Il y a juste 50 ans commençait la révolution culturelle. Elle fut encensée en France à l’époque. Alain Peyrefitte, dans « Quand la Chine s’éveillera », estime que « la révolution chinoise constitue l’expérience la plus extraordinaire, à coup sûr, du temps présent -et peut-être même de tous les temps- » Valery Giscard d’Estaing salua la mort de Mao Tse Toung ainsi : « un phare de la pensée mondiale s’est éteint ». Les dirigeants chinois ont pris depuis leurs distances en qualifiant son bilan de 70% de réussites et de 30% d’échecs et le Quotidien du Peuple cette semaine est allé encore plus loin : « la révolution culturelle fut une erreur qui ne peut pas et qu’on ne permettra pas de se reproduire. La Chine a tiré les leçons de la décennie de tumultes intervenue entre 1966 et 1976 et est aujourd’hui déterminée à éviter tout malaise social qui entraverait le progrès du pays. La révolution culturelle fut une diversion majeure dans le cheminement du Parti et de la nation. En mettent en œuvre les réformes et la politique d’ouverture du pays il y a plus de trente ans, la Chine est devenue de plus en plus forte et le niveau de vie du peuple s’est amélioré de façon marqué ».
Quand il s’agit de la Chine, il est facile de se tromper et c’est encore plus vrai aujourd’hui. L’alarmisme de l’été dernier à la suite des mouvements intervenus sur les bourses chinoises et sur le marché des changes était injustifié, même si les soubresauts ont été violents. Le nouveau vent de pessimisme qui a soufflé au début de cette année à propos de l’endettement des entreprises et des collectivités publiques et de la baisse des réserves de change l’était tout autant. Au moment où les taux de croissance dépassent rarement 1% en Europe, s’inquiéter parce que la croissance chinoise a ralenti pour n’atteindre que 6,7 ou 6,9%, n’a pas de sens. Le jugement doit s’appuyer sur des données factuelles et fiables sur l’économie du pays, sur les réorientations structurelles en cours et sur sa situation financière.
L’objectif de croissance pour le 13ème Plan, qui couvre la période 2016-2020, a été fixé dans la fourchette 6,5-7% en réduction par rapport aux Plans précédents qui affichaient des progressions de 8 puis de 7%. Mais comparer cet objectif avec les taux observés dans le passé où la taille de l’économie chinoise était deux à trois fois plus petite induit en erreur : en valeur absolue, l’augmentation de la production chinoise sera bien plus importante qu’alors. Au 1er trimestre 2016, celle-ci a cru de 6,7% avec une structure qui évolue: consommation en hausse et davantage orientée vers les services, les loisirs, le tourisme. Le boom des ventes en ligne n’est pas l’apanage de l’Occident. Elles ont cru de 25% au premier trimestre. Les mesures de soutien à l’industrie automobile, qui avait marqué une pause l’an dernier, avec un niveau d’immatriculations de plus de 20 millions d’unités, se sont traduites depuis quelques mois par un redémarrage significatif. La consommation d’énergie plafonne sous l’effet de la politique d’efficacité énergétique et de la réorientation de la croissance vers les services mais la Chine, a bénéficié de la baisse des prix de l’énergie et des matières premières, favorable au pouvoir d’achat comme dans les autres pays. La balance commerciale continue de dégager un excédent considérable, 45 milliards de dollars par mois en moyenne depuis le début de l’année, comme l’an passé. Ces quelques données factuelles montrent que rien ne justifie le discours négatif que l’on entend souvent.
Le vrai défi pour le pays est le rééquilibrage de ses structures économiques. Le président chinois a fixé comme priorité l’adaptation de l’appareil de production aux nouveaux besoins de l’économie. Cela signifie des réductions de capacité très clairement localisées, dans l’industrie lourde, la sidérurgie et les mines de charbon notamment et à l’inverse une politique en faveur de l’innovation et de la création d’entreprises. Dans ce domaine, les chiffres du début de l’année sont encourageants. Le nombre de dépôts de brevet a augmenté de plus de 60% et les créations d’entreprises, principalement dans le secteur des services, de 27%. Le 13ème Plan a adopté explicitement, ce qui en fera sourire certains en France, une politique de l’offre, en dotant les entreprises en phase de restructuration, de capitaux propres pour en couvrir le coût, et en stimulant par des mesures fiscales celles qui sont à l’inverse en phase de développement. Le second axe des réformes porte sur l’insertion internationale et la rupture avec le modèle « usine du monde à bas coût » : montée en gamme dans les biens de consommation pour satisfaire une demande intérieure de plus en plus exigeante et lancement de la « Belt and Road Initiative ». Cette nouvelle Route de la Soie, terrestre et maritime, aura des répercussions majeures. En construisant ces infrastructures, la Chine favorise les échanges, donc la croissance des pays concernés, en premier lieu en Asie centrale, mais aussi au Pakistan au sud et en Sibérie au nord. L’essor du commerce a toujours été synonyme de créations de richesse. La Chine va trouver là de nouveaux relais de développement.
La croissance reste donc solide et les ajustements structurels progressent. Qu’en est-il de la situation financière ? L’endettement des collectivités locales et des entreprises publiques inquiète. Cela crée des incertitudes auprès des investisseurs quand les titres de créances sont placés sur les marchés ou quand les sociétés en difficultés sont cotées mais il n’y a pas de risque systémique tant les moyens d’intervention dont dispose le pouvoir, sont étendus. Quant à la situation extérieure du pays, elle est protégée par ses excédents structurels et ses réserves de change de plus de 3300 milliards de dollars. Qu’est-ce qu’on dirait si la Chine devait 500 milliards aux Etats-Unis ! La vérité, c’est que c’est l’inverse : la banque centrale chinoise détient plus de 1000 milliards en bons du Trésor américain. Le nouveau mode de fixation de la parité du yuan, qui était exigé par le FMI pour lui accorder le statut de monnaie de réserve, a créée des turbulences qui ont provoqué une baisse des réserves de changes mais leur niveau reste suffisant pour parer à toute éventualité. L’accumulation des réserves était le reflet d’une époque où la Chine était, sur le plan financier, isolée du reste du monde. Cette époque est révolue. L’internationalisation du yuan se poursuit et la devise chinoise voit sa part dans les transactions internationales augmenter de façon continue. Toutes les grandes places financières ont créé des plates-formes pour s’adapter à cette situation nouvelle. Au terme de la période de transition que nous connaissons, qui est forcément marquée par des turbulences, la Chine contribuera au rééquilibrage des échanges financiers mondiaux et à une meilleure stabilité globale. Quant au cours du yuan, il est infiniment moins volatil que ceux du dollar ou du yen, pour ne rien dire des devises des pays émergents, là encore, contrairement à ce qui était craint l’été dernier
Aucun pays ne réussit, surtout dans le monde d’aujourd’hui, à tout maîtriser en même temps. Il y bien sûr des déséquilibres en Chine, des bulles immobilières dans certaines villes, des secteurs de l’industrie confrontés à des adaptations douloureuses ou des fluctuations boursières aggravées par le tempérament joueur des millions d’épargnants. Mais quand on regarde les faits et surtout quand on les compare aux problèmes rencontrés dans les autres pays, les déficits intérieurs et extérieurs aux Etats-Unis, la crise au Brésil, la croissance trop faible en Europe et la stagnation séculaire au Japon, on doit bien admettre que le jugement porté sur l’économie chinoise est biaisé et trop négatif. Pour résumer, en Chine, « cela va bien mieux » qu’on ne le dit.