L’importance accordée aux deux grandes réunions internationales, le G20 à Rome qui vient de se conclure sur plusieurs accords et la COP 26 qui va se tenir à Glasgow montre à quel point, sur les sujets économiques et environnementaux, l’action des Etats est redevenue essentielle. C’est un tournant majeur par rapport aux vingt dernières années où la « mondialisation libérale » avait essentiellement reposée sur les décisions des agents privés, parfois encadrées par les banques centrales dont l’indépendance par rapport à toute intervention publique était garantie. Les recettes keynésiennes étaient renvoyées dans les placards de l’histoire et la libre concurrence entre les acteurs était considérée comme la seule manière d’arriver au meilleur équilibre. Les deux crises auxquelles le monde est confronté, l’épidémie du Covid-19 et la menace du réchauffement climatique, ont conduit à un renversement radical. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que les deux grands pays qui n’avaient en rien renoncé à diriger leurs économies, la Russie et la Chine, ne se soient pas sentis aussi concernés que les autres et n’aient pas envoyés leur chef de l’Etat.
Face à la crise sanitaire, les Etats, outre les mesures de protection des personnes, ont immédiatement engagé des sommes considérables pour permettre aux entreprises de se protéger contre les chutes brutales d’activités qui frappaient certains secteurs et pour prendre en charge les salariés qui se trouvaient privés d’emploi. Partout les déficits publics ont bondi. Pour rendre leurs financements possibles et pour éviter qu’à la crise sanitaire s’ajoute une crise financière, les banques centrales ont lancé des programmes d’achats des titres émis par les Etats avec une double conséquence : ceux-ci ont disposé des ressources nécessaires et avec des taux d’intérêts quasiment nuls. En Allemagne, on a même procédé à une baisse temporaire de la TVA. En France, l’Etat à offert aux entreprises les plus touchées sa garantie pour qu’elles puissent emprunter auprès des banques les sommes nécessaires pour survivre et conserver leurs compétences jusqu’au jour où le reprise interviendrait.
Enfin les Etats se sont mobilisés pour donner à leurs ressortissants les masques destinés à freiner le développement de l’épidémie et les vaccins, une fois ceux-ci disponibles pour leur offrir la protection indispensable en vue du retour à une activité normale. Mais dès que les gouvernements ont pu constater que l’épidémie semblait sous contrôle, ils sont passés à une deuxième étape de leur action pour conforter la reprise de l’activité. En Europe, ce fut le Plan de relance de 750 milliards d’euros comportant pour la première fois des financements communautaires. En France le gouvernement s’engagea à soutenir des investissements pour environ 100 milliards et aux Etats-Unis c’est le Plan Bidden, initialement prévu de 3700 milliards de dollars mais dont l’ampleur a été divisée par deux pour obtenir l’accord du Congrès, qui n’est d’ailleurs pas encore totalement acquis. Le point le plus révélateur du changement des mentalités a été la référence explicite à l’action de Roosevelt qui, élu en 1932, sur les conseils de Keynes, lança le premier plan de relance de l’histoire pour sortir le pays de la crise de 1929.
Le monde à changé depuis un siècle. La réflexion économique doit maintenant se porter sur les outils d’intervention les plus efficaces car le grand retour de l’action de l’Etat destinée à remettre les pays concernés sur une trajectoire de croissance équilibrée est durable. C’est d’autant plus inévitable que le monde est confronté à un second défi, le réchauffement climatique et que les mécanismes traditionnels du marché n’ont pas jusqu’à présent conduit les agents économiques à adopter les comportements appropriés et à faire les investissements indispensables pour atteindre les objectifs.
L’enjeu de la COP 26 est donc bien de vérifier que chaque Etat va proposer des mesures concrètes et démontrer sa crédibilité à les appliquer suivant un calendrier précis. Cela concerne en premier lieu la transition énergétique qui doit reposer sur la réduction de l’utilisation des énergies fossiles. Cela engendrera, comme vient de le montrer le gestionnaire du réseau électrique français, RTE, une augmentation de la consommation d’électricité. L’Etat devra alors soutenir les investissements à réaliser et faire face aux problèmes sociaux qui en découleront notamment avec l’indispensable fermeture des mines de charbon et de lignite. La France a su le faire dans les années 80 en proposant des mesures sociales et des programmes de reconversion.
Le second volet de l’action publique, et qui doit, lui, est regardé au niveau international, concerne des mécanismes à mettre en place pour inciter les entreprises et les ménages à consommer moins d’énergies fossiles. A cet égard, les statistiques nationales sont trompeuses. Un pays émettra moins de CO2 si, au lieu de produire son ciment, par exemple, il l’importe. C’est pourquoi un mécanisme de taxation du carbone importé est indispensable si l’on veut répartir de façon juste les efforts demandés à chaque pays. Il conviendra aussi de tenir compte du passé car c’est le stock de gaz à effet de serre dans l’atmosphère qui est à l’origine du réchauffement climatique et non les seules émissions annuelles. Les pressions exercées aujourd’hui, par exemple sur la Chine et l’Inde, ne sont pas entièrement fondées car si ces deux pays sont à l’origine de la croissance des émissions, leur part dans le stock dans l’atmosphère est loin d’égaler celui des pays développés depuis le début de l’ère industrielle.
Les Etats devront donc s’engager eux-mêmes ou soutenir les investissements indispensables et de ne pas se fonder sur des paris technologiques hasardeux dont il est impossible de prédire le succès ou l’échec. Sur le mix électrique, il n’y a plus de vrai débat. Les renouvelables, à l’exception de l’hydraulique, sont intermittents et le resteront très longtemps jusqu’à ce que l’on sache constituer les énormes capacités de stockage nécessaires pour assurer la sécurité des approvisionnements. Aucun pays n’est prêt à prendre le risque de voir coupée l’alimentation des salles de réanimation d’un hôpital ou des ascenseurs des immeubles. Le nucléaire, pour les pays qui maîtrisent la technologie et où l’opinion publique est convaincue de son utilité et de sa sécurité est une solution. L’autre voie, qui permet d’aller plus vite, est la reconversion des centrales à charbon et au fuel, au gaz naturel. Cela signifie la fermeture des mines assorties de mesures sociales. En Europe, cela affectera l’Allemagne et la Pologne. Comme au moment de la réunification et de l’admission des pays de l’Est dans l’Union, un plan de reconversion aidé par Bruxelles mériterait d’être envisagé.
Les Etats doivent enfin trouver les bonnes incitations pour faire évoluer les situations et les comportements, mais, à la différence de la transition énergétique, le processus sera bien plus lent. L’exemple des logements est révélateur. On se réjouit en France qu’une année donnée on ait réussi à isoler plusieurs centaines de milliers d’habitations. Mais comme le parc est constitué de plus de 30 millions, cela signifie qu’il faudrait plus d’un siècle pour atteindre les objectifs. L’Etat doit donc mettre en place des dispositifs adaptés à chaque situation d’occupation, maison individuelle ou immeuble, copropriété ou non, propriétaire occupant ou locataire pour accélérer la tendance.
Qu’il s’agisse de faire face à une épidémie et de relancer l’économie du pays concerné ou de faire face aux défis climatiques, les Etats et donc leurs dirigeants, dans les prochaines années, vont retrouver une place centrale pour assurer santé, prospérité et progrès social à leurs concitoyens. La France est à la veille d’une élection présidentielle. Espérons que le débat politique saura se concentrer sur ces sujets essentiels.