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Le blog d'Alain Boublil

 

Le printemps des énergies fossiles

La contradiction entre le message en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre qui passerait par la diminution de l’utilisation des énergies fossiles et la prospérité exceptionnelle de leurs producteurs n’a jamais été aussi forte qu’en ce début d’année 2024. Cette situation fait penser aux déclarations des dirigeants du groupe Engie, issu de la fusion entre Gaz de France et Suez qui avaient annoncé que l’entreprise sortirait des énergies fossiles. Mais elle avait gardé son nom. Or ENGIE, pour un anglo-saxon n’est autre que l’expression orale de l’abréviation, NG, qui signifie « gaz naturel ».

Les cinq majors pétrolières ont publié leurs résultats pour l’exercice 2023. Ils sont édifiants. L’addition de leurs bénéfices nets a atteint 114 milliards de dollars avec Exxon en tête (36 milliards) suivi de Total et Chevron avec chacun 21 milliards. Ces entreprises ont commencé à diversifier leur activité, investissant dans l’électricité et les énergies renouvelables mais l’essentiel de leur chiffre d’affaires et de leurs profits est généré par l’exploration et la production de pétrole et de gaz. Après la chute observée en 2020 et 2021 à la suite de l’épidémie du Covid 19, ces entreprises ont retrouvé un niveau de production suffisant pour satisfaire la demande. Globalement, celle-ci a augmenté de 10% au total sur ces dix dernières années. On n’a donc assisté, ni à une pénurie de la ressource comme cela avait été souvent pronostiqué, ni à une diminution de la demande d'énergies fossiles contrairement aux objectifs fixés dans les différentes déclarations relatives à la lutte contre le réchauffement climatique.

Cette situation du côté de l’offre résulte de deux innovations majeures, les nouvelles techniques qui ont permis d’extraire du pétrole et du gaz de schiste et la liquéfaction du gaz naturel qui a permis de le transporter d’un continent à un autre. Les Etats-Unis sont ainsi redevenus le 1er producteur mondial de pétrole avec plus de 13 mb/j et le premier exportateur de gaz naturel avec plus de 100 bnm3 dépassant de peu la Qatar et l’Australie. Ces innovations ont contribué à freiner la consommation de charbon mais avec de fortes différences suivant les pays.

La chute du charbon a été spectaculaire aux Etats-Unis où l'usage a été divisé par deux en dix ans, les centrales électriques fonctionnant de plus en plus au gaz naturel, ce qui a aussi contribué à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Les pays européens et notamment l’Allemagne (-50%) et la Pologne (-30%) ont également réduit leur utilisation du charbon grâce au développement des énergies renouvelables et la Chine a réussi à ralentir la hausse de sa consommation ramenée sur 10 ans à 10%. Mais l’Inde et l’Indonésie avec des hausses proches de 50% sur la même période n’ont pas encore suivi cette voie.

Le recours au GNL, rendu possible par l’existence de navires capables de le transporter, a aussi contribué à compenser les conséquences des sanctions adoptées contre la Russie et c’est ce qui explique la très forte croissance des exportations américaines vers l’Europe. Les menaces pesant sur la sécurité des navires dans la mer Rouge ont amplifié cette tendance. Mais la très forte extension des capacités de production et liquéfaction aux Etats-Unis a suscité des inquiétudes relatives à l’environnement au Texas et en Louisiane et l’administration Biden a annoncé que plusieurs nouveaux projets seraient bloqués.

Le secteur reste néanmoins en forte expansion dans ce pays et on assiste à une série de regroupements d’opérateurs depuis six mois qui va encore renforcer cette activité déjà très profitable. Exxon a annoncé le rachat pour 60 milliards de dollars de l’un des leaders de la production de pétrole de schiste, Pioneer. Diamond Back a pris le contrôle de Endeavour pour 26 milliards et Chesapeake, l’un des pionniers de cette nouvelle industrie, de Southwestern, pour 7,4 milliards, ce qui lui permettra de devenir l’un des premiers producteurs de LNG. Ces fusions favoriseront les projets d’investissements de l’ensemble du secteur gazier dans le monde qui sont estimés autour de 50 milliards de dollars par an durant les cinq prochaines années.

La crise énergétique en Europe provoquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis en avant deux impératifs politiques, la sécurité des approvisionnements et le rôle essentiel de l’électricité, lesquels ne sont pas entièrement contradictoires avec les objectifs en matière d’environnement. Les stratégies mises en place en Europe mais aussi en Chine pour lutter contre le réchauffement climatique conduisent à une forte croissance de la demande d’électricité consécutive à la généralisation de la mobilité électrique et à l’aménagement des habitations. Or les énergies renouvelables n’offrent pas de garantie de disponibilité. Elles ne produisent pas toujours quand on en a besoin et surtout où ces besoins doivent être satisfaits. En l’absence de progrès en matière de stockage à un horizon déterminé, les Etats doivent pouvoir disposer d’opérateurs capables de fournir à chaque instant l’électricité dont les entreprises et les ménages ont besoin.

Deux solutions existent : le nucléaire et les énergies fossiles, comme par le passé. Peu d’Etats sont en mesure dans des délais raisonnables de se doter des capacités de production nucléaire suffisantes quand celles-ci sont acceptées par les populations, ce qui est rarement le cas. La seule solution disponible, si l’on veut en même temps satisfaire les objectifs climatiques et disposer de la sécurité d’approvisionnement, est donc de réduire fortement le recours au charbon dans les centrales thermiques au profit du gaz naturel. C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis et le résultat en termes d’émissions de CO2 a été significatif.

Le gaz naturel peut jouer ce rôle puisque la ressource est abondante et que des progrès significatifs peuvent être accomplis dans la réduction des émissions de méthane, lequel contribue lourdement au réchauffement climatique, tant au niveau de la production que de son transport dans les gazoducs ou dans les méthaniers. Quant à la réduction des consommations d’énergie, elle est envisageable dans les pays développés, où un indiscutable gaspillage existe et doit être éliminés, mais pas dans les pays émergents pour lesquels l’énergie est indissociable de l’industrialisation et de l’élévation du niveau de vie. C’est ce qui a été observé en Chine pendant trente ans et c’est ce qui s’amorce en Inde.

Le message souvent entendu en Europe, avec notamment le projet de « pacte vert », qui fait de la fin des énergies fossiles le principal remède au réchauffement climatique, est non seulement très impopulaire, comme en témoignent les nombreux mouvements sociaux, mais il n’est pas crédible. En outre les aides financières nécessaires pour favoriser le passage aux voitures électriques ou l’installation de panneaux solaires, pèsent sur des Etats déjà lourdement endettés et profitent à des pays, comme la Chine, qui produisent ces équipements. Mais, tout en étant les principaux émetteurs de gaz à effet de serre de la planète, ceux-ci n’adoptent pas de politiques aussi restrictives en matière de production et de consommation d’énergies fossiles.

Le déni ne contribue pas à faire prendre les bonnes décisions et encore moins à les faire accepter lorsqu’elles sont impopulaires. Le pétrole et le gaz naturel vont rester encore longtemps nécessaires à l’activité des entreprises et à la consommation des ménages et il existe des ressources suffisantes pour satisfaire la demande. La France dispose des entreprises de taille internationale capables de répondre à ces besoins car elles maîtrisent les techniques de production, de transport et de distribution, ce qui n’est pas le cas dans toutes les activités industrielles. Il serait donc préférable de s’en féliciter plutôt que de les critiquer.