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Le blog d'Alain Boublil

 

La Chine face à ses défis

Au moment où se tient le Congrès National du peuple chinois, le gouvernement a confirmé pour cette année son objectif de croissance autour de 5% mais n’a pas annoncé de mesures particulières de relance économique, ce qui suscite un certain scepticisme parmi les observateurs occidentaux. Ils font remarquer que ce chiffre est bien faible par rapport à la croissance souvent supérieure à 7% obtenue durant les décennies précédent la crise de la Covid-19. Il sera en outre difficile à atteindre car les 5% obtenus en 2023 bénéficiaient d’un effet de base favorable du fait de la fin des restrictions intervenues pour lutter contre l’épidémie.

La Chine est confrontée à un dilemme majeur. Le pays vit sous un régime communiste très strict en ce qui concerne les libertés publiques et les institutions politiques. Mais il a connu un développement exceptionnel en acceptant des pratiques économiques capitalistes et souvent libérales. De grandes entreprises publiques cohabitent avec des firmes privées cotées en bourse et qui ont atteint des niveaux de capitalisations analogues à ceux que l’on trouve au Japon ou dans les pays occidentaux. Leurs fondateurs ont accumulé des fortunes considérables et ont parfois fait l’objet de poursuites ou ont dû s’exiler. Mais l’élévation du niveau de vie de la population chinoise a été telle ces dernières décennies grâce à la croissance qu’un retour en arrière n’est pas envisagé par les dirigeants du pays.

La comparaison entre les taux de croissance passés et présents, à l’origine du scepticisme à l’égard du pays, n’est pas pertinente car une augmentation de la production aujourd’hui de 5% correspond à une croissance de la richesse créée bien supérieure à ce que générait une hausse du PIB de 7% il y a dix ans. Le vrai débat devrait porter sur la capacité de la Chine à atteindre cet objectif de 5%. Les observateurs s’attendent donc à l’adoption de mesures de politique économique de même nature que ce qui est pratiqué dans les pays capitalistes traditionnels, une politique monétaire plus expansionniste et un soutien de la demande intérieure en faveur des ménages par la voie budgétaire. Ils ont été jusqu’à présent déçus et les messages adressés lors du Congrès par le Premier ministre n’ont pas répondu à leur attente.

L’économie chinoise est confrontée à deux difficultés immédiates et à une inquiétude pour les perspectives à long terme. La crise immobilière majeure qui a conduit à la faillite de deux des plus grands promoteurs résulte d’anticipations excessivement optimistes sur l’état de la demande. Il y aura donc une révision à la baisse des investissements immobiliers mais ces deux faillites ne mettront pas en péril les équilibres financiers du pays car les autorités ont les moyens, et ont déjà commencé à le faire, de circonscrire les conséquences de ces faillites sur le système bancaire.

Le deuxième facteur qui pèse sur la croissance est le niveau très élevé de l’épargne des ménages qui traduit une réelle inquiétude face à l’avenir et qui pèse sur la demande intérieure. Enfin les conséquences de la politique de l’enfant unique commencent à apparaître et l’on ne peut s’empêcher de faire la comparaison avec le Japon dont la population diminue depuis des années. Mais le gouvernement chinois en a pris conscience et a adopté des premières mesures en faveur de la natalité qui seront vraisemblablement amplifiées dans l’avenir

Cette faiblesse de la consommation s’accompagne d’un changement structurel en faveur des services. Les chiffres des déplacements lors des fêtes du Nouvel An en témoignent puisque le nombre de voyages à l’intérieur et à l’extérieur du pays a largement dépassé le niveau atteint avant l’épidémie et rien ne permet de penser que cette tendance s’inversera dans l’avenir. Cela aura des conséquences sur l’industrie chinoise qui commence à être confrontée à des surcapacités, ce qui est aussi un facteur préoccupant.

La transformation du modèle industriel est donc inévitable et la fin de la Chine « usine du monde » certaine. Les entreprises vont donc entrer dans une troisième phase de développement. A l’origine, elles ont eu une vocation de sous-traitant, les groupes américains et européens délocalisèrent une partie de leurs activités pour profiter d’une main d’œuvre bon marché et qualifiée. La réalisation d’infrastructures permettait aux pièces détachées de rejoindre facilement les centres d’assemblage en Europe et même aux Etats-Unis.

Au fur et à mesure que ces entreprises investissaient pour se moderniser, elles sont aussi devenues des clients et achetèrent des outils de production, pour le plus grand bénéfice de l’industrie allemande. La demande intérieure augmentant, de nombreux groupes internationaux, dans l’automobile, l’électronique et même la construction aéronautique investirent en Chine pour satisfaire les besoins dans une économie qui était en train de devenir la deuxième plus importante dans le monde après les Etats-Unis.

Après avoir été des sous-traitants puis des clients, les entreprises chinoises sont en train de devenir des concurrents pour les groupes occidentaux et japonais avec leur savoir-faire, leurs marques et un vaste marché intérieur. Les problèmes actuels de surcapacités devraient donc pouvoir se résoudre par le développement des exportations comme dans l’automobile. La Chine est devenue en 2023 le 1er exportateur mondial avec 4,9 millions de véhicules (+47%). Le pays profite de son avance dans les véhicules électriques. BYD a ainsi exporté 252 000 véhicules en hausse de +330% sur un an. Dans l’aéronautique, le monocouloir C919, conçu et fabriqué en Chine, a été l’une des vedettes du Salon de Singapour. L’apparition de leaders mondiaux chinois dans plusieurs secteurs est un fait acquis que les entreprises européennes devront prendre en compte. Ce seront eux, leurs grands concurrents dans l’avenir.   

La transition énergétique avec des investissements considérables dans le nucléaire et les énergies renouvelables constituera aussi un soutien à la croissance du pays et au renforcement de son industrie. Les producteurs chinois d’éoliennes et de panneaux solaires détiennent déjà respectivement 50% et 80% du marché mondial.

Les exportations chinoises ne se limiteront pas aux pays développés. Le programme tant critiqué en Europe des « Nouvelles Routes de la Soie » a permis de réaliser les infrastructures de transport permettant d’acheminer les produits chinois à travers le monde tout en favorisant l’élévation du niveau de vie des pays concernés ce qui générera de nouveaux clients.

Enfin, l’accumulation des excédents extérieurs, avec un solde de la balance courante encore de 4% du PIB en 2023, permet à la Chine, de se passer des investissements étrangers ou de financements internationaux en cas de difficultés intérieures, comme ce qui est intervenu dans le secteur de l’immobilier. Les comparaisons entre les taux de croissance d’une période à l’autre n’ont donc pas beaucoup de signification. Il est préférable de regarder avec lucidité les changements au sein de la concurrence internationale que l’évolution de l’économie chinoise va apporter et que les tensions géopolitiques avec les Etats-Unis ne remettront pas en cause.

Le marché chinois va rester extrêmement important dans les années à venir. Mais il y aura deux manières de l’aborder. Poursuivre dans la voie actuelle quand on dispose de marques reconnues et de produits ou de services répondant à la demande des consommateurs chinois ou bien trouver les bons partenariats, d’égal à égal, pour que chacun profite des capacités de l’autre, tant en ce qui concerne l’accès aux marchés que la réalisation d’outils de production compétitifs. C’est à ces conditions que les entreprises étrangères seront en mesure de tirer avantage de la poursuite de la croissance en Chine, laquelle ne fait aucun doute.