Au moment où son économie ralentit, l’activité diplomatique de la Chine s’intensifie. Il y a tout juste un an, le pays s’était déjà retrouvé au centre des discussions économiques internationales. La création d’une nouvelle banque destinée à favoriser le développement avait recueilli l’adhésion des pays européens, l’Angleterre en tête, à la grande surprise, c’est un euphémisme, de Washington, qui restait à l’écart, et avec l’hostilité affichée du Japon. Pékin profitait de ces circonstances pour dévoiler ses nouvelles ambitions économiques avec son projet de « nouvelle Route de la Soie ». Les sommets de l’APEC, de l’Asean et le G20 réuni en Australie avaient alors conforté l’influence croissante de la Chine sur les questions économiques internationales à un moment où les autres dirigeants, pour des raisons diverses, apparaissaient affaiblies, revers électoral pour le Président Obama aux Etats-Unis, crise de l’euro et tensions avec la Russie à propos de l’Ukraine pour les pays européens.
Aujourd’hui, la Chine est de nouveau au centre des manœuvres diplomatiques et économiques. En quelques semaines, le président chinois a été reçu en grande pompe à Londres qui rêve de faire de sa place financière le support névralgique de la monnaie chinoise dans son processus d’internationalisation. Peu après, Xi Jinping accueillait à Pékin successivement la chancelière Merkel et lui permettait d’annoncer un contrat géant avec Airbus, et François Hollande venu lui demander le soutien de la Chine pour la réussite de la COP 21. Au même moment, et il est difficile de croire qu’il s’agisse d’une coïncidence, on apprenait que le niveau d’émission de CO2 du pays avait été sous-estimé et l’appareil statistique officiel chinois publiait de nouveaux chiffres nettement plus élevés. Mais bien peu d’observateurs relevèrent alors que cette publication, fort opportunément, permettrait à la Chine de tenir plus facilement ses objectifs de plafonnement d’émission. On aurait d’ailleurs tort en Europe de lui en tenir grief puisque c’est exactement ce qui s’est passé pour l’Allemagne quand a été retenue comme base pour les objectifs de réduction, l’année de la réunification, avec les unités de production polluantes d’Allemagne de l’Est qui étaient de toutes façons vouées à la fermeture.
Mais c’est surtout en Asie que la diplomatie chinoise s’est manifestée avec intensité. Le sommet tripartite avec la Corée du Sud et le Japon a confirmé l’isolement de Tokyo qui n’a reçu aucun soutien de Séoul dans son contentieux avec Pékin sur les îles de la mer de Chine et qui continue à faire face à de vives critiques du fait de son refus de reconnaître ses torts et les dommages causés par l’occupation japonaise il y a maintenant près de 80 ans. Cet isolement est apparu de façon très symbolique lorsque le premier ministre japonais n’a pas été invité par la Présidente de la Corée du Sud au déjeuner qu’elle donnait en l’honneur du premier ministre chinois Li Kequiang.
Xi Jinping, pendant ce temps-là, se préparait à s' envoler pour le Vietnam où des accords commerciaux seront signés. Ils symbolisent le réchauffement des relations entre les deux pays, Le président chinois partait ensuite à Singapour pour une rencontre historique avec le « président » de Taiwan, Ma Ying-jeon. Bien sûr son titre, pas plus d’ailleurs que celui-de son homologue, n’est apparu sur les documents officiels puisque Pékin ne reconnait pas l’existence d’un Etat, donc d’un gouvernement, à Taiwan, qualifiée encore de province chinoise séparatiste. Mais les relations entre les deux « territoires » s’étaient considérablement réchauffées depuis l’élection, en 2008, du leader du Kuomintang, face au Parti Démocrate Populaire, partisan, sinon de l’indépendance, du mois de relations minimales avec la Chine. C’est un étonnant renversement de l’histoire si l’on se souvient que le Kuomintang était le parti de Tchang Kai-chek qui avait perdu la guerre contre le parti de Mao Tsé-toung et s’était précisément enfui à Formose, se jurant de reconquérir la Chine par la force, avec le soutien alors affiché de la communauté internationale. La rencontre de Singapour est historique en ce que les dirigeants chinois et taiwanais n’avaient eu aucun contact depuis 1945.
Les observateurs hostiles à Pékin en Asie ont vu dans cette rencontre une manœuvre électorale destinée à peser sur l’élection du prochain président taiwanais qui interviendra au printemps 2016, et à laquelle Ma Ying-jeon ne pourra se représenter puisqu’il aura accompli deux mandats. Les sondages donnent d’ailleurs l’opposition largement gagnante et les mêmes commentateurs ajoutent que cette manœuvre desservira le Kuomintang et aura donc des conséquences défavorables sur les perspectives de rapprochement entre Taiwan et la Chine.
Rien n’est pourtant moins sûr. L’amélioration des relations entre les deux rives du détroit de Formose a eu des conséquences bénéfiques sur l’économie de l’île. Des dizaines de liaisons aériennes ont été ouvertes et les touristes chinois se ruent pour effectuer les achats qu’ils faisaient auparavant à Hong Kong car les prix sont bien moins élevés. Et les grands groupes taiwanais, et donc leurs actionnaires et leurs salariés, ont profité de l’intensification des relations avec leur puissant voisin. Même en cas de victoire de l’opposition, un retour en arrière et une remontée des tensions est bien peu probable.
La diplomatie chinoise, au moment où le pays était fortement critiqué à la suite de ses revendications maritimes avec notamment l’implantation d’une base sur un îlot dont la souveraineté en mer de Chine est contestée, vient de réussir le tour de force de sortir Pékin de l’isolement régional qui le menaçait. La crise financière qui a affecté le pays durant l’été n’est plus qu’un mauvais souvenir. La bourse de Shanghai est repartie à la hausse et le yuan, qui devrait bientôt faire son entrée dans le cercle fermé des monnaies de réserve, s’est stabilisé à un niveau, par rapport au dollar, en baisse d’un peu plus de 2%. Compte tenu des fluctuations violentes qui affectent le cours des monnaies, la baisse de l’euro depuis une semaine est bien supérieure à 2%, l’opération décidée en août par la Banque de Chine apparait bien prudente.
Enfin, de nouveaux objectifs de croissance viennent d’être adoptés pour le XIIIème Plan, en légère baisse par rapport au Plan précédent. Plus rien ne justifie donc le discours catastrophiste entendu à propos de l’économie chinoise depuis six mois. Rappelons, une fois de plus, que comparer des taux de croissance dans le temps est un exercice périlleux et que l’augmentation, en valeur absolue, qui est la seule chose qui compte pour les partenaires de la Chine, si la croissance est de 6,5% les prochaines années, sera bien supérieure à ce qu’elle était, il y a dix ans quand la croissance frôlait les 10%.
C’est donc fort de ces succès que le président Xi Jinping pourra se présenter dans quelques jours au sommet du G20 en Turquie. Nul doute que, comme l’an dernier, il apparaîtra au centre des discussions, et en position de force, ce que rien ne laissait prévoir il y a tout juste six mois.