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Le blog d'Alain Boublil

 

Vers une crise européenne ?

L’Union Européenne va mal. Ce n’est pas la première fois. On se souvient des crises qui avaient affecté le système monétaire européen, avec les nombreux réalignements et les aller-retours de la livre sterling. Mais cela n’avait pas empêché la création de l’euro et la conversion réussie des devises nationales dans la monnaie unique. On n’a pas oublié non plus les conséquences de la crise des sub-primes, l’endettement excessif de la Grèce et la fragilité du système financier irlandais. Même le Brexit avec toutes ses complications sur les échanges commerciaux et sur le rôle de la place de Londres n’a pas affecté le projet européen. Aujourd’hui, à la veille des élections au Parlement, la situation est différente et inédite.

Il y a d’abord les mauvaises performances économiques des principaux pays, la stagnation française et la récession allemande, dans un contexte international bien moins défavorable qu’on le prétend puisque les Etats-Unis connaissent une croissance supérieure à 2% et la Chine autour de 5%. Même si ce niveau est inférieur à celui observé dans le passé, il reste un facteur significatif de soutien aux exportations européennes. L’Inde est un nouveau venu parmi les moteurs de la croissance mondiale, le Japon, habitué à la stagnation ne fait pas plus mal que par le passé et les pays d’Asie du sud-est continuent à se développer grâce à d’importants investissements étrangers qui y trouvent une main d’œuvre qualifiée et peu coûteuse.

Ces mauvaises performances européennes s’accompagnent de crises sociales majeures dont la France n’a pas le monopole. Les services publics de transport en Allemagne, par exemple, connaissent une succession de périodes de grève. Partout, dans l’Union, on assiste à des manifestations d’agriculteurs mécontents de l’évolution de leur niveau de vie et des complications administratives imposées par de nouveaux règlements sans qu’ils soient protégés de la concurrence des pays qui n’y sont pas soumis. La politique agricole commune qui fut ces dernières décennies l’une des grandes réussites avec l’euro du projet européen est donc critiquée. La dégradation du climat social dans les Etats-membres est ainsi imputée à l’Europe, ce qui favorise les partis extrémistes.  

Les Etats appartenant à la zone euro ont délégué à la Banque Centrale Européenne la politique monétaire et se sont imposé des critères de déficit et d’endettement pour la politique budgétaire. Mais les modes de pensée comme les règles fixées datent des années 80 et sont devenues obsolètes sinon anachroniques. La politique monétaire n’a aucune influence sur les phénomènes d’inflation temporaire comme la hausse des prix de l’énergie provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En renchérissant le coût du crédit, cette politique a peu d’incidences sur la consommation, bridée par la baisse du pouvoir d’achat, mais elle provoque une chute des investissements dans le logement et affaiblit les petites et moyennes entreprises déjà affectées par la stagnation de leur marché, en alourdissant leurs charges financières.

L’action des banques centrales a surtout des effets sur les marchés financiers. L’évolution des taux d’intérêt a des répercussions immédiates sur les taux de change et l’anticipations de leurs décisions se répercute sur les cours de bourse. La situation actuelle où les indices battent des records pendant que le chômage repart à la hausse comme en France et que les ménages peinent à trouver des ressources pour se nourrir à la fin de chaque mois n’est pas étrangère au mécontentement social. L’inquiétude s’accroit quand on laisse entendre qu’il faudra attendre une pression suffisante sur les salaires pour que l’on décide de baisser les taux d’intérêt. Or leur évolution passée n’a été en rien responsable de la reprise de l’inflation en 2022.

La politique budgétaire fut, depuis Keynes, l’outil privilégié pour soutenir la croissance et l’emploi. Le retour au respect des critères adoptés à l’époque du Traité de Maastricht et suspendus pendant la crise du Covid-19 va imposer des restrictions budgétaires dans des pays en stagnation ou en récession ce qui aggravera encore leur situation. Le risque est grand que les objectifs ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne soient pas atteints car ils nécessitent des investissements considérables, ce qui est contradictoire avec la baisse des dépenses publiques.

La seconde erreur majeure a été le choix de faire de la concurrence un principe général et contraignant. Le rejet du projet de constitution européenne qui comportait l’instauration d’une concurrence libre et non faussée à tous les agents économiques ne l’a pas fait disparaître, bien au contraire. Si la création du grand marché européen a été une réussite majeure et a permis à la fois de lutter contre les tensions inflationnistes et d’offrir aux consommateurs un plus large choix de biens et de services, l’extension aux services publics a été une lourde erreur qui n’est pas étrangère à leur dégradation, aux multiples mouvements sociaux et à la crise inflationniste dans le secteur de l’énergie.

Les Etats auraient dû pouvoir conserver des monopoles tout en régulant leurs prix. L’apparition artificielle de la concurrence dans bien des cas n’a ni amélioré la qualité des services ni fait baisser leur prix, bien au contraire. L’exemple de l’électricité en France est plein d’enseignements. Les réseaux de transport et de distribution sont restés des monopoles. Les nouveaux opérateurs n’ont que peu contribué à l’augmentation des capacités de production. Dans la plupart des cas, ils se sont contentés d’une action commerciale. Pendant ce temps EDF, craignant de voir sa croissance affectée sur le marché national, s’est lancé dans une politique d’investissements à l’étranger qui se sont souvent traduits par de lourdes pertes. L’endettement qui en a résulté a aggravé sa situation financière et affaiblit sa capacité à investir pour moderniser et étendre son appareil de production.

Sour la pression de Bruxelles, l’Etat a imposé à l’entreprise de revendre à ses concurrents une part de sa production nucléaire à un prix inférieur à celui du marché, aggravant encore sa situation financière. Quand sont intervenus en même temps les problèmes techniques affectant de nombreuses centrales et les conséquences sur les marchés de l’énergie des sanctions contre la Russie, la France a subi la double peine : l’Etat a dû intervenir pour freiner la hausse des prix de l’électricité et les ménages comme les entreprises vont devoir supporter à l’avenir des factures bien plus élevées. De nouvelles économies budgétaires seront donc nécessaires pour compenser ces aides mais le pouvoir d’achat des ménages comme les coûts des entreprises et des exploitations agricoles resteront durablement alourdis.

Dans le passé, tous les gouvernements avaient eu, à un moment ou à un autre, à faire face au mécontentement social. Les forces politiques anti-européennes n’attribuaient pas de façon précise ces difficultés à Bruxelles et se contentaient de positions idéologiques sur la souveraineté et l’indépendance. Le fait nouveau, c’est que ces mécontentements sont souvent le résultat de décisions européennes à propos desquelles les gouvernements concernés n’ont pas su en évaluer les conséquences dommageables pour leur pays.

Les avantages indiscutables offerts par le projet européen risquent donc d’être relégués au second plan face aux difficultés actuelles et l’adhésion des peuples en sera affectée. Les gouvernements concernés à l’occasion de la prochaine élection au Parlement doivent saisir cette opportunité pour convaincre que les réformes si souvent exigées par Bruxelles doivent à l’avenir prioritairement concerner le modèle économique européen. C’est indispensable si l’on veut éviter que le rejet populaire actuel à son égard aboutisse à la remise en cause des immenses progrès réalisés jusqu’à présent et à un affaiblissement majeur dans l’avenir des pays européens.