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Le blog d'Alain Boublil

 

La crise industrielle française

Comme si la crise économique majeure provoquée par l’épidémie du corona virus ne suffisait pas, la France est confrontée aussi aux défaillances de son appareil industriel. Pour faire face à ce qui s’apparente à un déclin, on invoque la nécessité d’une ré-industrialisation et de relocalisations. L’Etat est appelé au secours pour inverser la tendance mais il n’a pas, c’est le moins que l’on puisse dire, lésiné sur les moyens depuis dix ans pour tenter d’y remédier à travers des baisses d’impôt et de charges. La dégradation observée aujourd’hui traduit l’échec de ces politiques, appelées parfois politiques de l’offre, et qui se retrouve dans les indicateurs économiques.

La part de l’industrie, et donc de l’emploi industriel, dans l’économie baisse depuis vingt ans. Elle est encore plus marquée pour l’industrie manufacturière qui ne représente plus que 10% du PIB. La part de l’emploi industriel est d’environ 13%  contre 20% en Allemagne et près de 17% en moyenne dans l’Union Européenne. Mais ce ne sont pas les critères les plus alarmants. L’économie française est diversifiée avec un secteur financier développé et des activités touristiques très importantes. De nombreuses entreprises industrielles ont aussi externalisé des activités qui sont maintenant classées dans les services. Ces critères ne suffisent donc pas pour apprécier l’ampleur de la dégradation.

Les résultats du commerce extérieur sont bien plus révélateurs. Malgré la chute des prix des hydrocarbures et la brutale récession provoquée par l’épidémie, la France a enregistré un déficit commercial en 2020 de 65 milliards. Hors énergie, celui-ci a représenté 40 milliards et 57,5 milliards pour les produits manufacturés hors matériel militaire. La théorie suivant laquelle ce déficit proviendrait des pays émergents et notamment de la Chine n’est pas fondée puisque le solde négatif avec l’Union Européenne en a constitué la part la plus importante  avec 46 milliards, ce qui infirme aussi la thèse suivant laquelle ce serait la faute de l’euro, qui, étant surévalué, freinerait nos exportations. Les recettes touristiques compensaient habituellement une partie de ce déficit mais la crise sanitaire a provoqué un arrêt brutal des déplacements et elles ont chuté. La balance des paiements courants de la France est ainsi devenue lourdement déficitaire avec plus de 2% du PIB.

Le plus préoccupant, c’est la tendance. Pour les produits manufacturés, en 2000, les exportations représentaient 300 milliards, les importations 290 milliards. Dix ans plus tard, les exportations atteignaient 350 milliards et les importations 377 milliards. En 2020, les chiffres correspondants sont de 388 et 445 milliards. On est passé d’un excédent 10 milliards à un déficit de 57 milliards. Les comparaisons avec l’Allemagne mais aussi avec l’Italie sont accablantes. En 2000, le premier avait un excédent de 5% du PIB et il a conservé ce niveau en 2020 et l’Italie, qui était comme la France proche de l’équilibre en 2000 a un excédent en 2020 de 3,8% du PIB. En outre, la croissance française a été faible ces dernières années. Ce n’est donc pas un excès de la demande intérieure par rapport aux capacités de l’appareil de production qui a entrainé cet alourdissement du déficit.

Pourtant le discours et l’action publique n’ont cessé de placer le renforcement de la compétitivité des entreprises au centre de leur politique économique, en particulier en dénonçant le coût élevé du travail et le poids des charges sociales et fiscales. Les gouvernements successifs ont créé le « crédit-impôt-recherche », puis le CICE, qu’ils ont transformé en allègement permanent des charges sociales et ont enfin réduit les taux de l’impôt sur les sociétés, sans, on le voit, obtenir de résultat. Une partie de ces pertes de recettes a été compensée par une hausse de la fiscalité sur les ménages, ce qui a pesé sur la croissance et l’emploi. Comme ce n’était pas suffisant, les revendications portent maintenant sur la baisse des « impôts de production ».

La capacité d’innovation du pays est aussi mise en cause avec l’échec de Sanofi et de l’Institut Pasteur à produire un vaccin aussi vite que leurs concurrents. Cela ne doit pas aboutir à la stigmatisation de ces deux prestigieux laboratoires. Ils ont par le passé, notamment dans le domaine des vaccins, fait leurs preuves. Mais leur échec a fait prendre conscience du recul de la France car il ne constitue pas un cas isolé. Les incitations fiscales n’ont pas donné le résultat attendu, les dépenses de recherche ont stagné et leurs résultats n’ont pas été convaincants, comme on le constate aujourd’hui. Les centres de recherche publics ont connu la même dérive bureaucratique que dans  la santé et ils sont coupés du monde universitaire et des entreprises, comme le CNRS, avec ses 30 000 chercheurs. Les meilleurs partent alors à l’étranger et se voient décerner les distinctions les plus prestigieuses comme le prix Nobel. Ils servent au rayonnement de la France dans le monde mais ils n’apportent pas leur talent à nos entreprises là où elles en auraient bien besoin.

Ces dernières n’ont pas adopté les bonnes méthodes pour tirer profit de la mondialisation, ce que l’on retrouve aujourd’hui dans les chiffres. Elles ont cru qu’il suffisait d’acheter des concurrents pour grandir dans le monde et elles se sont lancées dans des acquisitions coûteuses, souvent par endettement ce qui a fragilisé leur situation financière. Leurs dirigeants   se sont concentrés sur cette partie de leur rôle, au lieu d’aller sur le terrain, de rencontrer et d’écouter leurs équipes et leurs clients pour prendre les bonnes décisions opérationnelles. Ils restent ainsi dans l’univers où ils ont débuté, celui des grandes écoles et des cabinets ministériels. Ils y rencontrent ceux qui leur ont succédé ou leurs anciens collègues recrutés par des cabinets de conseil ou des banques d’affaires.

Ils y sont ainsi bien plus à l’aise et il n’est donc pas surprenant qu’ils se soient consacré essentiellement à ce mode de gestion qui s’apparente au Monopoly. Les banques en tirent un large profit en percevant des commissions ou en finançant des opérations. Elles se concentrent sur leurs grands clients et accordent peu d’intérêt aux entreprises moyennes dont le nombre insuffisant constitue une faiblesse structurelle de l’économie française. C’est aussi ce qui fait la différence avec le modèle allemand, toujours cité en exemple, mais dont on ne s’inspire pas. Dans l’industrie, la plupart des dirigeants ont fait toute leur carrière dans l’entreprise grâce à la priorité donnée aux promotions internes. Les banques protègent les entreprises familiales. Le développement et le succès viennent de la qualité du produit, de l’innovation et de l’engagement de chacun tout au long de la chaîne de production. Enfin la présence de représentants du personnel dans les organes de direction facilite le consensus social et un bon partage des résultats. La France est bien loin de ce modèle. Plutôt que de transférer des milliards sans contreparties et sans objectifs précis, l’Etat ferait donc mieux d’encourager une véritable révolution culturelle dans l’entreprise, qui porterait sur le mode de recrutement des dirigeants et leur implication dans la gestion opérationnelle. L’Etat doit aussi pousser au rapprochement entre la recherche publique et les activités productives.   

 L’industrie française n’a toujours pas trouvé les bonnes réponses aux défis posés par la mondialisation mais il est encore temps d’y remédier. Il faut aussi espérer que le pays saura mieux faire face aux transformations techniques rendues nécessaires par le changement climatique. Il ne suffit pas de mettre en avant des risques. Encore faut-il, comme à propos de la mondialisation, trouver les solutions adaptées pour les surmonter.