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Le blog d'Alain Boublil

 

Brésil : les deux crises

La presse internationale se fait largement l’écho de la crise politique qui secoue le Brésil et qui va de rebondissements en rebondissements depuis bientôt six mois. Dimanche prochain, un premier vote à la Chambre des députés va, selon toutes probabilités, enclencher la longue procédure pouvant aboutir à la destitution de la présidente, Dilma Rousseff. Il lui est reproché, une présentation trompeuse des comptes publics. C’est l’angle d’attaque qu’ont choisi ses adversaires parce qu’il permet de mettre en œuvre la procédure sans passer par une décision judiciaire. Mais ce qui est en cause, c’est bien son action comme présidente de Petrobras à un moment où de graves faits de corruption ont été commis et pour lesquels des dirigeants d’entreprises ont déjà été condamnés. Le PMDB, a annoncé qu’il ne soutiendrait plus l’action gouvernementale alors qu’il était au lendemain de l’élection de 2014, le principal allié de son parti, le Parti des Travailleurs.

Mais la destitution de Dilma Rousseff, même si elle est une victoire pour ses adversaires, ne marquera pas la fin de la crise politique car la Constitution prévoit que ce soit le vice-président, Michel Temer, qui la remplace. Mais il est aussi visé par des accusations de corruption et de népotisme. Agé de 75 ans, il aura du mal à symboliser le renouveau de la vie politique brésilienne et à tenir le choc face à une nouvelle campagne visant sa destitution. Et s’il devait, à son tour, quitter ses fonctions, ce serait le président du Sénat qui lui succèderait, lequel, même s’il a la tentation aujourd’hui de jouer les procureurs, n’est pas à l’abri, d’actions visant à lui réserver le même sort qu’à ses prédécesseurs.

La crise politique n’est donc pas près de trouver son épilogue. Mais elle ne saurait être considérée comme la cause des difficultés économiques du pays. Présenté il y a peu encore, comme une des stars du monde émergent, qui ambitionnait de rentrer dans le « Top 5 » des pays les plus riches, le Brésil a connu une deuxième année de sévère récession, avec une inflation de près de 10% et un chômage recensé, lequel est très loin de retracer la réalité, en forte hausse. Le fait marquant, c’est la vitesse avec laquelle le retournement s’est produit. Il y a moins de cinq ans, le pays profitait à plein des besoins en matières premières de la Chine, en pensant que cette situation atypique serait pérenne. Sa monnaie s’envolait, et le Brésil grimpait au hit-parade de l’économie mondiale. Pour couronner le tout, la communauté internationale lui avait confié, signe suprême de reconnaissance, l’organisation des deux manifestations sportives les plus prestigieuses, la Coupe du monde de football, où il pouvait espérer que son équipe nationale y trouverait une consécration, mais elle fut sévèrement humiliée, et les Jeux Olympiques. Rio de Janeiro succéderait ainsi à Pékin et à Londres. La planète économique ne jurait alors que par le Brésil.

Cette période faste, mais brève, fut aussi marquée par la découverte d’importants gisements pétroliers en haute mer et donc d’accès difficile. Tout réussissait alors au pays, et suivant la formule locale, Dieu était devenu brésilien. Les malversations qui se sont développées autour de Petrobras, dans le contexte euphorique du moment, ne sont pas à l’origine de la grave crise économique que traverse le pays, pas plus que la faillite de l’homme d’affaires Eike Battista, à qui, lui aussi, tout semblait réussir. Elle résulte de l’incapacité de ses dirigeants à admettre que le modèle économique actuel du Brésil, inégalitaire, bureaucratique et protectionniste n’avait aucune chance de s’imposer de façon durable et de permettre au pays profiter de la manne qui venait de lui tomber du ciel. Lula, avec la « bolsa familia » avait bien fait un pas dans la bonne direction, en instaurant un régime de transferts sociaux qui outre son caractère juste, avait pour avantage, comme en Europe au lendemain de la guerre, de stimuler le consommation et la croissance, et de rassembler autour d’un projet politique une majorité dans le pays.

Mais il s’arrêta en chemin. Au lieu d’orienter les ressources importantes dont le Brésil commençait à disposer vers l’éducation, l’habitat social ou la réalisation des infrastructures essentielles au développement de tout pays, il se contenta de gérer le présent, de parader dans les réunions internationales et de propager l’illusion suivant laquelle, oui, Dieu venait d’apporter la preuve qu’il était brésilien. Pendant ce temps là, la bureaucratie s’en donnait à cœur joie, avec un empilement de structures administratives locales qui tenait tout à fait la comparaison avec la France et une surprenante pratique pour corriger corriger les inégalités.  Une large partie de la population était, pensait-on, déjà assez défavorisée. Il ne fallait pas, en outre,  lui demander de respecter les règles. Le zèle bureaucratique s’est donc concentré sur les 15 à 20% de la population qu’il était facile de contrôler et de sanctionner s’il y avait eu un manquement. Cela a pénalisé nombre d’entreprises qui n’ont pu supporter la « bureaucratie tatillonne » à laquelle elles étaient soumises, alors qu’elles étaient en concurrence avec des personnes ou des groupes de personnes qui exerçaient la même activité, mais sans aucune contrainte. C’est un peu le syndrome du travailleur détaché que nous connaissons en Europe, mais à grande échelle.  

L’erreur la plus grave a été le choix protectionniste qui a dissuadé nombre d’investisseurs étrangers de venir offrir aux consommateurs une variété plus grande de produits. Même si des accords d’une portée assez limitée comme le Mercosul ont été conclus pour faciliter les échanges entre pays voisins, cette politique a fermé la porte aux exportations brésiliennes dans bien des domaines et surtout, n’a pas permis d’instaurer à l’intérieur du pays un climat sain de concurrence, synonyme de progrès et d’élargissement des choix offerts aux consommateurs. Or il n’y a pas de meilleur outil pour lutter contre l’inflation, dont le pays a beaucoup souffert, que de permettre à la concurrence de s’exprimer. La France en sait quelque chose : du jour où les prix ont été libérés et les frontières ouvertes, ce mal bien français a été guéri. Le Brésil, au contraire, a mis des barrières à l’entrée, multiplie les contrôles douaniers et impose un contenu local à quiconque prétend vouloir s’implanter pour produire.

Cette politique est en outre paradoxale car c’est bien la possibilité qu’a eu le Brésil pendant de nombreuses années d’exporter ses matières premières grâce à la mondialisation, qui lui a permis de croire que la voie de la croissance lui était ouverte et qu’il rejoindrait la famille des pays développés. La crise économique que traverse le pays est donc plus profonde qu’il n’y parait car elle n’est pas seulement la conséquence d'un épisode politique comme il en a connu de nombreux dans le passé. Le Brésil a un besoin urgent de prendre conscience de ses erreurs, de changer de cap et d’adopter les mesures adéquates pour se replacer sur la bonne trajectoire qui lui permettrait enfin de satisfaire ses ambitions légitimes de développement. Mais l’affaiblissement de l’autorité publique qui résulte de la crise politique constitue un obstacle majeur. C’est d’autant plus regrettable que le pays est doté d’une capacité créative exceptionnelle et d’un rayonnement culturel universel. Cela devrait l’inciter à l’optimisme alors que les difficultés actuelles l’ont plongé dans un profond pessimisme, qu’il ne tient qu’à ses dirigeants à dissiper, en résolvant leurs problèmes institutionnels et en adoptant des comportements exemplaires.