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Le blog d'Alain Boublil

 

Les vraies causes du déficit commercial de la France

Au mois de novembre, le déficit commercial de la France a atteint 9,7 milliards d’euros. Sur les trois derniers mois, il est de 24,5 milliards. Jamais de tels niveaux n’avaient été observés. Le déficit en année pleine avait fluctué de 2012 à 2020 entre 43,5 milliards et 69 milliards. En 2021, il devrait dépasser 80 milliards. Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants que le rétablissement de l’équilibre extérieur et le redressement de la compétitivité des entreprises figurent depuis dix ans parmi les principales priorités des gouvernements qui se sont succédé. Les politiques mises en place ont donc échoué et aucune leçon ne semble avoir été tirée de cet échec. Il est même question d’aller plus loin dans la logique des actions passées au lieu de s’interroger sur les véritables causes de ce déficit.

Cette situation n’est pas nouvelle. En 1983, le gouvernement Mauroy avait considéré que l’accroissement du déficit commercial qui menaçait la stabilité du système monétaire européen, avait pour origine la politique de relance engagée en 1981. L’Etat avait dû dévaluer le franc à trois reprises. Il s’ensuivit un plan de rigueur, qualifié parfois de « tournant de la rigueur ». Or cette analyse était fausse. L’accroissement du déficit avait pour seule cause l’alourdissement de la facture pétrolière lui-même conséquence de la hausse de 56% du dollar entre 1980 et 1982, dans lequel étaient facturées les importations.

Après la création de l’euro en 2002, on observa une dégradation de nos échanges de produits manufacturés qui étaient alors largement excédentaires. Nombreux sont ceux qui affirmèrent que c’était à cause de l’euro dont le cours était trop élevé pour l’industrie française et pas assez pour l’industrie allemande qui bénéficierait ainsi d’un avantage injustifié. Cette argumentation fut reprise par les responsables politiques anti-européens qui firent longtemps le procès de la monnaie unique. Mais cet argument n’avait aucun sens puisqu’il suffisait de regarder les performances de l’économie italienne qui avait et qui a toujours un large excédent commercial, pour comprendre que l’euro n’était en rien responsable des faibles performances des entreprises françaises.

En 2012, après la crise de l’euro que l’action de la Banque Centrale Européenne avait réussi à surmonter, apparait une nouvelle explication : le coût excessif du travail serait à l’origine du déficit qui atteint cette année-là 65 milliards d’euros. L’Etat va alors procéder à des allègements massifs de charges sociales, financés en partie par une augmentation des impôts des ménages pesant ainsi sur la croissance des années suivantes qui sera quasiment nulle et par le déficit budgétaire. Après une brève réduction en 2015 et 2016, le déficit commercial retrouve en 2018 le niveau de 65 milliards.

Au lieu de reconnaître que cette politique n’avait donné aucun résultat, on propose de nouveaux transferts en faveur des entreprises avec la réduction des « impôts de production ». Cette action n’a pas plus de chances d’atteindre les objectifs recherchés que les précédentes. La part de la valeur ajoutée de l’industrie dans le PIB, sur laquelle pèse la concurrence extérieure, n’est comprise, suivant les définitions retenues, qu’entre 15 et 20%. Au moins 80% du coût de ces réductions d’impôts et de charges vont donc à des secteurs qui ne sont pas directement confrontés à la concurrence internationale et n’ont aucune raison d’en bénéficier. Ces erreurs sont courantes en économie. On pensait jusque dans les années 80 que c’était le contrôle des prix qui permettrait de juguler l’inflation. La France, grâce aux réformes entreprises à cette époque en libérant progressivement les prix et en comptant sur la concurrence, a définitivement vaincue ce mal qui affaiblissait l’économie française.

L’aggravation du déficit commercial de la France résulte de la stratégie de nombreux grands groupes français qui se sont livré à partir du début des années 2000 à une course aux acquisitions à l’étranger et aux délocalisations en croyant qu’elles en tireraient profit. Renault en fournit un bon exemple. L’industrie automobile est le secteur dont l’emploi et la production en France ont le plus baissé. En 2004 la France avait produit 3,6 millions de véhicules. En 2019, ce chiffre est tombé à 1,7 millions. Est-ce que tous les constructeurs ont été touchés, ce qui confirmerait l’hypothèse sur le coût du travail ? Non. Toyota s’était implantée en France à la fin des années 90. Le groupe japonais qui supportait la même fiscalité et le même niveau de charges sociales que Renault n’a cessé durant cette période de recruter et d’accroître sa production.

Renault avait procédé à l’acquisition de Dacia qui produit des véhicules d’entrée de gamme en Roumanie. Ces modèles sont venus concurrencer ceux que Renault produisait en France. Le groupe a alors décidé de délocaliser sa production en Turquie et en Slovénie. Les dirigeants de Renault sont très fiers d’avoir sauvé Nissan en prenant plus de 40% du capital. Ils se sont ainsi exclus des trois principaux marchés mondiaux où Nissan était en bonne position, la Chine, les Etats-Unis et le Japon pour se concentrer sur la Russie et le Brésil. Cette stratégie était présentée comme créatrice de valeur pour l’entreprise. Le résultat est consternant. La capitalisation boursière de Renault est de 9,5 milliards d’euros, celle de Nissan de 22 milliards. Une fois retranchée la valeur de la participation de 40% de Nissan, on constate que la valeur réelle de Renault est quasiment nulle. En revanche, comme les rémunérations des dirigeants sont, au moins en partie, fonction de la taille du groupe, ceux-ci ont été les principaux sinon les seuls bénéficiaires de cette stratégie et le cas de Renault n’est pas isolé.

Mais malgré sa contribution très négative à l’emploi et au commerce extérieur, Renault a survécu. Ce n’est pas le cas de nombreux grands groupes à la suite d’investissements hasardeux à l’étranger qui ont parfois causé leur perte ou leur prise de contrôle par des concurrents étrangers qui ne se sont pas privés de rapatrier les centres de production dans leur pays d’origine ce qui, en plus des lourdes conséquences sur l’emploi et les sous-traitants, a contribué à creuser le déficit commercial. Alcatel, après sa coûteuse fusion ratée avec Lucent a disparu sous le contrôle de Nokia comme Péchiney avec ses tentatives de rapprochement avec Alcan et Alcoa. La malencontreuse acquisition du groupe suisse ABB a failli mettre en faillite Alstom. Lafarge après ses désastreuses acquisitions au Moyen-Orient est passé sous le contrôle de son concurrent suisse Holcim. La sidérurgie sauvée à coup de milliards par l’Etat a été repris par le groupe indien Mital et a son siège à Luxembourg.

L’Etat qui s’est abstenu d’intervenir dans toutes ces opérations, a même parfois directement contribué à la désindustrialisation et donc à l’augmentation du déficit extérieur. La France, en moins de dix ans a fermé le tiers de ses capacités de raffinage à la suite du choix, fait lors du Grenelle de l’Environnement en 2008, de favoriser les véhicules diesel. Comme on ne peut pas reconvertir une raffinerie, une bonne partie de celles qui fournissaient de l’essence ont été fermées. Il n’est pas rentable d’importer du pétrole, de le raffiner et de réexporter l’essence. Aujourd’hui l’Etat, toujours au nom de l’environnement et à juste titre, revient en arrière. Les immatriculations de véhicule Diesel sont en chute libre. Les raffineries qui produisent le diesel seront donc fermées à leur tour. Un secteur industriel de plus aura disparu.

L’Etat doit donc enfin prendre conscience des véritables causes du déficit commercial, qui va de pair avec la désindustrialisation du pays et se donner les moyens d’intervention appropriés.