centrale chinoise qui atteignaient 3200 milliards de dollars à la fin de l’année dernière. La plus grande part de ces réserves est en dollars ce qui fait de Pékin le premier créancier des Etats-Unis. Mais aucun des deux pays n’a intérêt à exploiter à son profit cette situation car ils seraient les premières victimes de la crise qu’ils auraient déclenchée. La fragilité du système bancaire américain qui vient d’apparaître avec plusieurs faillites et les difficultés de l’administration Biden à obtenir du Congrès le relèvement du plafond de la dette publique font craindre l’apparition d’une nouvelle crise financière majeure. Cela incite donc à l’apaisement des relations entre les deux pays.
Les mesures protectionnistes adoptées par Washington pour rendre le pays moins dépendant de l’étranger avec au premier rang la Chine, ne doivent pas être surestimées. L’Inflation Reduction Act a pour but de relocaliser sur le territoire américain des unités de production industrielle, largement dans le secteur des batteries et des équipements pour véhicules électriques et le Chips Act vise à renforcer l’indépendance du pays dans les composants électroniques. Au total ces deux textes votés en Août 2022 représentent près des 400 milliards de dollars octroyés sous forme de subventions, de réductions d’impôt ou de prêts.
Le projet le plus important concerne le géant taïwanais des microprocesseurs, TSMC, qui a annoncé un investissement de 28 milliards à Phoenix dans l’Arizona. Mais les entreprises chinoises, malgré la présence de clauses restrictives, ne sont pas exclues du programme puisque les producteurs de batteries CATL et Gotion ont prévu de créer des usines dans le Michigan, le premier avec Ford en lui accordant une license. Apple a annoncé qu’il réduirait sa présence en Chine au profit de l’Inde. Mais il ne quittera pas le pays puisque c’est l’un de ses principaux marchés. La grève dans son usine de Zhengzhou contre les excès de la politique du zéro-Covid avait contribué à convaincre le président chinois de lever les restrictions à l’automne dernier.
Les relations économiques entre les deux pays semblent donc retrouver une réelle dynamique. Dans sa prise de position, Janet Yellen a reconnu qu’il s’agissait de l’intérêt des Etats-Unis. Cela devra se traduire dans les faits et les prochaines rencontres entre les responsables économiques des deux pays permettront d’en mesurer la portée. On n’ira pas jusqu’à la réconciliation tant l’histoire et la culture de ces deux pays sont différentes. Mais l’apaisement serait déjà un réel progrès pour tout le monde et contribuerait certainement à atténuer le soutien que Pékin a jusqu’à présent apporté à Moscou.
La France doit en prendre conscience. Le fait d’emmener des chefs d’entreprise dans un voyage officiel ne suffit pas. Il est essentiel pour le développement industriel du pays que ces entreprises aient un plus grand accès au marché chinois et puissent nouer des partenariats avec leurs homologues où chacun serait gagnant.