Tout le monde devrait se réjouir d’une telle performance qui tranche avec les doutes sur la pérennité de la croissance américaine, la faible reprise en Europe et la stagnation décennale qui affecte le Japon. Et bien non, ce chiffre de 6,9% est immédiatement assorti du commentaire « la plus mauvaise performance depuis vingt ans ». Le PNB chinois a approché en 2015 11 000 milliards de dollars. En valeur absolue, son augmentation sur un an est d'environ 700 milliards soit à peu près le tiers du PNB français qui lui n’aura augmenté que d’une petite vingtaine de milliards…Mais tout ce qui vient de Chine est assorti d’un jugement négatif. Et ce n’est pas nouveau. Bien peu, en France, furent ceux qui avaient compris le sens des réformes initiées par Deng Xiaoping et qui s’intéressèrent au pays pour y vendre ou pour y investir.
La théorie en vogue alors, c’était : « cela ne durera pas… ». Un peu comme un passager qui vient de rater son train (n’est-ce pas Alstom…) et qui expliquerait que ce n’est pas grave parce qu’il va dérailler… L’intelligentsia française, d’Alain Peyrefitte au journal Le Monde, s’était prise de passion pour Mao et la révolution culturelle. Elle ne pardonne toujours pas à la Chine d’aujourd’hui d’avoir rompu avec succès avec cette expérience et d’avoir toute seule reconquis le statut de grande puissance qu’un siècle de guerre civile et d’interventions néo-colonialistes des puissances occidentales, avait blessé. Il faut abandonner cette vision déformée et inutilement pessimiste de la réalité chinoise, qui n’a pas été sans conséquences sur la stratégie des entreprises françaises. Elles occupent aujourd’hui, dans ce pays, une place bien plus faible que leurs concurrentes allemandes, américaines et japonaises, ce qui est un comble quand on connait le contexte historique des relations entre ces deux pays.
Quelques chiffres suffisent à ramener à la réalité. En 2005, la croissance chinoise atteignit 11,3%, mais la hausse de la production représenta 300 milliards de dollars, soit deux fois et demi moins que l’an dernier. Or c’est bien l’augmentation en valeur absolue qui importe puisque c’est elle qui rend compte de l’évolution du marché, et donc des opportunités qui se présentent aux entreprises. Si l’on raisonne en parité de pouvoir d’achat, concept inventé pour faciliter les comparaisons internationales, on constate que la Chine a maintenant distancé les Etats-Unis avec un PNB supérieur à 18000 milliards de dollars. Voilà la réalité et c’est cela qu’il faut prendre en considération.
La Chine n’est plus un pays émergent car elle a réussi à émerger. Son modèle de croissance évolue comme dans tous les pays qui ont atteint le stade de pays développé. Trois changements sont prévisibles. La baisse faciale et progressive du taux de croissance puisque ce ratio s’appliquera désormais à une base de plus en plus élevée. C’est en cours mais il doit désormais être comparé avec celui des pays développés et non avec les performances passées du pays. La transformation du modèle de croissance avec une réduction du poids de l’industrie et une part croissante des services. Ceux-ci ont atteint 50,5% du PNB en 2015 alors qu’ils représentaient en moyenne 46% ces dernières années. Cela traduit la mutation du modèle de consommation : la jeunesse chinoise se rapproche du mode de vie occidental avec une part croissante du tourisme qui témoigne de la soif de découverte du monde d’un peuple si longtemps isolé. Ce mouvement est irréversible et sera, à long terme conforté par l’abandon de la règle de l’enfant unique. Aux entreprises françaises de saisir les opportunités qui se présentent déjà.
Le troisième changement en cours concerne les relations économiques internationales. La Chine abandonne progressivement son profil de « sous-traitant low cost » des firmes internationales. Le projet de « nouvelle Route de la Soie », en référence au rôle précurseur de la Chine dans la mondialisation, ne doit pas être sous-estimé. Il vise à accompagner ses partenaires, le plus souvent ses voisins, vers un modèle de croissance fondé sur des échanges mutuellement profitables, au moyen de la réalisation d’infrastructures de transport. Au fur et à mesure que cet ensemble de pays amorcera son développement, comme la Chine le fit il y a trente ans, tout le monde y gagnera, au premier rang desquels l’Empire qui sera redevenu celui du Milieu.
Telles sont les axes de la nouvelle stratégie économique chinoise. Ce n’est pas un voyage de tout repos et il comportera inévitablement une composante cyclique, avec toutes les ruptures que cela implique, notamment pour certains secteurs industriels, et une plus grande sensibilité à la conjoncture mondiale. Mais l’hypothèse de loin la plus plausible, c’est que ce pays qui vient de réussir en une génération à se hisser au niveau d’une grande puissance économique, saura procéder aux adaptations nécessaires pour consolider son nouveau statut. Cela concernera d’abord sa monnaie. Son rôle international ira grandissant et les premières étapes ont été franchies avec l’inclusion du Yuan dans le panier de monnaies de réserves du FMI, dont la réforme des statuts vient d’être ratifiée par le Congrès américain.
Les turbulences de ces derniers mois font partie de ce processus et les réactions qu’elles ont suscitées sont bien excessives. La baisse du yuan par rapport au dollar n’a pas dépassé 5%. Elle avait pour objet de compenser la réévaluation de la monnaie américaine face aux autres devises comme l’euro. C’est bien modeste, surtout quand on se rappelle les violents mouvements qui avaient affecté la devise américaine au début des années 80, les fluctuations du yen eou encore les crises à répétition qui ont précédé la création de l’euro.
La place prise par la Chine dans l’économie mondiale est un fait irréversible. Au lieu de se demander si elle va la perdre, mieux vaudrait, en France, réfléchir au meilleur moyen de s’y adapter. Exporter plus ou nouer des partenariats avec des entreprises chinoises permettrait sûrement d’accélérer notre propre croissance, laquelle en a bien besoin. Ne ratons pas encore une fois le train.