Quand, durant l’été 2007, le monde bancaire découvrit qu’il était en possession d’actifs correspondants à des créances non recouvrables, la planète financière commença à trembler. Il faudra attendre la faillite de Lehmann Brothers, un an après, pour que l’on mesure l’ampleur du désastre qui allait provoquer la plus grande crise financière de l’après-guerre et une récession mondiale majeure. Sommes-nous à la veille d’une situation analogue ? La chute des valeurs des banques depuis le début de l’année traduit cette inquiétude bien qu’elles soient apparemment en meilleure situation qu’en 2007. Leurs fonds propres ont été renforcés et leurs activités spéculatives encadrées sous le contrôle de multiples institutions, nationales et internationales, qui ont relevé le niveau des exigences prudentielles et se coordonnent pour en assurer le respect.
Le sentiment général d’inquiétude résulte d’abord des incertitudes affectant l’économie mondiale. Alors que le contexte est plus favorable que jamais, avec des politiques monétaires expansionnistes, la baisse des taux d’intérêt qui en résulte et une chute des prix des énergies fossiles à la suite d’innovations majeures qui devraient être accueillies de façon positive, la croissance des pays développés peine à retrouver un rythme satisfaisant, particulièrement en Europe. Et quand elle est revenue, comme aux Etats-Unis, on se demande si c’est durable. C’est cette contradiction qui inquiète et conduit les commentateurs et les investisseurs à avancer l’hypothèse qu’il existe un vice caché comme en 2007 et à craindre une nouvelle crise.
Il y a d’abord la question chinoise. Le niveau des réserves de change avait atteint à l’été 2015 un niveau malsain. Sa baisse n’est pas une mauvaise nouvelle. Les autorités dénonçaient un système qui les forçait, du fait de leurs excédents extérieurs, à acquérir des dollars, voire des euros et donc à financer les déficits de leurs partenaires commerciaux. C’est pour cette raison qu’en 2009, Pékin avait amorcé sa stratégie d’internationalisation du yuan, visant à faire reconnaître à sa monnaie le statut de monnaie de réserve. C’est chose faite depuis la fin de l’année dernière. Il y a eu des soubresauts car il faut une période d’acclimatation. Les dirigeants chinois avaient peu d’expériences des réactions des marchés financiers, ce qui a conduit à des maladresses. Le gouverneur de la banque centrale chinoise, Zhou Xiaochuan, vient de l’admettre. Les opérateurs n’étaient pas davantage préparés à un tel changement systémique. Là aussi cela viendra. Quant à la croissance chinoise, elle se réduit au fur et à mesure que la taille de l’économie augmente et que celle-ci se diversifie. Mais les débouchés que le pays offre au reste du monde progresseront encore. Quant au niveau d’endettement des agents économiques publics et privés, il est largement couvert par leur épargne sans avoir besoin de faire appel à des financements extérieurs. Ce n’est donc pas la Chine qui sera à l’origine d’une crise mondiale.
On peut en dire autant des pays émergents, même le Brésil n’a pas su s’adapter à l’économie mondialisée. Il comptait sur l’exploitation de ses richesses pétrolières, mais la chute des prix va rendre celle-ci très difficile. La crise politique à laquelle il est confronté, va provoquer une instabilité supplémentaire et des difficultés majeures une fois les festivités des Jeux Olympiques terminées. Mais pas plus lui que les autres pays émergents ne sauraient déstabiliser à eux seuls l’économie mondiale.
La quasi-stagnation qui affecte le Japon et une bonne partie de l’Europe, qui découle de leur déclin démographique, et du déni européen d’en tirer les conséquences en matière de finances publiques, n’est pas davantage un facteur inquiétant pour la stabilité financière de ces pays, même si les systèmes bancaires allemands et italiens présentent des failles. C’est surtout un désastre pour les millions de chômeurs recensés ou déguisés sous la forme de contrats 0 heure (Angleterre) ou de mini-jobs (Allemagne). Mais cela ne met pas en danger la solvabilité de leurs systèmes financiers qui s’appuient sur une épargne surabondante, conséquence du vieillissement de la population et des inquiétudes de chacun pour son emploi. Le vice caché de l’économie mondiale n’est donc pas là non plus.
Il pourrait, en revanche, se situer dans le financement généreux des entreprises du secteur de l’énergie, aux Etats-Unis et dans les pays émergents et de la passion excessive de certaines banques, la Deutsche Bank en particulier, pour les produits dérivés dans un contexte de très forte volatilité des marchés. La chute des cours du pétrole et du gaz naturel a affecté la rentabilité de nombreuses exploitations. Contrairement à ce qu’on pensait il y a un an, la production n’a pas été réduite. Sa croissance a juste ralenti. La possibilité offerte aux producteurs américains d’exporter leurs ressources y a contribué. En même temps, les programmes d’investissements des grandes compagnies pétrolières ont été différés afin de ne pas aggraver la surproduction, l’offre étant désormais et durablement supérieure à la demande.
Seulement une bonne partie du « boom pétrolier et gazier » a été financé par des emprunts bancaires ou des émissions d’obligations. Les grands groupes internationaux, grâce à leurs marges y ont moins fait appel que les nouveaux venus américains ou les compagnies des pays émergents. La dette de Petrobras atteint 100 milliards de dollars. Les compagnies d’Asie du sud-est, en Indonésie ou en Malaisie sont aussi lourdement endettées. Aux Etats-Unis, les entreprises qui se sont lancées dans la production de pétrole et de gaz non conventionnels ont eu recours aux banques en donnant en garantie les ressources qu’elles n’avaient pas encore produites, évaluées au prix de l’époque. Avec la chute des cours, ces garanties ne valent plus grand-chose. C’est exactement ce qui s’était passé avec les subprimes. On avait accordé des prêts à des clients dont la situation financière était « limite », en prenant en garantie des biens immobiliers. Quand la valeur des garanties a chuté, l’insolvabilité des emprunteurs s’est répandue comme une trainée de poudre. Les banques qui avaient consenti les prêts s’en étaient entre temps débarrassées auprès d’autres institutions dans le monde entier grâce à leur titrisation, avec la bienveillance des agences de notation. Cette brutale dépréciation et sa diffusion par le biais de la titrisation ont déclenché la crise.
Des montants considérables d’obligations et de prêts bancaires sont aujourd’hui adossés à des biens qui ont perdu une bonne partie de leur valeur ou consentis ou émis par des entreprises dont la rentabilité a été affectée par la chute des cours du pétrole et du gaz et qui sont loin d’être en mesure de les rembourser. Cela va mettre en difficulté le système bancaire américain et les finances des pays émergents concernés. Ces difficultés inévitables vont-elles se propager, comme en 2007 aux autres systèmes bancaires, et donc provoquer la crise que tout le monde redoute ? Tout va dépendre de leur exposition à ces risques de défaut. Jusqu’à présent, peu d’informations détaillées ont été rendues publiques par les banques européennes sur ces risques. On sait juste que l’exposition de la Deutsche Bank aux produits dérivés, qui sont souvent liés aux marchés de matières premières, rapportée à sa capitalisation boursière est très importante, ce qui a provoqué la chute de son cours en Bourse, entrainant les autres valeurs bancaires en Europe.
Il ne reste plus qu’à espérer que les régulateurs européens, si sourcilleux quand il s’agit d’apporter un financement ou des fonds propres aux entreprises locales, fassent preuve de vigilance face à l’émergence de tous ces nouveaux risques. A défaut, l’histoire se répètera.