En Chine, rien, ou presque, n’arrive par hasard. Ainsi le choix de Hangzhou pour recevoir les chefs d’Etat à l’occasion du sommet du G20, a une profonde signification. Cette ville fut la capitale de la Chine sous la dynastie Song, à une période où le pays commençait à attirer l’attention de l’Occident. Puis elle fut éclipsée par Pékin, bien sûr et, beaucoup plus tard, par sa voisine Shanghai, qui devint, à partir du XIXème siècle, le centre économique du pays. Mais c’est à Hangzhou, durant les années 70, que se tinrent les discussions secrètes entre Henry Kissinger et Chou En Lai qui devaient aboutir à la reconnaissance de la Chine par l’administration Nixon. Et c’est encore à Hangzhou, toujours sur les bords du lac de l’Ouest que Hank Paulson, le secrétaire d’Etat au Trésor de George Bush, négociera avec ses homologues chinois les termes du partenariat stratégique entre la Chine et les Etats-Unis. Il y a deux ans, Pékin lançait une première grande initiative économique, le projet de Nouvelle Route de la Soie, par référence au rôle passé de l’Empire du Milieu dans les échanges commerciaux avec l’Europe et l'Asie centrale au début du Moyen Age. Il s’agissait de financer des grands programmes d’infrastructures chez ses voisins pour encourager leur développement et pour qu'ils deviennent les partenaires et surtout les clients dont la Chine de demain aura besoin pour assurer des débouchés à ses entreprises. A Hangzhou cette année, il s’agissait de tout autre chose : montrer que le pays traite désormais d’égal à égal avec les pays développés. La Chine ne se considère plus et ne veut plus être considéré seulement comme un pays émergent. Le président Xi Jinping a bien rassemblé autour de lui les dirigeants des BRICS, mais cela surtout avait un caractère symbolique. Le but de cette réunion était de montrer que son pays était mandaté pour faire entendre aux pays développés les aspirations des pays émergents. Et comment ne pas être impressionné par le chemin parcouru depuis un an ?
L’été dernier, les marchés financiers étaient secoués par un double choc : la bourse de Shanghai connaissait une chute brutale qui succédait à une vague de spéculation effrénée et l’annonce par la Banque centrale chinoise d’une modification de son mode de fixation de la parité du Yuan déclenchait une véritable panique sur les marchés des changes. Les commentaires en Occident, et en particulier en France, étaient sévères allant jusqu’à prédire le commencement de la fin du miracle chinois. Rien de tout cela ne s’est produit et c’est ce qu’à démontré le Sommet de Hangzhou : à aucun moment la stratégie économique du pays n’a été mise en cause par ses participants, pas plus que sa capacité à faire évoluer son modèle. La bourse de Shanghai a rattrapé une partie du terrain perdu et ses indices ont refranchi le seuil des 3000 points et celle de Hong Kong, qui reflète, elle aussi, la santé des entreprises de la région, qu’elles soient chinoises ou qu’elles travaillent en Chine, bat des records depuis le début de l’année. Quant au Yuan, il s’est stabilisé, non vis-à-vis du dollar contre lequel il a perdu à peine 10% mais contre la moyenne des monnaies de ses principaux partenaires commerciaux. Les progrès dans le processus d’internationalisation de la devise chinoise ont été validés par le FMI qui l’a incluse à hauteur de 11% dans le panier de devises servant aux émissions de Droits de Tirages Spéciaux. Le président de la Banque Mondiale a même choisi de procéder à une émission en Yuan à la veille du Sommet, pour afficher, s’il en était encore besoin, la confiance des institutions internationales dans la monnaie chinoise. Pékin avait créé, deux ans auparavant une institution financière concurrente, ce qui avait été critiqué à Washington. Il n’était donc pas inutile de donner un signe d’apaisement. Et une grande entreprise française, Véolia, très présente dans la région, a procédé à une émission de « panda bonds », comme on surnomme les émissions obligataires privées en monnaie chinoise destinées aux investisseurs locaux.
La confiance dans le pays, ébranlée il y a un an, est donc revenue. La croissance se maintient dans la fourchette prévue par le Plan, entre 6,5 et 7%, certes bien inférieure aux niveaux atteints lors du début du miracle chinois, mais la taille de l’économie ayant été multipliée par cinq, l’impact sur l’activité mondiale reste très important, surtout dans le contexte actuel de quasi-stagnation des économies développées. Personne ne conteste les difficultés que la Chine va rencontrer dans sa transition vers une économie tournée davantage vers les services et dans la réduction des surcapacités existantes dans ses mines et son industrie lourde. Mais on ne voit pas pourquoi le pays ne les surmonterait pas au moins aussi bien que l’Angleterre avec sa grève des mineurs et que la France quand il a fallu restructurer la sidérurgie et l’automobile. Quant à l’endettement jugé souvent excessif des collectivités locales ou des entreprises publiques, l’Occident est assez mal placé pour donner des leçons. Les gigantesques réserves de change du pays et les excédents structurels de sa balance des paiements sont de nature à rassurer. Et la décision des dirigeants de moraliser la vie économique et de ne plus venir systématiquement au secours des entreprises mal gérées, est salutaire et devrait porter ses fruits.
La Chine était indiscutablement une grande puissance politique. A Hangzhou, elle a montré qu’elle est aussi devenue une grande puissance économique, en traitant d’égale à égale avec les Etats-Unis, par exemple, sur la question du réchauffement climatique. Sur ce point, bien peu ont remarqué que c’est parce que l’accord de Paris ne comportait aucun aspect contraignant, que Barack Obama, a pu se passer d’une ratification par le Congrès. Pékin a aussi apporté son soutien aux critiques faites par le FMI aux pays occidentaux, l’Allemagne étant implicitement visée, en ce qu’ils menaient une politique budgétaire trop rigoureuse et se reposaient de façon excessive sur la politique monétaire. Le plaidoyer du président chinois en faveur de la mondialisation et du libre-échange et son message destiné aux responsables politiques des pays développés confrontés chez eux à une montée des revendications protectionnistes et nationalistes, sont apparus comme des leçons données à ses homologues. La Chine a franchi, à Hangzhou, une nouvelle étape. Son influence sur l’économie mondiale va s’accroître. On note déjà un rapide développement de ses investissements à l’étranger, une part de plus en plus active dans les opérations de fusions et d’acquisitions dans les pays développés. Ses entreprises vont probablement continuer à acheter des terrains agricoles en Afrique ou en Australie et construire des lignes de chemins de fer en Asie centrale. Mais leurs objectifs vont aller bien au-delà, et pas seulement en achetant des clubs de football. Nos entreprises doivent s’y préparer pour nouer des alliances stratégiques et tirer tout l’avantage possible de cette nouvelle phase de la mondialisation.
Le somptueux spectacle donné lors de la cérémonie de clôture où les dirigeants du monde entier ont pu se pénétrer de la poésie chinoise, admirer le lac des Cygnes, et écouter Debussy et l’hymne à la Joie, n’était pas, lui non plus, dépourvu de symboles, sinon de sous-entendus.