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Le blog d'Alain Boublil

 

La crise du logement en France

On se souvient de ce vieux dicton des années 60, « Quand le bâtiment va, tout va ». On pourrait l’actualiser, car aujourd’hui puisque le bâtiment va mal, rien ne va bien. Les chiffres en France sont accablants. Les permis de construire de logements délivrés pendant les douze derniers mois à la fin février s’établissaient à 364 800, soit une baisse de 21,8% sur un an. Sur la même période, le nombre de mises en chantier de logements (291 100) chutait de 24,6%. En 2023, l’investissement des ménages a reculé de 5%, pesant lourdement sur la croissance du PIB. Leur taux d’épargne restait stable et la baisse des dépenses consacrées à une acquisition immobilière était compensée par la hausse de l’épargne financière qui a atteint durant le 4ème trimestre 2023 7% de leur revenu disponible brut.

La hausse des intérêts proposés par les banques (4% au 2ème semestre 2023) survenait après une longue période de taux très faibles. Cela a exclu du marché des centaines de milliers de ménages qui durent renoncer au moins provisoirement à acquérir leur logement. Ainsi le volume des crédits accordés a reculé en 2023 de 10%. Cette situation a également affecté les logements anciens avec un nombre de transactions en 2023 en baisse de 20%. Cette double chute a eu un effet immédiat sur l’activité économique. Les entreprises du bâtiment et leurs fournisseurs en matériaux de construction ont connu une baisse significative d’activité. Le secteur des services (agences immobilières, notaires) a aussi été affecté dans des proportions inconnues depuis trente ans. Les recettes des collectivités locales provenant des droits de mutation ont été en baisse de 5 milliards en 2023.

Cette tendance nouvelle aggrave une situation structurelle déjà préoccupante où les besoins en logement s’accroissent en raison de l’évolution démographique, avec l’allongement de la durée de vie, et des comportements sociaux avec l’augmentation du nombre de familles monoparentales. Se loger en France devient donc de plus en plus difficile alors que l’on observe un nombre croissant de logements vacants (3,5 millions à la fin 2023) qui résulte de déséquilibres géographiques : les habitations libérées à la suite d’un décès sont souvent situées en milieu rural là où l’offre d’emplois est faible et où les services publics sont inexistants. La situation est inverse dans le centre des grandes métropoles où les prix sont inabordables pour une très grande majorité de familles. Il y a ainsi 29 000 logements vacants dans Paris.

Il faut ajouter à ces facteurs de déséquilibres entre offre et demande le comportement d’investisseurs, souvent étrangers qui voient dans un actif immobilier bien situé un placement financier. Le bien n’est pas offert à la location et le propriétaire vient parfois l’occuper quelques jours chaque année. C’est ce qui explique, par exemple à Paris, le nombre d’appartements dans des emplacements prestigieux dont les volets sont fermés en plein jour. Il y a aussi l’attribution généreuse par les mairies de permis de construire destinés, en théorie, à faire des travaux de réhabilitations. Ils sont alors vidés de leurs occupants car le propriétaire espérera tirer un meilleur prix quand il le vendra parce qu’il sera inoccupé.

L’Etat pourtant consacre des sommes considérables au secteur du logement. En 2023, elles ont atteint 41 milliards soit près de 1,5% du PIB. Les aides directes en faveur des locataires (allocations logement) permettent aux catégories sociales les plus défavorisées d’alléger leurs charges de loyers. Mais ce sont des transferts sociaux et non des incitations à construire ou à améliorer le patrimoine immobilier existant. L’Etat accorde aussi d’importants avantages fiscaux aux acquéreurs et même aux investisseurs qui s’engagent ensuite à louer le logement sous certaines conditions. Mais ces mesures ont été inopérantes pour faire face au déséquilibre croissant entre l’offre de logements et la demande des ménages quand on sait que ceux-ci en moyenne consacre 29% de leur revenu à se loger.

Les conséquences économiques vont bien au-delà de l’effet mécanique sur la croissance tel qu’il apparait aujourd’hui. Les difficultés à se loger ont d’abord un effet sur l’emploi. C’est déjà une des raisons, et peut-être même la principale, qui gêne les entreprises à recruter alors qu’il y a plus de 3 millions de demandeurs d’emplois. Si le poste est dans le centre d’une métropole, le niveau des loyers est le plus souvent incompatible avec les salaires offerts et les moyens de transport ne permettent pas toujours de relier le logement en périphérie, où le loyer est suffisamment bas. Et si l’emploi est dans une ville moyenne ou alentour, l’offre de logements à louer est souvent inexistante.

Cette situation résulte de l’abandon par l’Etat du concept d’aménagement du territoire qui avait consisté dans le passé à ce que justement la construction des infrastructures et des logements accompagne le développement économique et l’emploi dans les régions. A cela s’ajoute la décentralisation qui a confié aux maires des communes le droit de délivrer des permis de construire. Trop souvent, pour ne pas déplaire à son électorat du fait des travaux ou pour ne pas modifier la composition de celui-ci avec le risque de perdre l’élection suivante, les maires se sont montrés réticents à laisser se réaliser sur la commune de nouveaux logements ; il a même fallu une loi pour rendre obligatoire une certaine proportion de logements sociaux.

La chute de la construction provoque aussi une baisse importante des rentrées fiscales, qui va bien au-delà de la réduction des droits de mutation. Les pertes d’emplois dans le secteur du bâtiment sont autant de cotisations sociales qui ne rentrent pas dans les caisses des organismes et l’Etat subit une réduction des recettes de TVA générées par la réalisation de chaque logement. Mais les transferts en faveur des ménages pour les aider à payer leurs loyers, eux, ne faiblissent pas d’où cette double peine infligée aux finances publiques par la crise du logement : hausse des dépenses et baisse des recettes.

La réduction prévisible des taux d’intérêt, si elle est bien répercutée par les banques, peut stopper cette dégradation mais ne sera pas suffisante pour inverser la tendance. L’Etat doit intervenir pour que se déclenche au sein des politiques urbaines l’abandon d’un malthusianisme condamnant tout développement de la construction et restreignant de façon excessive l’usage de l’automobile dans le centre des villes. Les logements qui y sont situés perdent leur attrait et deviennent vacants et les commerces de proximité ferment les uns après les autres. En même temps on stigmatise « l’artificialisation des sols » concept nouveau dénonçant le remplacement de terrains agricoles le plus souvent non exploités par des voies de transport ou des bâtiments, au nom de la défense de l’environnement et de la biodiversité.

La protection de la nature est une exigence indiscutable et la France qui dispose de la plus grande surface forestière en Europe est tout, sauf un mauvais élève dans ce domaine. Mais les excès commis au nom de ces principes constituent l’un des principaux facteurs structurels de la crise du logement qui s’annonce.

A côté des nécessaires réformes des procédures réglementaires qui freinent la construction et d’une meilleure adaptation de la dépense publique et de la fiscalité immobilière, c’est d’un changement de paradigme sur le développement dont la France à besoin pour que soit enrayé la diminution de la qualité de vie d’une partie importante de la population qui résulte d’une politique du logement et de la construction qui ne répond plus à ses attentes.