2015 n’aura pas été une année comme les autres. Pétrole, Yuan, Fed, Europe et France auront connu des tournants majeurs. Certains d’entre eux, sont porteurs d’évolutions structurelles qui vont affecter l’économie mondiale au moins pour les dix prochaines années.
Le pétrole d’abord. 2015 aura apporté la confirmation que la chute des cours observée à la fin 2014 n’était pas seulement la conséquence de choix géostratégiques, les Etats du Golfe, à dominante sunnite voulant affaiblir l’Iran chiite et les Etats-Unis cherchant à couper les vivres de la Russie après la crise ukrainienne. La décision de l’OPEP de maintenir son niveau de production, confirmée un an plus tard, n’était que la conséquence d’un constat : il y a un excès durable de l’offre sur la demande. Ce n’est pas le ralentissement de l’économie chinoise qui est en cause mais l’abondance de la ressource, comme en témoignent les découvertes massives intervenues aux Etats-Unis et en Afrique depuis quelques années. Le mythe de la rareté des énergies fossiles s’est effondré. C’était prévisible pour le charbon et le gaz naturel. C’est devenu évident aussi pour le pétrole. La géologie et la technologie ont eu raison de l’idéologie. Et la libéralisation des exportations américaines va encore renforcer cette tendance. Le monde devra apprendre, pour les dix prochaines années au moins, à vivre avec des hydrocarbures bon marché.
Le Système monétaire international a connu lui aussi son tournant avec les étapes décisives franchies ces derniers mois par la monnaie chinoise, le Yuan, pour acquérir le statut de monnaie de réserve. La deuxième économie mondiale exercera, dans l’avenir, une influence grandissante sur les marchés financiers. Au lieu de se livrer à d’interminables commentaires sur son ralentissement économique ou sur les soubresauts boursiers qui affectent une activité encore adolescente, mieux vaudrait réfléchir aux conséquences économiques de l’internationalisation du Yuan et de son adoption progressive mais irréversible dans les transactions commerciales et financières de la Chine. Cela se traduira d’abord par une baisse des réserves en devises de la banque centrale chinoise, aujourd’hui pléthoriques avec plus de 3 000 milliards de dollars. Cela signifie aussi un moindre appétit pour l’achat de bons du trésor américains ou d’émissions en euros. Les pays développés doivent s’y préparer. Le Yuan fluctuera désormais, non comme le dollar, mais en fonction de l’ensemble des grandes monnaies. La « dévaluation » du mois d’août, au demeurant bien modeste, n’était, en réalité, qu’une réaction face aux risques encourus par la Chine du fait des dévaluations bien plus importantes pratiquées par ses partenaires commerciaux, comme le Japon, la Corée et la zone euro qui avaient décroché par rapport à la devise américaine. Même mutation sur les marchés financiers. Les entreprises internationales auront désormais un plus large choix pour lever des capitaux et hésiteront de moins en moins, pour leurs investissements en Asie, à se tourner vers les épargnants chinois.
Troisième tournant, la décision de la Federal Reserve de relever son principal taux d’intérêt, signe du retour de l’économie américaine à un rythme de croissance « normal », huit ans après le déclenchement de la crise de subprimes, à l’été 2007. Une étape a donc été franchie. Le taux de chômage est redescendu autour de 5%, en très nette amélioration, même si le taux d’activité reste encore faible, ce qui écarte tout risque d’inflation salariale. Et la croissance a bénéficié de la forte hausse de la production de pétrole et de gaz naturel, grâce à la découverte de gisements pétroliers que de nouvelles techniques permettaient d’exploiter et du gaz de schiste. Les branches situées en aval, le raffinage, les terminaux gaziers ou la pétrochimie, se sont mises à réinvestir pour en profiter. Le redémarrage de l’économie américaine résulte aussi de la stratégie mise en place avec l’acceptation d’un déficit public élevé et d’une monnaie forte, laquelle, contrairement à bien des idées en vogue, notamment en Europe, n’a en rien pénalisé la croissance. Les Etats-Unis dont l’excès d’endettement privé avait provoqué l’une des plus graves crises que le monde ait connu, auront démontré en 2015, qu’ils avaient remédié à leurs déséquilibres et que l’économie américaine était repartie durablement.
Pour l’Europe, bien au contraire, l’année 2015 aura été marquée par son incapacité à retrouver un rythme de développement satisfaisant et par un divorce croissant et sans précédent entre les aspirations des peuples qui la composent et son action pour les satisfaire. L’audience, partout en forte hausse, des partis ostensiblement anti-européens, même parmi les nouveaux Etats-membres, ce qui est un comble, comme dans tout le sud du continent, en est la conséquence. L’éventualité d’une sortie du Royaume-Uni qui a pris corps cette année, au lendemain de la large victoire des Conservateurs, avec le projet d’organiser un référendum, a introduit une fragilité supplémentaire. Les choix de politique économique, imposés par Bruxelles sous la pression de Berlin, se sont révélés erronés. La baisse de l’euro et la priorité donnée à la réduction des déficits et des endettements publics n’ont pas débouché sur le retour de la croissance. Le chômage, à la différence des Etats-Unis, et sauf dans les pays comme l’Allemagne confrontés à une crise démographique, est resté partout trop élevé. L’exemple américain montre au contraire qu’une monnaie qui se raffermit n’est pas un handicap et qu’il est plus facile de résorber les déficits quand la croissance est repartie que d’avoir la stratégie inverse. La défiance née de l’échec économique a été encore accrue avec les atermoiements pour régler des sujets ponctuels comme la crise grecque ou l’arrivée des migrants. L’année qui s’achève, aura été de bien mauvais augure pour l’avenir du projet européen.
Elle n’aura pas été meilleure pour le France. Le succès diplomatique de la COP 21 et l’attitude digne et résolu de ses dirigeants face aux exactions terroristes, ne saurait faire oublier l’échec économique. Pour la quatrième année consécutive, le pays a connu une quasi-stagnation et le chômage a continué de progresser. La stratégie économique, initiée en 2013, reposant sur une baisse massive des charges sociales et fiscales pesant sur les entreprises, visant à réduire leurs coûts et à redresser leurs marges pour investir et reconquérir des parts de marché, a échoué. Devant en même temps satisfaire aux contraintes européennes en matière de déficit, l’Etat a accru les prélèvements sur les ménages, bloqué les rémunérations du secteur public et réduit les transferts sociaux, rendant impossible toute reprise de la demande intérieure, les familles préférant épargner en attendant des jours meilleurs et les entreprises d’avoir des clients pour embaucher. En outre, il n’a pas su, pour lui-même, tirer avantage de la réduction des taux d’intérêt, décidée par la BCE, ce qui lui aurait permis d’alléger les contraintes qu’il faisait peser sur les contribuables. Quant à la baisse de l’euro, elle n’a pas eu les effets escomptés par ses défenseurs et, paradoxe suprême, la balance commerciale, hors énergie, s’est dégradée. Les effets négatifs certains de la dévaluation l’ont emporté sur les avantages escomptés qui se sont révélés illusoires.
2015 aura donc marqué un tournant : beaucoup d’idées reçues sur le plan économique auront été infirmées, pour le meilleur, aux Etats-Unis, et pour le pire, en France. La Chine a progressé de façon significative dans sa stratégie de devenir une grande puissance financière internationale alors que l’Europe, au contraire, a régressé. La chute des prix des énergies fossiles s’annonce durable et complique le défi posé par le réchauffement climatique. Aux dirigeants, partout dans le monde, de tirer les leçons de ces transformations.