L’annonce, par le Président américain, de fixer pour les Etats-Unis, un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre, a été salué comme il se doit, notamment en France par Ségolène Royal. C’est de bon augure pour des avancées significatives, sinon pour le succès de la Conférence de Paris qui se tiendra à la fin de l’année. Mais il ne faut pas se tromper sur sa portée.
Le facteur le plus important est que le premier émetteur de CO2 de la planète, passé et présent, se mobilise pour une cause dont l’importance ne fait plus guère de doutes. La violence des conséquences du dérèglement climatique n’est plus niable, même si l’on les corrige des effets médiatiques qui font que chaque tempête ou glissement de terrain provoqué par des pluies trop abondantes, donne lieu à des images retransmises dans le monde entier. Le remède s’apparente au pari de Pascal. Il y aura toujours un doute sur la responsabilité des agissements humains, mais qu’y-a-t-il à perdre en les corrigeant dans le sens souhaité par les scientifiques qui ont étudié la question ?
La dimension politique, sinon électoraliste du message de Barrack Obama, il ne faut pas être naïf, n’est pas absente. Le parti démocrate va de défaites en défaites aux élections au Congrès et il s’agit donc de mobiliser un électorat sensible à ces thèmes qui constituent un clivage très net avec les Républicains. Et le calcul politique est omniprésent dans le contenu des propositions avancées. La plus spectaculaire vise la réduction de la part du charbon dans le mix électrique américain. En janvier 2010, elle atteignait près de 50%, cinq ans plus tard, elle n’était plus que de 38% et en avril 2015, pour la première fois, le gaz a dépassé le charbon dans la génération d’électricité. La baisse des émissions de CO2 résultant de cette évolution spectaculaire a représenté chaque année environ 400 millions de tonnes soit l’équivalent des émissions totales de la France.
Mais, et c’est là où le « politique » entre en jeu, ce n’est pas la promotion du gaz naturel, qui est au cœur des propositions du président américain, mais un appel plus fort aux énergies renouvelables. Le gaz de schiste, qui est à l’origine du recul des émissions américaines, n’a pas bonne presse, malgré ces résultats, auprès des écologistes américains. En outre, les avantages fiscaux qui bénéficiaient aux énergies solaires et éoliennes doivent être rediscutés à partir de 2016, et rencontrent l’hostilité d’une partie du Congrès. En stigmatisant le charbon, à juste titre et en proposant de faire reposer sur les énergies renouvelables la transition énergétique, ce qui est irréaliste, il fait d’une pierre deux coups. Les nouvelles normes qui sont appelées à pénaliser davantage encore les centrales au charbon, accentueront le déclin de cette énergie fossile polluante, et il gagnera le soutien de l’opinion sensible aux dégâts sur le climat, en obtenant la reconduction des aides aux énergies renouvelables. Mais il ne faut pas oublier une évidence. La seule alternative significative au charbon, c’est bien l’augmentation de la part du gaz naturel, à la fois parce que ce n’est pas une source intermittente et surtout parce qu’elle est économiquement, et écologiquement bien sûr, plus performante. L’autre grand perdant, avec le charbon, c’est le nucléaire, sur lequel le président américain s’est peu exprimé.
Il semble bien qu’en Europe on n’ait pas mesuré le véritable enjeu de la « révolution du gaz de schiste » intervenue aux Etats-Unis depuis cinq ans qui a permis une augmentation de la production totale de gaz de près de 40%. Le pays deviendra bientôt exportateur net, quand les terminaux LNG en cours de construction deviendront opérationnels. On assistera alors à une inversion des échanges de produits fossiles puisque, forcément, une fois les obstacles légaux surmontés, le pétrole suivra et les Etats-Unis deviendront, eux aussi, exportateurs.
Si cette nouvelle ressource gazière a trouvé aussi rapidement de tels débouchés, c’est parce qu’elle était « compétitive ». Son abondance, sa proximité des marchés qu’elle était censée desservir ont provoqué une telle baisse des coûts de production de l’électricité qu’elle s’est imposé. Le « spark spread » qui mesure la marge de l’exploitant qui a recours au gaz a brutalement dépassé le « dark spread » de son concurrent au charbon, d’où la vitesse avec laquelle le mix électrique américain a évolué. Les mesures réglementaires restreignant l’usage du charbon, que Barrack Obama a annoncées et qui seront, pour des raisons juridiques, difficiles à mettre en place, les Etats concernés faisant tout pour s’y opposer, auront une portée réduite. Mais la force des mécanismes de marché prévaudra. Il était donc inutile que le Président américain s’engage derrière le gaz de schiste, ce qui lui aurait fait perdre le bénéfice politique de ses annonces auprès des écologistes américains.
La montée en puissance du gaz naturel contribuera à la réduction du déficit commercial, avant même que les excédents de production aient besoin de trouver des débouchés à la grande exportation et confortera l’avantage que les Etats-Unis tireront d’avoir accès à ses propres énergies fossiles. Cet avantage compétitif s’étendra aux industries lourdes qui consomment beaucoup d’énergie et favorisera leur relocalisation aux Etats-Unis. C’est déjà en cours pour le raffinage et les grands intermédiaires chimiques. Le sud du pays commence à en sentir les effets.
L’Europe ne doit pas s’y tromper. Il ne s’agit pas d’un phénomène passager et local. La nouvelle abondance de gaz naturel, et peut-être même de pétrole, sera durable et globale. Tous les continents détiennent des réserves considérables et on peut, l’histoire l’a montré, faire confiance aux ingénieurs pour mettre en place des techniques de plus en plus performantes, tant en terme de recouvrement que de protection de l’environnement, pour que l’exploitation de ces gisements connaissent un essor considérable, avec à la clef, une baisse du coût de l’énergie. Cette fameuse compétitivité, qui selon les économistes, déterminent les équilibres économiques entre les pays concurrents, en sera alors affectée. Et les Etats-Unis, voire le continent américain, n'en seront pas les seuls bénéficiaires. La Chine se lance dans la production de gaz de schiste et, fait sans précédent, a inscrit la construction de gazoducs, dans le plan de relance que le gouvernement est en train de mettre en œuvre.
Nous avons tous les yeux fixés sur Uber, Google ou Amazon. Et si, finalement, le fait dominant des trente prochaines années, avec les conséquences géopolitiques que l’on peut facilement imaginer, n’était pas plutôt cette nouvelle abondance de ressources naturelles, mieux distribuées et exploitées sur la planète, que lorsqu’au début du XIXème siècle, l’Angleterre mena avec succès la révolution industrielle, grâce à ses mines de charbon ?