« Là où est la volonté, là est la voie » a dit, il y a fort longtemps, Lao-Tseu. La lecture du projet de XIIIème plan, en discussion durant ce week-end devant l’Assemblée du peuple à Pékin, montre que ce principe n’a rien perdu de son actualité. Les indications relatives à la politique monétaire de la Chine qui y figurent, fournissent un éclairage qu’il est indispensable de déchiffrer pour comprendre le chemin que va désormais emprunter le pays et ses conséquences sur les échanges économiques et financiers internationaux.
La stratégie d’internationalisation du yuan, initiée en 2009, va se poursuivre. Sa convertibilité est désormais un objectif clairement affiché comme son utilisation dans les transactions extérieures du pays. Les restrictions aux mouvements de capitaux dans les deux sens vont être progressivement levées, l’accès aux marchés financiers, qu’il s’agisse des actions ou des obligations, sera facilité et les investissements étrangers dans certains secteurs à haute technologie et dans les techniques qui permettent d’économiser l’énergie seront encouragés. La ligne est désormais claire, même si, comme on l’a vu, les autorités du pays, n’ont pas une expérience suffisante des réactions des marchés financiers. Mais il faut aussi admettre qu’elles apprennent vite. Elles vont devoir continuer à gérer des priorités souvent contradictoires, ce qui a conduit, ces derniers mois à des soubresauts auxquels le pays ne nous avait pas habitués. Mais l’objectif central de Pékin, la stabilité économique, donc politique, n’est pas menacé.
La Chine a entamé sa transition économique après les « Trente Glorieuses » qui ont suivi, au début des années 80, les réformes mises en place par Deng Xiaoping. Le modèle, fondé alors sur la sous-traitance à bas coût de l’industrie mondiale et la délocalisation des firmes occidentales et japonaises, a atteint ses limites. L’élévation du niveau de vie d’une part croissante de la population, consécutive aux hausses de salaires, surtout dans le sud, qui fut le foyer du décollage industriel du pays, a affecté les coûts de production. En même temps, la demande mondiale ralentissait. Cette stratégie ne permettait plus au pays d’obtenir la croissance élevée nécessaire pour sortir de l’extrême pauvreté les couches de la population qui s’y trouvaient encore. En même temps des millions de jeunes chinois, formés dans les universités, présentaient désormais les qualifications suffisantes pour permettre l’émergence d’entreprises capables de rivaliser directement avec les grands groupes multinationaux. La Chine, pour franchir une nouvelle étape devait donc réorienter son modèle sur deux points en même temps : faire basculer le moteur de la croissance vers la demande intérieure et favoriser l’émergence de grands groupes industriels capables d’offrir aux jeunes diplômés les emplois auxquels ils pouvaient prétendre. Mais pour cela, la Chine ne pouvait plus rester indifférente à l’évolution de son taux de change.
La décision, annoncée au mois d’août 2015, de modifier le mode de fixation du Yuan répondait à ces exigences. Depuis cinq ans, Pékin avait choisi un système de parité quasiment fixe avec le dollar. Tout allait bien quand le dollar se dépréciait. Cela n’avait pas de conséquences négatives sur les échanges commerciaux. Et cela affectait peu les échanges de capitaux car ceux-ci étaient encore limités. La volonté de donner une place plus importante au Yuan sur le marché mondial allait naturellement rendre l’économie chinoise plus sensible à son environnement extérieur. C’est ce qui s’est produit avec les politiques divergentes de la Fed et de la BCE qui ont provoqué une hausse d’environ 20% du dollar face à l’euro et avec la chute des prix du pétrole et des matières premières qui a entrainé l’effondrement des devises des pays émergents, le Brésil et la Russie notamment. Le maintien d’un lien fixe avec le dollar équivalait alors à accepter une réévaluation du Yuan contre toutes les autres devises parfaitement incompatible avec la stratégie économique du pays et à la réorientation qui devait en résulter. Cette situation risquait de s’aggraver après l’été 2015 puisque la Fed avait annoncé, à mots couverts, un durcissement de sa politique monétaire, synonyme de nouvelle appréciation du dollar. Une réévaluation accrue de la monnaie chinoise alors que l’économie était en phase de ralentissement et quand on est autant dépendant de ses échanges extérieurs est, à l’évidence un non-sens. C’est pourquoi Pékin a réagi, mais sans véritable préparation des esprits et sans en mesurer les conséquences. Mais ce n’est pas tout.
La parité fixe du yuan avec le dollar et la gestion de ce lien dans un monde de changes flottants étaient dénoncées par le FMI et constituaient un obstacle majeur à la reconnaissance du Yuan comme monnaie de réserve et à son insertion dans le panier de monnaies utilisé pour fixer la parité des DTS. Pékin avait donc une autre bonne raison de s’affranchir de ce lien et d’adopter un nouveau mode de calcul pour ses interventions sur le marché du Yuan. Mais les autorités monétaires ne surent pas alors l'expliquer de façon convaincante, ce qui fit croire que la Chine, du fait de ses difficultés réelles ou supposées, s’engageait dans une guerre des monnaies. Dans la réalité, le nouveau mode de fixation ne se traduisit que par des modifications très modestes du cours du Yuan. Et la baisse du niveau des échanges commerciaux refléta essentiellement la chute des prix des matières premières importées et des produits de base exportés comme l’acier.
Le pays n’était pourtant pas au bout de ses peines car l’étape suivante, c’était la convertibilité, objectif qui vient d’être réaffirmé dans le XIIIème plan. Mais cela signifiait de libéraliser les mouvements de capitaux. La concomitance entre le changement du régime des changes et la modification, même limitée, de la réglementation sur les transactions avec l’étranger, a provoqué des réactions, de la part des agents économiques que les autorités chinoises n’avaient, là non plus, pas anticipées et qui étaient pourtant prévisibles. Les entreprises chinoises ou étrangères, qui s’étaient endetté en dollars se sont dépêchées de rembourser et ont vendu des yuans pour acheter les dollars nécessaires. Les particuliers en Chine, qui commençaient à en avoir le droit, se sont mis à convertir leur épargne en dollars, pour profiter d’une éventuelle hausse. En dehors de Chine, et notamment à Hong Kong, ceux qui détenaient des Yuans, là encore avec la bénédiction du gouvernement de Pékin, pour qui la constitution d’avoirs en devise chinoise à l’étranger contribuait à son objectif d’internationalisation, se sont mis aussi à vendre. La Banque centrale a dû intervenir pour stabiliser les cours et employer une partie de ses gigantesques réserves, évaluées alors à près de 4000 milliards de dollars, au rythme de 100 milliards par mois. Les marchés financiers, pour qui cela constituait un signal négatif de plus sur l’économie chinoise, y ont trouvé un nouveau motif d’inquiétude, alors que l’économie mondiale était déjà confrontée à la crise des émergents, à la stagnation de la zone euro et du Japon et aux doutes sur l’économie américaine.
Pékin a donc sous-estimé la difficulté de ces exercices : entreprendre en même temps le rééquilibrage de son économie, la réforme du pilotage de son taux de change et libéraliser les transactions avec l’étranger ne pouvaient s'accomplir sans générer des turbulences. Elles sont intervenues mais le cap, tel qu’il a été confirmé dans le projet de XIIIème Plan, a été maintenu et les marchés financiers commencent à se stabiliser. La où est la volonté, là est la voie…