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Le blog d'Alain Boublil

 

Vers la fin du modèle allemand

La publication des dernières statistiques relatives à l’économie allemande permet de s’interroger sur la capacité du pays à surmonter ses difficultés actuelles et à conserver en Europe la place de leader que lui donne sa taille et de modèle que lui ont conférées ses remarquables résultats passés, tant sur le plan de ses performances commerciales grâce à son industrie que sur celui de la maîtrise de ses finances publiques et de l’inflation. L’Allemagne est entrée en récession, si l’on suit la définition basée sur la baisse du PIB durant deux trimestres consécutifs. Celui-ci a régressé de 0.5% au 4ème trimestre 2022 et de 0.3% au 1er trimestre 2023. Ces chiffres sont parmi les plus faibles des principales économies mondiales. L’inflation sur un an a atteint 7.2%, largement supérieure à celle observée en France. La production industrielle est freinée et l’excédent commercial, toujours élevé, connait pourtant un net recul. Ces chiffres témoignent d’un impact bien plus fort sur Allemagne de la dégradation de l’environnement international, provoquée notamment par l’invasion de l’Ukraine par la Russie et par les tensions entre les Etats-Unis et la Chine.

La force de l’économie allemande depuis 25 ans résulte de trois facteurs. Il y a d’abord eu la réussite de l’unification. L’industrie est-allemande était dans un état déplorable, contrairement à une idée largement répandue. Le gouvernement a su la restructurer et a soutenu ses entreprises dans leur stratégie d’investissement dans les anciens pays de l’Est qui sont passés du statut de satellites politiques de l’Union Soviétique à celui de satellites économiques de l’Allemagne. Il n’y a pas eu au sens strict de vastes délocalisations. Mais de nouvelles chaines d’approvisionnement ont été construites. L’industrie automobile a conservé, à la différence de ce qui s’est fait en France, les grandes usines d’assemblage mais a fait venir des pays voisins des composants fabriqués à des prix plus faibles.

Il ne faut d’ailleurs pas se tromper sur les « réformes Hartz » initiées sous le gouvernement Schröder permettant de créer des « mini-jobs ». Il ne s’agissait pas de s’attaquer au coût du travail mais de freiner le rebond des migrations d’Allemands de l’Est vers l’Ouest pour obtenir de meilleurs avantages sociaux. Le fait de refuser un emploi à l’Est les privait du droit de bénéficier de ces avantages.  Comme ceux-ci ne votaient pas pour le parti social-démocrate, ils auraient mis en péril dans de nombreux länder les majorités dont le gouvernement avait besoin. Ces mesures ont été mal comprises en France où est alors apparu le débat sur le coût trop élevé du travail et les mesures coûteuses adoptées pour le réduire, sans aucun impact sur la compétitivité comme l’a montré la dégradation continue de la balance commerciale.

Le deuxième facteur de la réussite industrielle et donc économique, de l’Allemagne réside dans une culture d’entreprise fondée sur le partage de la valeur créée, partage rendu plus facile par la participation des représentants des salariés dans les instances dirigeantes. Cette culture s’est retrouvée aussi dans le choix des chefs d’entreprise qui repose sur des critères comme la connaissance des capacités techniques et commerciales de l’entreprise et des besoins des clients et non sur un parcours dans la haute administration ouvrant des possibilités de contact dans les ministères et même à des niveaux plus élevés. Le « Mittelstand » a joué un rôle clé dans la constitution d’une base industrielle solide en Allemagne.

Tout ceci explique que les entreprises allemandes aient su bien mieux que leurs concurrents européens et notamment français, profiter de la croissance chinoise et y investir pour fournir les produits dont les entreprises et les consommateurs de l’Empire du Milieu avaient besoin, là encore à la différence de la France. Le cas de l’industrie automobile est révélateur. Alors que Peugeot et Volkswagen y étaient présents dès les années 80, le constructeur allemand y réalise plus de la moitié de ses ventes mondiales. Et les trois autres grandes marques d’Outre -Rhin, BMW, Mercedes et Audi ont compris très vite que la voiture était aussi un signe de réussite sociale et ont offert aux consommateurs chinois ce qu’ils souhaitaient avec des véhicules haut-de-gamme.

Le troisième facteur réside dans une organisation de l’Etat bien moins coûteuse et générant bien moins de bureaucratie qu’en France. Au sein de la zone euro, s’est alors établi un rapport sinon de force, du moins d’influence avantageant les pays vertueux et leur permettant d’imposer des décisions, comme par exemple dans l’énergie qui leur étaient favorables et qui affaiblissaient leurs concurrents, au premier rang desquels figurait la France. Etant sous la menace de sanctions du fait d’un endettement et de déficits élevés, Paris n’était pas en bonne position pour bloquer les mesures qui lui étaient défavorables dans d’autres secteurs et s’est même senti obligé, sans aucune raison économique ou relative à la sûreté de fermer la centrale de Fessenheim pour répondre à une demande de Berlin.

Depuis les crises qui viennent de se succéder, tout a changé et, dans beaucoup de cas, de façon durable. La crise énergétique consécutive à l’invasion de l’Ukraine, a mis au grand jour l’échec de la politique énergétique allemande. Les renouvelables étant intermittentes, il était impératif de disposer de sources de production d’électricité mobilisables en permanence. Le choix pour le gaz faisait le pari que la Russie se normaliserait politiquement et deviendrait sinon un satellite économique de Berlin, mais au moins un partenaire aussi important pour les exportations industrielles que ses voisins européens. L’abandon du nucléaire, comme les réformes Hartz, avaient d'abord un objectif électoral et dans le premier cas d’obtenir le soutien des écologistes et en même temps des populations des länder où se situaient les mines de charbon dont l’emploi serait préservé. L’Allemagne va donc devoir supporter un coût de l’énergie bien plus élevé générateur d’inflation comme cela est constaté aujourd’hui, qui va affecter la compétitivité de branches industrielles essentielles.

La prospérité de l’industrie automobile comme les perspectives offertes par le marché chinois ne sont plus garanties. L’électrification des véhicules constitue une menace quand on observe l’avance prises par les constructeurs de l’Empire du Milieu et le fait que le pays contrôle des matières premières stratégiques. Non seulement les exportations et les productions sur place vont être affectées mais la présence sur le marché européens des véhicules chinois a toutes chances de s’accroître fortement au détriment de l’industrie allemande.

Celle-ci sera doublement pénalisée. En même temps, l’économie chinoise a engagé sa mutation, comme le montrent les dernières statistiques publiées. C’est bien le secteur des services qui est en train de prendre le relais, en termes de croissance, dans la consommation des ménages. Cela freinera la demande de biens importés, de machines pour équiper les usines et de produits pour les ménages donc d’exportations en provenance d’Allemagne.

Le modèle allemand va devoir se réinventer et pour cela il faudra que les dirigeants l’admettent et reconnaissent les erreurs passées comme dans l’énergie. Ils chercheront aussi à remettre en cause le calendrier de passage aux véhicules électriques. Une première tentative a eu lieu mais les conséquences seront telles pour l’industrie automobile, et pas seulement pour l’emploi, que ce n’est pas l’annonce d’une « giga-factory » pour fabriquer des batteries, qui les feront disparaître.

La fin du modèle allemand dont le succès avait été fondé sur ses exportations de biens fabriqués par son industrie et une faible inflation pourrait permettre un rééquilibrage des influences au sein de l’Union Européenne. Mais pour cela, il faudra que la France en prenne conscience pour mieux faire valoir ses intérêts.